Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

vétérinaire (art) (suite)

Le monde médiéval est, pendant toute son histoire, désolé par les contagions, communes ou non aux Hommes et aux animaux : invasions successives de peste bovine pendant plusieurs siècles, clavelée importée du Northumberland, influenza chez les Chevaux, variole des Chevaux, des Bovins, des Moutons et des Chèvres, qui meurent par milliers. Presque toutes les épizooties des Bovins viennent de l’Orient, observation que Pline avait déjà faite en Italie au sujet de la peste humaine : elles ne sont pas de longue durée, car elles détruisent entièrement et rapidement les troupeaux. Il s’agit ici d’une « police » sanitaire non imposée. À certains moments, les maladies frappent en même temps l’Homme et les animaux, comme c’est le cas lors de la terrible épidémie de variole, ou « mort noire », au milieu du xive s.

Un empirisme grossier caractérise alors la médecine, qu’elle s’adresse à l’Homme ou à l’animal, bien que les traumatismes bénéficient d’utiles interventions.

Dans l’art vétérinaire, un événement se produit au ixe s. : la ferrure à clous, importée d’Orient, érigée en un art noble au point de faire figurer le fer à cheval dans les blasons. Très vite se constitue la catégorie des forgerons-ferreurs, collaborateurs du « mareschal » pratiquant la médecine (interventions manuelles sur le Cheval, petite chirurgie, administration de médicaments).

La Renaissance apportera peu à la médecine malgré la distinction qui s’établira entre les maréchaux, exerçant une médecine simpliste, et les maréchaux-ferrants.

Parmi les ouvrages qui traitent de la médecine animale, il faut citer : le Livre de maréchallerie, de Giordano Ruffo di Calabria (vers 1250) ; plusieurs pages du grand médecin que fut Paracelse consacrées aux maladies animales (farcin, morve, lithiase urinaire) avec des précisions sur la pharmacopée et la chimiothérapie, ce qui le fit accuser de bavardage avec des « médecins vétérinaires non encore parvenus à maturité » ; une Encyclopédie de Thomas Blundeville, de Cambridge, consacrée au Cheval et dont la dernière partie, parue en 1565, traite de ses maladies pour inciter à son élevage et à l’équitation.

Enfin paraît en 1598 l’ouvrage monumental de Carlo Ruini (1530 ?-1598) sur l’Anatomie et les infirmités du cheval, avec des planches d’une grande valeur artistique et démonstrative témoignant de la qualité de ce grand anatomiste. Ce livre marque le début de la connaissance scientifique du Cheval.

Du xve au xviiie s., les épizooties continuent à sévir en permanence dans plusieurs régions, s’étendant parfois à tout le continent, en raison sans doute des déplacements du bétail dus à l’approvisionnement des armées :
— le « tac », maladie éruptive commune à l’Homme et aux Brebis, peut-être rougeole et clavelée maligne ;
— la fièvre aphteuse, ravageant le nord de l’Italie, la France et l’Angleterre au début du xvie s. et signalée à plusieurs reprises ;
— une gale très sévère en France, en Allemagne et probablement dans toute l’Europe, spécialement chez les Moutons ;
— la clavelée dans le sud-est de la France ;
— une maladie contagieuse, non identifiable, sévissant chez les Chats ;
— des affections parasitaires (distomatose entre autres) des Veaux et des Génisses ;
— une fièvre indéterminée chez les Bovins, en Allemagne et en Italie du Nord, coïncidant avec une fièvre de l’Homme ;
— la péripneumonie contagieuse des Bovins ;
— la morve, enzootique dans les armées, d’autant plus grave que la notion de contagion est souvent ignorée et qui cause des pertes aggravées par la transmission à l’Homme ;
— des épizooties de rage chez le Chien et les carnassiers sauvages, entraînant la mort de beaucoup de personnes, en France et dans toute l’Europe ;
— et toujours la peste bovine.

À ce bilan très incomplet, il faudrait ajouter les charbons et d’autres maux dont la contagiosité était méconnue ou seulement soupçonnée.

Les écoles médicales se multiplient, mais rien de semblable ne se crée pour la médecine des animaux, que les médecins de l’Homme dédaignent malgré le secours que leur apportent, pour la recherche, les observations et les études de tous ordres sur l’animal. Quelques tentatives isolées restent sans suite.

Au xviiie s., les écuyers, maîtres en équitation, dominent les maréchaux, mais le savoir des uns et l’expérience des autres ne peuvent parvenir à juguler les graves maladies qui se manifestent. La rage, la morve, les charbons et le typhus chez le Cheval, la peste, les charbons, la péripneumonie et la fièvre aphteuse chez les Bovins, la clavelée, la gale et la distomatose chez les Ovins, la peste et les affections éruptives chez le Porc provoquent une mortalité élevée.

Faute de traitements appropriés s’instaure une véritable police sanitaire comportant l’abattage et l’isolement.

En France, les guerres et les troubles politiques ont décimé les cavaleries, et le mauvais état sanitaire du bétail est une des causes de la misère paysanne, la richesse ne résidant pas seulement dans le progrès agricole et les produits de la terre. La peste bovine, notamment, a provoqué des ravages considérables, et l’insuffisance alimentaire est la conséquence de ces fléaux.

À cette époque, la situation sociale du vétérinaire, qui n’a rien de commun avec celle du médecin, s’apparente avec celle du chirurgien, entraînant une véritable confraternité et même une assistance mutuelle.

Quelques praticiens s’efforcent d’acquérir une réelle compétence par la dissection, la lecture de traités de physiologie, l’observation, l’apprentissage et des échanges de connaissances. Les circonstances deviennent favorables pour qu’une ère nouvelle apparaisse, point de départ d’une médecine animale digne de ce nom.

La rencontre, puis une solide amitié réciproque d’un homme politique, Henri Léonard Berlin (1720-1792), intendant de la généralité lyonnaise, et d’un encyclopédiste, avocat, « écuyer du roi », Claude Bourgelat (1712-1779), aboutissent rapidement à la fondation, dans des conditions du reste très précaires, de la première école vétérinaire créée dans le monde, à Lyon, en 1762, puis de sa sœur cadette à Alfort en 1766. Une troisième école sera créée plus tard, en 1828, à Toulouse. Une quatrième devrait être prochainement établie en Loire-Atlantique, près de Nantes.

L’institution des écoles vétérinaires ne procède alors nullement d’une inspiration philosophique ou médicale, mais, essentiellement, de besoins économiques et utilitaires. Quoi qu’il en soit, les assises d’un enseignement rationnel sont posées.