Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Venezuela (suite)

L’effondrement des prix du café affaiblit la position de Páez ; le vieux tyran est trahi par le président José Tadeo Monagas (1784-1868), qu’il a choisi en 1846 ; en janvier 1848, il échoue dans une tentative de rébellion et part pour l’exil. De 1846 à 1858, les frères Monagas (José Tadeo et José Gregorio [1795-1858]) alternent au pouvoir et ne succombent qu’à la coalition des libéraux et des conservateurs (5 mars 1858). Le retour à l’anarchie permet à Páez de faire une dernière tentative en septembre 1861. Sa chute en juin 1863 marque le triomphe définitif de la « révolution fédérale ».


Le Venezuela de Guzmán Blanco (1863-1888)

Fils d’un praticien qui avait été l’idole de la plèbe de Caracas et le champion de la cause libérale, Antonio Guzmán Blanco (1829-1898) se fait, comme son père, le porte-parole du mécontentement populaire. La nouveauté de son libéralisme consiste en ses accents populistes : dénonciation des banquiers de Caracas, des commerçants et des grands propriétaires. Sa pratique révèle une continuité plus importante. Au pouvoir, le tribun de la plèbe fait la politique de ces élites socio-économiques qu’il dénonce dans l’opposition. Progressisme et autoritarisme caractérisent cette forme de pouvoir personnel, de despotisme éclairé, de césarisme. Le théocrate Gabriel García Moreno en Équateur, le libéral Porfirio Díaz au Mexique sont ses frères. Il se distingue d’eux par la lutte violente qu’il mène contre l’Église et par le culte de la personnalité qu’il suscite. Pendant près de trente ans, il dirige le Venezuela soit personnellement (1870-1877, 1879-1884, 1886-1888), soit par délégation du pouvoir présidentiel. Le système politique mis en place fonctionne si bien que le maître peut s’absenter et le laisser aux mains de son médiocre intérim.

L’oligarchie prend ainsi l’habitude de ne plus exercer directement le pouvoir et se résigne à le laisser aux généraux ayant gagné leurs lauriers en d’absurdes guerres civiles. Le peuple est discipliné. L’armée se taille la part du lion dans le budget, pour le plus grand profit de l’aristocratie pauvre qui fournit les officiers. Cette armée tient le pays alors que les politiciens de Caracas se contentent des apparences du pouvoir. Dans le Venezuela de Guzmán Blanco, les structures sont solidement établies.


Le Venezuela des généraux andins (1899-1945)

On trouve la preuve de cette stabilité dans le fait que la chute du maître, en 1888, conduit, au bout de onze années de trouble, à l’avènement du général Cipriano Castro (1858-1924). Cela signifie l’avènement des officiers des archaïques et pauvres provinces andines, après la conquête du pays par leur armée de montagnards. Les données fondamentales ne sont pas remises en question, et l’hégémonie des nouveaux venus dure près de cinquante ans. Castro suit les grandes lignes de la politique de Guzmán Blanco, à une exception près, celle de la diplomatie. De par son origine provinciale ou son manque de préparation, Castro, peu conscient des liens commerciaux entre son pays et le monde, se laisse entraîner dans un grave conflit avec l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Italie. Heureusement pour lui, les États-Unis voient d’un mauvais œil cette intrusion européenne dans la chasse gardée de Monroe, et leur intervention évite le désastre. La leçon n’est pas entendue puisque Castro s’en prend à la Hollande, maîtresse de l’île de Curaçao, ce qui vaut à son pays blocus et bombardement (1902).

Parti se soigner en Europe, il se fait évincer en décembre 1908 par son lieutenant, le général Juan Vicente Gómez (1859-1935), qui se hâte de se réconcilier avec les créanciers et les puissances étrangères. Élu en 1910 président de la République, Gómez instaure une dictature qui, sous le nom de « Restauration », demeure la plus longue dans l’histoire du Venezuela (1910-1935). Ce quart de siècle-est marqué par un phénomène politique, le terrible Gómez, et par un phénomène économique, la découverte du pétrole.

Gómez, chef de clan, homme à cheval descendu de ses montagnes, gouverne le pays comme il gouvernait son hacienda et son fief, en cacique. Sa férocité est sans égale contre les opposants, qui sont périodiquement massacrés. Du coup, l’ordre règne dans les villes et dans les campagnes, dans la politique et dans l’économie. Les formes de la légalité sont respectées : Gómez abandonne périodiquement le pouvoir à des gens sûrs, surveillés de près. Cela s’accompagne de la corruption générale et de la vente du pays aux intérêts étrangers : même si les compagnies font des affaires prodigieuses, il reste de quoi enrichir tous les militaires, tous les politiciens, et de quoi entreprendre de grands travaux. Le pétrole a jailli pour cela, lui qui fait du pays un des plus gros producteurs, lui qui rapporte en 1930 une somme équivalente à quatre fois le revenu national de 1915... Et pourtant, les compagnies ne versent que 8 p. 100 des bénéfices.

Le pétrole va changer la vie du pays, même si la politique n’est pas affectée. L’argent qui inonde le pays bouleverse la géographie humaine, les campagnes se déversent vers la zone pétrolière et vers les villes. La mort de Gómez, en 1935, saluée par une explosion de joie, permet le passage progressif de la tyrannie à la dictature éclairée, sous la direction des généraux Eleazar López Contreras (1936-1941) et Isaías Medina Angarita (1941-1945).


La démocratie et l’armée : Betancourt et Pérez Jiménez (1945-1958)

De 1936 à 1958, le produit national brut a grandi au taux prodigieux de 8 p. 100 par an ; les répercussions sur les structures socio-économiques entraînent la crise politique. Le gouvernement de Medina Angarita, jugé trop mou face aux compagnies pétrolières, est renversé en octobre 1945 par des officiers nationalistes, au profit du parti d’opposition action démocratique (A. D.). L’appui des militaires permet alors une brève expérience démocratique et réformiste, présidée par Rómulo Betancourt (né en 1908), chef du parti. En 1947, le candidat de l’A. D., le célèbre romancier Rómulo Gallegos*, gagne les élections à une écrasante majorité, mais il est renversé l’année suivante (nov. 1948) par une junte militaire. L’armée prend alors le pouvoir et l’exerce à travers le général Marcos Pérez Jiménez (né en 1914), qui rappelle fortement Gómez. L’histoire se répète : violence, corruption, grands travaux, d’autant plus gigantesques que le boom pétrolier est à son apogée. Les efforts entrepris par l’A. D. pour diversifier l’économie et « semer le pétrole » ne sont pas poursuivis puisqu’une conjoncture favorable permet de donner au peuple du pain et des jeux. Lorsqu’en 1958 les affaires se ralentissent, Pérez Jiménez perd rapidement de sa popularité, et l’armée le dépose (janvier). Les militaires organisent des élections libres qui rappellent Betancourt de son long exil.