Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Vendée (guerre de)

Insurrection contre-révolutionnaire qui eut lieu en Vendée à partir de 1793.



Un problème difficile

« Pour Dieu et pour le roi ! » Au cœur des Mauges, dans la ferme tassée entre les chemins creux et que le rideau d’arbres et de haies vives protège des regards, comme dans la bourrine au milieu des bois du marais, c’est la phrase que répète à l’enfant l’aïeule éducatrice. C’est elle que redit le prêtre à l’école du dimanche et que reprend, incantatoire, le chœur des jeunes à la veillée ou dans l’assemblée du village. « Pour Dieu et pour le roi ! » c’est la psalmodie de la foule paysanne qui, l’été venu, part en procession vers un de ces hauts lieux du martyrium des « Blancs » que possède chaque communauté vendéenne ou bretonne. La guerre des géants se réduit-elle à la volonté de sauver le régime que l’on va dire ancien, la foi des pères ?

Pour le roi ? Dès l’Empire, c’est ce que prétend un fonctionnaire, Alphonse de Beauchamps. Il écrit dans son Histoire de la guerre de Vendée (1806) que l’insurrection a été préparée par des nobles en accord avec l’aristocratie étrangère. La levée des 300 000 hommes décidée par la Convention en février 1793, impopulaire chez les paysans, aurait hâté le jour du soulèvement, car les conjurés étaient assurés de mobiliser les fermiers et leurs domestiques. En 1815, la marquise de La Rochejaquelein vient, à cette thèse, apporter sa caution. Il existait bien, dit-elle dans ses Mémoires, un complot qui, débordant le cadre de la Bretagne et de la Vendée, visait par une contre-révolution générale à établir le Dauphin dans ses droits. Dès lors, royalistes et républicains répéteront à l’envi cette thèse, exaltante pour les premiers, sécurisante pour les seconds puisqu’elle explique la révolte d’un peuple égaré contre la patrie commune.

Pour Dieu ? À la thèse du complot des nobles s’ajoute très tôt celle du complot des prêtres. Les réfractaires et avec eux leurs paroissiens violentés dans leur conscience ont pris les armes pour défendre la foi. Michelet et E. Quinet, après le général Turreau et Savary, feront cette lecture de la guerre de Vendée.

Complot ou révolte spontanée d’un peuple qu’on opprime ? En 1841, le légitimiste Jacques Crétineau-Joly est le premier à soutenir cette seconde proposition que reprendront, plus près de nous, des historiens comme Pierre de La Gorce ou Émile Gabory. Pour mieux comprendre la révolte, ne fallait-il pas d’abord commencer par connaître les révoltés ? Cette nouvelle interprétation eut le mérite de susciter des recherches sociologiques qui furent marquées par les travaux de Richard M. Andrews, de Paul Bois, de Marcel Faucheux et de Charles Tilly. Ils nous aident à mieux comprendre l’hostilité de ces campagnes contre la bourgeoisie révolutionnaire. Dans l’ouest du haut Maine, on voit ainsi cette bourgeoisie accapareuse des terres et concurrente victorieuse des paysans, auxquels elle demande plus âprement que les nobles les paiements des droits seigneuriaux. Dans les Mauges, la noblesse « absentéiste » confie le recouvrement de ses droits seigneuriaux à des « fermiers généraux », bourgeois des villes qui en élèvent le taux pour en tirer bénéfice. Au contraire, à l’est de la Sarthe, où les « Bleus » auront leurs bastions, la bourgeoisie vit en symbiose avec une population rurale où sont nombreux les artisans du textile qui protestent contre la réglementation de l’Ancien Régime. Ainsi y a-t-il une coupure sociologique dans les pays insurgés entre bourgeois révolutionnaires et paysans.

