Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

vieillesse (assurance) (suite)

L’affrontement des deux doctrines et la résistance patronale à l’ingérence de l’État freineront les conquêtes sociales en ce domaine, d’autant que les travailleurs seront de prime abord enclins à s’assurer davantage contre le chômage que contre la vieillesse. C’est l’assurance contre l’arrêt de travail qui retient l’essentiel de la lutte ouvrière : comme l’écrit Henri Hatzfeld, il est normal de devenir vieux, il ne l’est pas d’être au chômage. Les pouvoirs publics, néanmoins, s’emparent de la question.

En 1843, le gouvernement de Juillet institue une commission extraparlementaire pour étudier la création d’une caisse nationale assurant une retraite aux vieux travailleurs. En 1847, un projet de loi doit être soumis à l’examen des Chambres par le ministère Guizot ; la IIe République se penche à son tour sur la question. Un projet est discuté, puis voté par l’Assemblée législative en juin 1850 : la Caisse nationale des retraites pour la vieillesse est alors créée.

Mais tout l’édifice est, en fait, fondé sur le principe de la liberté : la Caisse nationale des retraites de la loi du 18 juin 1850 est créée en réalité pour recevoir des épargnes volontaires de particuliers désireux de bénéficier, dans leurs vieux jours, d’une rente viagère. L’« assurance vieillesse » française (avant la lettre) repose en fait, au cours du xixe s., sur une gestion privée et non publique. En 1850 existent d’ailleurs déjà de nombreuses institutions de prévoyance d’origine patronale, fonctionnant sur la base d’une cotisation (prélevée par les chefs d’entreprise) à la charge du salarié, associée le plus souvent à une cotisation patronale. C’est par ailleurs l’âge d’or de la « mutualité ». La loi de 1852 officialise les mutuelles, les orientant d’ailleurs dans un sens contraire aux aspirations ouvrières ; en 1856, l’État crée un Fonds de retraites et encourage la prévoyance dans le cadre du mutuellisme. Leur mobilité fait des ouvriers des cotisants peu commodes, les artisans donnant aux mutuelles une meilleure couche d’adhérents, plus stables et plus constants.

Les « caisses d’épargne », de leur côté, dans l’esprit de nombreux hommes du temps (selon la conception de Thiers, « elles sont la porte étroite par laquelle les pauvres [...] peuvent accéder à la société civile fondée sur la propriété ») sont jugées supérieures à la Caisse nationale des retraites, car elles laissent la libre disponibilité des sommes déposées, alors que celles-ci sont bloquées, dans la Caisse, jusqu’à l’âge de la retraite. Le concept d’« épargne » va être préféré dès lors à celui de « pension » automatiquement versée lorsque va survenir pour le travailleur la limite d’âge.

C’est à l’extrême fin du xixe s. qu’un certain nombre de textes (chronologiquement très proches de la grande loi de 1898 sur les accidents* du travail) vont décisivement affirmer le droit de l’assurance vieillesse. La loi du 30 juin 1894, relative aux caisses de retraites des ouvriers mineurs, la loi du 27 décembre 1895, obligeant les employeurs à verser les cotisations à la Caisse nationale des retraites, tendent à officialiser les « circuits » par lesquels prend corps l’assurance vieillesse française, cependant que la loi du 14 juillet 1905 organise l’assistance obligatoire aux vieillards de plus de soixante-dix ans privés de ressources et ne pouvant travailler pour subvenir à leurs besoins : l’hospitalisation, le placement et l’assistance à domicile sont prévus par la loi, la charge financière étant répartie entre les communes et l’État.

La loi des « retraites ouvrières et paysannes » (R. O. P.) du 5 avril 1910 prévoit un système de retraites financées par des cotisations ouvrière et patronale sans que la première (à la charge du travailleur) soit obligatoire, le refus du salarié relevant l’employeur de l’obligation de verser lui-même sa cotisation (tout en lui permettant de la verser, s’il le désire, selon la jurisprudence de la Cour de cassation). La loi, du même coup, perd « tout caractère d’obligation » (H. Hatzfeld), et le caractère « facultatif » imprègne durablement l’institution.

La loi du 25 février 1914 institue une Caisse autonome des retraites ; mais c’est la période postérieure à la Première Guerre mondiale qui va faire accomplir le pas décisif à la protection de la vieillesse. En France, la loi du 5 avril 1928, modifiée par la loi du 30 avril 1930, et deux décrets-lois des 28 et 30 octobre 1935 réalisent enfin les réformes nécessaires, « la vieillesse » se trouvant mêlée d’ailleurs — dans le cadre des systèmes prévus par ces textes — aux risques « maladie », « maternité », « invalidité » et « décès », et couverte avec eux par une allocation unique.

Surviennent la Seconde Guerre mondiale, puis la Libération ; l’ordonnance du 19 octobre 1945 et le décret du 29 décembre 1945 intègrent les risques « non professionnels » (dont la vieillesse) dans un plan global de sécurité* sociale, mettant, pour l’essentiel, le point final à la législation, cependant que les années suivantes connaissent l’instauration des régimes vieillesse des « non-salariés non agricoles » et des « non-salariés agricoles » (1948 et 1952).

Un système de retraites complémentaires est prévu par ailleurs par la convention collective du 14 mars 1947, signée par le Conseil national du patronat français et les organisations syndicales représentatives des cadres et ingénieurs (des retraites complémentaires pour les salariés seront créées dès 1957). Une ordonnance du 7 janvier 1959 prévoit le fonctionnement des institutions gestionnaires de ce régime des cadres qui est placé sous le signe de la « répartition » ; les allocations sont octroyées en fonction des « points » de retraite et en proportion des versements effectués et de la valeur du salaire de référence. Le droit conventionnel achève ainsi de préciser le droit français de l’assurance vieillesse, qui, pour avoir longuement attendu sa naissance, s’est singulièrement développé depuis 1945.

J. L.

 Rapport de la Commission d’étude des problèmes de la vieillesse (la Documentation fr., 1962). / H. Hatzfeld, Du paupérisme à la sécurité sociale. Essai sur les origines de la Sécurité sociale en France, 1850-1940 (A. Colin, 1971).