Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Venise (suite)

La lutte pour la survie


Une économie en mutation

En 1498, l’arrivée de Vasco de Gama en Inde par la route du Cap détourne au profit de Lisbonne le trafic des épices et du poivre, monopolisé jusqu’alors par Venise à Alexandrie. La suppression de certaines taxes, la création en 1506 de cinq Sages au commerce (Savi alla mercanzia) chargés d’assainir le marché permettent aux Vénitiens de s’imposer au détriment des Portugais comme principaux redistributeurs européens de ces produits, qu’ils écoulent jusqu’en 1580 aux foires de Lyon et que les Allemands viennent acheter au fondaco dei Tedeschi, très spacieusement reconstruit après l’incendie de 1505.

L’accroissement des activités bancaires soumises en 1524 au contrôle des Provveditori sopra banchi, le maintien de l’activité des chantiers de construction navale (4 000 ouvriers à l’arsenal), la qualité des produits des industries traditionnelles (verreries, glaces, ébénisterie, cuirs, dentelles), l’essor de l’industrie lainière, l’apport de Chypre et de la Crète prolongent jusqu’au-delà de 1570 la prospérité économique de Venise. L’extension de la Terre Ferme par la conquête de Crémone en 1500 lui assure enfin les revenus agricoles des régions bonifiées dans la zone des lagunes, dans la vallée de l’Adige et dans le Frioul. Réalisés par des hommes d’affaires sédentarisés qui ont investi en biens fonciers une partie de leurs bénéfices marchands, ces travaux traduisent un nouvel équilibre de l’économie vénitienne, dont les revenus ne proviennent plus pour l’essentiel des colonies orientales (500 000 ducats en 1571), mais de la Dominante (700 000) et surtout de la Terre Ferme (800 000).

L’accroissement de la population (2 millions en 1500 ; 2 670 000 en 1586) soutient la consommation et favorise l’urbanisation de la Terre Ferme, où Vérone (52 000 hab.), Brescia (43 000) et Padoue (34 000) deviennent les brillants satellites de la métropole vénitienne, qui compte vers 1453 100 000 habitants, et en 1563 168 500.

Accueillante aux savants et artistes grecs tels que Bessarion qui fuient les Ottomans depuis le début du xve s. et en font un foyer d’humanisme illustré par Pietro Bembo* (1471-1547), bénéficiant depuis l’annexion de Padoue de l’apport culturel de son université (droit, philosophie, grec), disposant grâce aux Manuce (Manuzio) d’une importante imprimerie, Venise ajoute alors le marbre à sa parure d’eau. Le Rialto et San Marco, unis depuis la fin du xive s. par la rue commerçante de la Merceria, sont encore au xvie s. les foyers respectifs de la vie des affaires et de la vie politique de Venise. Le pont du Rialto, primitivement en bois, mais reconstruit en marbre par Antonio Da Ponte, assure à son extrémité occidentale les liaisons avec les trois sestiers de la rive droite (San Polo, Santa Croce et Dorsoduro), dont l’urbanisation s’achève et où les activités bancaires se concentrent autour de l’église San Giacomo del Rialto. Des trois quartiers de la rive gauche, Cannaregio, Castello et San Marco, le plus important est San Marco, où s’élèvent, à l’autre extrémité de la Merceria, le palais ducal, résidence du doge et des conseils, et la chapelle de ce palais : la basilique Saint-Marc, à proximité de laquelle s’élèvent les Procuraties et en 1496 la fière tour de l’Horloge, tandis que se poursuit, depuis le xive s., la construction de magnifiques palais, notamment le long du Grand Canal. Dans ce cadre somptueux, où s’épanouit le talent de peintres de génie (les Bellini, Titien), se déroule la fête vénitienne, particulièrement éblouissante lors de l’élection du doge et lors du carnaval. Mais celle-ci ne fait que cacher le déclin de la République, irrémédiable dès la fin du xvie s.


Du maintien des institutions à la perte de l’indépendance

En interdisant en 1297 l’arrivée au pouvoir des homines novi par la serrata del Maggior consiglio, l’aristocratie vénitienne empêche l’instauration d’une seigneurie personnelle : en 1310, la conspiration de Baiamonte Tiepolo échoue, son auteur s’enfuit et le Conseil des Dix est institué ; en 1354, celle du doge Marino Falier n’aboutit qu’à la déposition et à l’exécution en avril 1355 de ce dernier. Mais, en même temps, elle provoque la sclérose du corps politique et social d’un État que son extension en Terre Ferme entraîne à pratiquer une dangereuse politique continentale. Combattant tour à tour Charles VIII au sein de la Sainte Ligue, constituée en 1495, puis Louis XII, qui la vainc en mai 1509 à Agnadel au nom d’une autre Sainte Ligue animée par le pape Jules II, retrouvant ensuite l’alliance de ce dernier contre la France, Venise subit le contrecoup des conflits qui opposent les Valois, puis les Bourbons aux Habsbourg. Suivant généralement les premiers jusqu’en 1529 et dans la première moitié du xviie s., elle empêche les seconds de se rendre maîtres absolus des passes alpestres (Valteline, etc.). Mais, pendant ce temps, les Ottomans s’emparent de Nauplie, de Malvoisie et de presque toutes les îles de l’Égée, dont la perte est consacrée par la paix d’octobre 1540. En partie compensée par la participation de Sebastiano Venier à la victoire de la Sainte Ligue du pape Pie V à Lépante le 7 octobre 1571, l’abandon de Chypre amorce un recul en Méditerranée orientale qui s’achève avec la reddition en septembre 1669 de Candie et de la Crète. Apparemment compensée par la reconquête de la Morée, que lui cède l’Empire ottoman en 1699, cette perte de la Crète sonne le glas de la puissance de Venise, à laquelle les Turcs reprennent la Morée (1714-15), dont l’abandon est consacré par la paix de Passarowitz (1718).

Repliée à l’intérieur de digues solides (murazzi), Venise tente de s’isoler. En vain. Occupant Vérone en juin 1796, puis Bergame et Brescia en 1797, Bonaparte songe d’abord à réduire Venise à ses lagunes. Mais, après les sanglantes Pâques véronaises du 17 avril 1797, il contraint le Grand Conseil à prononcer sa propre déchéance, et le doge Ludovico Manin à abdiquer le 12 mai 1797 ; puis il cède la Sérénissime à l’Autriche en vertu du traité de Campoformio du 18 octobre 1797.