Mais si cette situation, grosse d’antagonismes, rend compte de l’âpreté et de la durée d’une guerre qui marque encore la psychologie collective des hommes de l’Ouest, ne faut-il pas aussi rappeler ce que les historiens classent trop facilement parmi les causes immédiates de la lutte et qui fait partie des causes profondes : le tribut en hommes demandé par la République. Dans la « cavée » de la vigne comme dans le « cheintre » du bocage, cette terre de bonne amitié que le paysan, en se penchant, pétrit de ses doigts habiles, c’est le reste des ancêtres qui, vivants et morts, se firent glèbe pour nourrir les générations futures. En un temps où les progrès techniques sont minces, la terre ne rapporte que le travail accumulé de tous ses fils. Les enlever, c’est condamner le pays à mourir ; or, la République exige pour la défense des frontières un contingent de jeunes insupportable ; c’est que les levées de « volontaires » précédentes ont moins frappé la Vendée et la Bretagne que les autres départements. Il faut donc maintenant payer les arriérés de l’impôt du sang et les verser pour une patrie que l’on ne comprend pas. Plus qu’en aucune autre région de France, l’habitant de ces régions est incapable de se hausser au niveau de l’aventure collective dans laquelle la Révolution entraîne les Français. Ici, et pour longtemps, la « patrie » se borne à la dernière haie qui limite le terroir cultivé. Au-delà finit la vie. S’éloigner du village, c’est quitter le monde des vivants. C’est ce qu’exprimeront ces foules rurales quand, sous l’Empire, elles accompagneront d’un De profundis les conscrits de Napoléon.


La lutte terrible

« La paix, la paix, pas de tirement ! » À Saint-Florent-le-Vieil, le 12 mars 1793, les paysans rassemblés refusent le tirage au sort des « volontaires ». En quelques jours, le mouvement fait tache d’huile, et, armés de gourdins, de fourches et de faux, les paysans attaquent les gardes nationaux, les prêtres constitutionnels, les hommes de la levée de l’impôt ou du recrutement des hommes. À leur tête, les premiers temps, point de nobles, mais des gens du peuple : un voiturier, faux-saunier que la disparition de la gabelle gêne, Cathelineau ; un ancien soldat devenu garde-chasse, Stofflet ; un procureur, Souchu ; un chirurgien, Joly ; un perruquier, Gaston.

La lutte prend très vite un caractère de férocité qu’elle conservera tout du long. À Machecoul, pendant un mois, on fusilla, on mutila et on empala même ceux que l’on arrêtait. Les troupes républicaines (les « Bleus »), peu nombreuses et parfois aux ordres de généraux sans-culottes sans aucune capacité, sont partout débordées et battues : celle de Wesermann à Châtillon le 5 juillet, celle de Santerre à Vihiers le 13. Mais déjà les nobles ont pris la relève des roturiers pour encadrer ce qui va devenir la « grande armée » catholique et royale, et les troupes républicaines commencent à connaître les noms de Charette, un ancien lieutenant de vaisseau, de Bonchamps et de d’Elbée, de Lescure, et de La Rochejaquelein. La marquise de La Rochejaquelein nous renseigne sur la tactique pratiquée par les « vendéens » : « Elle consistait à se répandre en silence derrière les haies, tout autour des « Bleus ». On tirait ensuite des coups de fusil de tous côtés ; et à la moindre hésitation, au premier mouvement des républicains, on s’élançait sur eux avec de grands cris... Cette manière de faire la guerre paraîtra singulière ; mais elle est appropriée au pays. D’ailleurs, il faut songer que les soldats ne savaient pas faire l’exercice, et qu’à peine distinguaient-ils leur main droite de leur main gauche... L’armée n’était jamais assemblée plus de trois ou quatre jours. La bataille, une fois gagnée ou perdue, rien ne pouvait retenir les paysans ; ils retournaient dans leurs foyers. Les chefs restaient seuls avec quelques centaines d’hommes qui n’avaient pas de famille. » Force d’une armée qui se bat chez elle, faiblesse d’une troupe de paysans pris entre les nécessités du combat et celles de la culture de leurs champs.