Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

adaptation (suite)

Cette notion de préadaptation est admise par de nombreux biologistes. Richard B. Goldschmidt estime que la micro-évolution dans les espèces procède par accumulation de micromutations et par installation des mutants préadaptés dans des niches écologiques adéquates ; en voici un exemple : le mélanisme industriel est caractérisé par le fait que des mutants mélaniques (à livrée sombre) de la Phalène du Bouleau ont supplanté, en un siècle, le type normal dans les zones industrielles d’Europe et d’Angleterre ; le même progrès du mélanisme s’observe pour d’autres espèces de Papillons. Les calculs montrent que le mutant mélanique possède un avantage sélectif certain dans les centres industriels. Outre leur intervention dans le déterminisme de la couleur, les facteurs géniques conditionnent un caractère physiologique, probablement une résistance aux sels métalliques imprégnant la nourriture des chenilles ; cette résistance constitue une préadaptation qui a favorisé le développement et l’extension des formes mélaniques aux dépens de la forme normale claire.

Un processus modifiant totalement les conditions de milieu (période glaciaire, refroidissement ou réchauffement généralisé du climat) réalise une nouvelle et immense niche écologique où persisteront les mutants préadaptés de la population antérieure ; ces préadaptés s’étendront à la fois dans l’espace et le temps. Une population quelconque renferme une abondance de mutants dissimulés par l’hétérozygotie. Lorsqu’une nouvelle niche se réalise, les mutants les mieux adaptés aux nouvelles conditions sont avantagés ; ils survivent et se multiplient grâce à la sélection. Le milieu avantage le nouveau type parmi les mutants préadaptés de la population originale. Pour Goldschmidt, la mutation antérieure à tout changement réalise une préadaptation et représente un phénomène essentiel.

George Gaylord Simpson, partisan convaincu de la théorie synthétique de l’évolution, considère la préadaptation comme un phénomène réel jouant un rôle dans l’évolution ; mais il faut réserver l’action décisive de la sélection dans l’utilisation de la structure préadaptative. Simpson estime que « préadaptation et postadaptation sont les phases d’un unique processus où la sélection joue, de bout en bout, un rôle de conditionnement ».

Les néo-darwinistes considèrent la préadaptation comme un principe universel qui intervient dans tous les phénomènes : peuplement des places vides, des nouveaux milieux ; résistance aux maladies, aux microbes pathogènes, aux antibiotiques, aux insecticides avec formation de lignées résistant à ces divers facteurs. Des tests (test de la fluctuation, test des répliques) ont d’ailleurs montré que les populations bactériennes en culture renferment des mutants résistant à différents agents (Bactériophages, antibiotiques...) ; ces mutants existent dans la culture avant l’action de ces agents, et leur présence est totalement indépendante de l’intervention de ces facteurs.

Toute adaptation serait précédée d’une préadaptation ayant pour origine des mutations nées au hasard. Par le jeu de la sélection, les préadaptés, avantagés dans une nouvelle circonstance, se maintiennent et s’adaptent aux conditions actuellement réalisées.

Il semble qu’une préadaptation, l’aptitude à l’hibernation, explique la répartition géographique des Chauves-Souris (André Brosset). D’origine tropicale, les Chauves-Souris sont représentées dans toutes les zones climatiques. Expérimentalement, il est démontré que certaines Chauves-Souris tropicales sont capables de se mettre en hibernation profonde alors que d’autres en sont incapables. On constate que les espèces tropicales capables d’hiberner (Vespertilions, Rhinolophes) ont des représentants dans les régions paléarctique et néarctique, où le climat est froid ; les espèces inaptes à l’hibernation (Hipposideros, Mégadermes, Emballonuridés) vivent uniquement sous les tropiques, leur homéothermie étant responsable de cette limitation.

La préadaptation, permettant de résister physiologiquement au froid, a conditionné l’extension, vers les régions froides, des espèces dotées de cette faculté potentielle, inutile sous les climats chauds et qui ne peut être considérée comme une adaptation à la vie tropicale. Au contraire, les espèces privées de cette préadaptation sont cantonnées dans les zones à climat tropical.


Adaptation et finalité

Pour certains biologistes, la notion d’adaptation pose le problème de la finalité. La recherche et l’attribution d’un rôle à tous les organes présentent un double effet. Ainsi ont été découvertes des fonctions encore insoupçonnées, et le résultat était positif. Mais une conception naïve et anthropocentrique de la nature en est souvent résultée ; les Harmonies de la nature (1815) de Bernardin de Saint-Pierre en renferment des exemples classiques. Cette tendance fâcheuse a jeté un discrédit sur l’adaptation en l’auréolant de téléologie.

Par antifinalisme, d’autres biologistes ont été jusqu’à nier la réalité des adaptations. Étienne Rabaud a voulu démontrer que toutes les adaptations sont illusoires. Avec raison, il a dénoncé de fausses interprétations téléologiques. Mais, à son tour, il a exagéré en proclamant que rien ne sert à rien ; l’expérimentation infirme cet aphorisme.

Les néo-darwinistes, qui ne sauraient être taxés de finalisme, reconnaissent non seulement la réalité de l’adaptation, mais son importance. Ils estiment qu’elle n’est aucunement liée à une téléologie, puisque la sélection la dirige et assure son succès.

Préadaptation, adaptation, évolution sont intimement liées ; toute théorie explicative de l’évolution doit expliquer la genèse des adaptations.

L’adaptation se présente comme une structure fonctionnelle ; son mécanisme d’édification est inconnu ; le biologiste comprend seulement que le développement des adaptations exige des durées considérables, des dizaines de millions d’années. Toute adaptation implique des corrélations multiples qui assurent un excellent fonctionnement, ce qui complique encore le problème. Les adaptations sont conditionnées génétiquement, et leur formation est analogue à celle de tous les éléments de l’organisme à partir du zygote. C’est un problème d’ordre embryologique. Biochimie, biophysique et génétique moléculaire expliqueront peut-être le dynamisme du zygote. La synthèse des protéines, leur spécificité, la conception actuelle du gène et de la mutation, les réactions enzymatiques conditionnées par les gènes constituent des faits essentiels de la différenciation cellulaire. Peu à peu les questions reçoivent une solution ; celles qui sont posées par l’adaptation sortiront-elles bientôt du domaine des hypothèses et des spéculations ?

A. T.

➙ Acclimatation / Évolution.