Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

variation (suite)

Du thème varié à la grande variation

Les thèmes populaires, qui, du milieu du xvie à celui du xviie s., servaient d’assise aux nombreuses variations, devaient, un temps, s’estomper devant les cantus firmus de chorals aux commentaires complexes, pour réapparaître dans le premier tiers du xviiie s. C’est l’époque des noëls populaires des Nicolas Lebègue (1631-1702), Louis Claude d’Aquin (1694-1772), Jean-François d’Andrieu (1682-1738), puis Claude Balbastre (1727-1799), dont les variations parfois un peu faciles, mais parfois aussi ingénieuses, souples et brillantes, soulevaient l’enthousiasme de leurs contemporains. C’est encore l’époque des airs variés — en France, airs à « doubles » —, qui fleurissent dans les suites de Jean Henri d’Anglebert (1628-1691) ou de Jean-François d’Andrieu, de Händel*, de Rameau* entre autres. Avec la mort de Bach, dont l’air avec trente variations (Variations Goldberg) domine de très haut les précédents, s’ouvre la période galante, qui ne pouvait que s’accommoder de ces pages aimables. De qualité « variable », celles-ci inonderont désormais la littérature instrumentale. Qu’on en juge par le nombre de ces thèmes variés qui, de Haydn à Schönberg, prolifèrent dans la littérature pianistique ou s’insèrent dans la musique de chambre (sonates, trios, quatuors, quintettes, etc.) et symphonique. Les premiers, Haydn* et Mozart*, reprennent de simples chansons populaires ou des airs d’opéra à la mode comme prétexte à leurs variations. Aux dires même du maître de Salzbourg, celles-ci sont souvent d’abord improvisées. Tous deux contribueront de façon décisive à orienter ces élégantes et ingénieuses arabesques vers une prédominance mélodique où le thème, bien que traité avec une liberté extrême, garde toujours sa prééminence. Si, dans ses premiers airs variés, Beethoven* se rattache encore à ceux de ses immédiats et grands prédécesseurs, il rompt définitivement ses amarres initiales avec la Grande Fugue op. 133 pour quatuor à cordes, les variations des sonates op. 109 et 111 pour piano et surtout avec les fameuses Variations Diabelli. Il définit alors une nouvelle conception de cette forme qui rejoint les royaumes de l’imaginaire et de l’invention pure : c’est la « grande variation ». Dernière œuvre pianistique de Beethoven, ces trente-trois variations sur une valse de l’éditeur Anton Diabelli (qui inspira également Schubert) dépassent par leur perfection les dernières sonates du maître de Bonn. Il n’est plus question de variation, mais bel et bien de transformation, d’amplification et de transcendance d’un thème anodin dont Beethoven conserve seulement — minces analogies — le filigrane harmonique, le nombre de mesures et l’incipit anacrousique ! Cette œuvre prophétique devait profondément marquer les virtuoses romantiques, les maîtres de l’école française comme ceux de l’école de Vienne.


La variation postbeethovénienne

Si certains compositeurs comme Weber* (variations sur un air de Castor et Pollux) ou Schubert* (octuor en fa, quintette la Truite) perpétuent une tradition plutôt mozartienne de la variation, il en va tout autrement avec Mendelssohn, Schumann et Brahms, véritables continuateurs de Beethoven, dans la lignée desquels s’inscriraient en France, à la suite de C. Franck, V. d’Indy, G. Fauré et P. Dukas. Par le choix même du titre — Variations sérieuses — et bien sûr par leur conception, Mendelssohn* réfute l’esthétique immédiatement antérieure de cette forme. Schumann*, lui, exploite minutieusement et en profondeur le procédé de la variation amplificatrice dans les Études symphoniques et dans le Carnaval pour piano, dont le thème de quatre notes (la, mi bémol, do, si) lui est donné par la transcription musicale du nom de la ville d’Asch (ou Aš), chère à son cœur. En disciple fidèle et consciencieux, Brahms tente de poursuivre la voie tracée par son génial aîné tant dans ses œuvres pianistiques (Variations sur un thème de Schumann, Variations et fugue sur un thème de Händel, Variations sur un thème de Paganini) que symphoniques (Variations sur un thème de Haydn). En France, C. Franck* occupe une place à part dans l’histoire de la variation, par le modernisme de la conception des Variations symphoniques et par son deuxième choral pour orgue. C’est à Franck que sont redevables les variations d’Istar de V. d’Indy*, Thème et variations de Fauré* ainsi que Variations, interlude et finale sur un thème de Rameau de P. Dukas*.

Dans une optique moins novatrice peut-être, mais tout aussi géniale dans leur perspective décorative, apparaissent parallèlement les variations de Chopin*, de Liszt* et de Saint-Saëns*. Si le premier fut relativement peu attiré par cette forme (Berceuse, Variations sur « La ci darem la mano » de Mozart), l’œuvre du grand compositeur hongrois repose presque intégralement sur cet art de la métamorphose perpétuelle et fécondante, soit, pour plaire, en de gigantesques paraphrases de bravoure sur des airs d’opéras de Bellini, de Donizetti, de Gounod ou de Meyerbeer, entre autres, soit parce qu’elle répond à son imagination débordante, dont témoignent ses bouillantes improvisations (Prélude et fugue sur le nom de B. A. C. H. ; Fantaisie et fugue sur le choral « Ad nos ad salutarem undam » de Meyerbeer ; Danse macabre pour piano et orchestre ; Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen, pour piano ou orgue). Dans ses Variations sur un thème de Beethoven, C. Saint-Saëns envisage cette forme sous un aspect d’amplification progressive de la virtuosité. À leur image, les Russes sacrifient à ce genre (Prokofiev*, 3e concerto pour piano ; Stravinski, Pulcinella).

Restent les maîtres de l’école de Vienne, qui bouleversent un langage vieux de six siècles, mais emploient, avec la série, un ultrathème qui rejoint les classiques procédés de variation et se confond avec eux (série rétrograde, renversée, rétrograde-renversée, etc.). Tous adoptent en outre les cadres traditionnels de la variation : Schönberg* dans ses Variations op. 31 pour orchestre ou ses Variations sur un récitatif, pour orgue ; Berg, dans Wozzeck ; Webern*, dans sa Passacaille op. 1, ses Variations op. 27 et op. 30.