Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Van Eyck (suite)

S’il semble être originaire du Limbourg, qui, à l’époque, relevait des princes-évêques de Liège, on ne sait où se situe sa formation. Entré au service de Jean de Bavière, futur comte de Hollande et précédemment prince de Liège, il séjourne au palais de La Haye d’octobre 1422 à septembre 1424 et y exécute différents travaux dont la trace est perdue. Le 19 mai 1425, il est nommé « varlet de chambre de Monseigneur le duc de Bourgogne ». Philippe le Bon devait connaître non seulement l’artiste, mais aussi l’homme. Dès le mois d’août 1426, il charge en effet celui-ci, établi à Lille, d’une mission secrète qui prendra plusieurs mois. L’année suivante, nouvelle mission, avec un passage à Tournai. Le retour se fait en 1428. Cette même année, Van Eyck s’embarque pour le Portugal avec les ambassadeurs du duc, chargés d’y aller demander la main d’Isabelle de Portugal. Et, selon la mode du temps, il peint le portrait de la princesse et l’expédie au duc. À son retour, il se fixe à Bruges, et s’y marie. En 1432, il achète une maison, y reçoit la visite du magistrat de Bruges et celle de Philippe le Bon, qui, en 1434, sera le parrain de son premier enfant. Le duc lui confie une nouvelle mission secrète en 1436 et sa vie s’achève le 9 juillet 1441. On est frappé du double aspect de cette vie. Bourgeois fastueux, Jan Van Eyck a dû faire montre de sérieuses qualités diplomatiques pour jouir pendant tant d’années de la confiance de Philippe le Bon. D’autre part, le contraste est grand entre l’œuvre du peintre et le milieu.

La cour de Bruges étale un luxe maniéré ; c’est le crépuscule brillant d’une époque. L’art de Jan Van Eyck échappe à ce climat et ouvre des voies nouvelles. Aux Pays-Bas, tout comme en France, la peinture se manifeste en premier lieu dans les manuscrits, souvent enluminés d’une manière admirable, mais relevant d’un art de cour empreint de préciosité. Aussi bien reconnaît-on la main de Van Eyck (v. 1420-1425) dans plusieurs miniatures des Très Belles Heures de Notre-Dame, dites « Heures de Turin » (Museo Civico, Turin), commencées au début du siècle par d’autres artistes pour Jean de Berry. Mais le peintre, chez Van Eyck, dépasse le miniaturiste. Non seulement il va travailler sur des panneaux de bois, mais il trouvera le moyen d’intégrer aux traditionnelles couleurs à la détrempe un liant qui en augmente la brillance et la solidité. L’effet est tel que l’artiste passera pour avoir inventé la peinture à l’huile (affirmation de Vasari*), ce qui est inexact. Mais nombre d’artistes se rendront à Bruges pour assimiler le nouveau procédé. Philippe le Bon, qui se veut le grand-duc d’Occident, ne demande qu’à les accueillir. Ainsi se crée avec Hans Memling*, Gérard David*, Petrus Christus une école de Bruges* dont Jan Van Eyck reste le maître incontesté.

La première œuvre (1432) par laquelle il s’impose à l’attention, le retable de l’Agneau mystique (cathédrale Saint-Bavon, Gand), a une histoire mouvementée. Longtemps disperse, il fut recomposé par le traité de Versailles, puis amputé par vol de quatre panneaux, dont deux furent récupérés. Ouvert, le polyptyque présente deux registres : le registre supérieur, composé de sept panneaux ; l’inférieur, de cinq. L’ensemble ne peut se comprendre sans faire appel à des liaisons d’ordre mystique, qui ont donné lieu à plus d’une exégèse : l’œuvre est à ce point chargée de symboles que l’intervention d’un théologien est tenue pour probable dans l’établissement de son programme. Les personnages du haut sont de grandeur naturelle, alors que ceux du bas sont notablement plus petits. En haut, la figure centrale, représentant Dieu en sa gloire, a fait l’objet de discussions entre les partisans du Père et ceux du Fils. À ses côtés, la Vierge, saint Jean-Baptiste, des anges musiciens et deux nus — Adam et Ève —, premiers modèles du genre dans la peinture flamande. En dessous, l’Adoration de l’Agneau mystique, flanquée d’un côté des juges intègres et des chevaliers du Christ, de l’autre des ermites et des pèlerins. Le retable fermé, le revers des volets montre dans la partie supérieure, en grisaille, une Annonciation, deux prophètes et deux sibylles ; en dessous, encadrant les deux saints Jean traités en grisaille, telles des statues, les portraits des donateurs, Joos Vijd et sa femme.

L’œuvre est peinte avec une calme maîtrise. Van Eyck n’a rien d’un mystique, il ne recherche aucune idéalisation. Un visage d’homme sans caractère lui suffit pour incarner Dieu, que seuls sa couronne et son riche manteau servent à distinguer du simple mortel. Son Adam et son Ève sont banals : ce sont les modèles qui ont posé devant lui. La Vierge, qu’il a représentée maintes fois, est toujours une jeune Flamande telle qu’on la rencontre encore de nos jours. Le surnaturel n’entame en rien son réalisme foncier. Dans un de ses tableaux les plus célèbres, la Vierge du chanoine Van der Paele (1436, Musée communal, Bruges), le donateur se trouve agenouillé à côté de la Vierge assise sur un trône, cependant que son patron, saint Georges, armé de pied en cap, salue. De l’autre côté, saint Donatien, mitre et chargé d’objets d’or, regarde la scène. Tout est net et précis. Une robe vaut un visage, un tapis n’est pas inférieur à une main. Dans la Vierge du chancelier Rolin (musée du Louvre), celui-ci, tout agenouillé qu’il soit, se trouve au même niveau que la Vierge, dont seule la couronne, qu’un ange tient au-dessus de sa tête, indique le caractère divin. C’est une jeune femme pensive tenant l’enfant sur ses genoux. Une échappée, par-delà les arcades qui ferment la pièce, permet de voir un vaste paysage, peint avec la même précision attentive. L’émotion n’est pas le fait de Jan Van Eyck. Certaines œuvres, de petites dimensions, ont pourtant une poésie indéniable. Le petit panneau de la Vierge à la fontaine (1439, musée des Beaux-Arts d’Anvers) est d’une grâce prenante, et la Sainte Barbe devant une église en construction, peinte en camaïeu brun (1437, Anvers), frappe par sa spiritualité autant que par son audace monumentale (v. cathédrale).