Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

valeur

L’analyse économique contemporaine manifeste depuis quelques années un renouveau d’intérêt à l’égard de la théorie de la valeur, alors que, jusqu’à un passé récent, elle l’avait exclue de son champ d’étude en raison du contenu philosophique ou même apologétique prise par elle : s’il en était ainsi, c’est que l’on estimait que la discussion de la notion de valeur s’achevait sur un débat à caractère idéologique.



Valeur d’usage, valeur d’échange

Traditionnellement, en partant de l’idée que tout agent économique, dans n’importe quel acte, est amené à choisir entre différents biens et à les classer en fonction de leur désidérabilité, la théorie économique a distingué entre la valeur d’usage et la valeur d’échange. On parle de valeur d’usage pour préciser que l’ordre de préférence des biens dépend de l’emploi qui en sera fait pour la satisfaction des besoins individuels : la valeur d’usage est donc subjective et psychologique. On parle de valeur d’échange pour préciser que l’ordre des biens dépend de leur rapport d’échange ou, plus simplement, de leur prix en argent : la valeur d’échange est donc sociale et objective. Elle est en quelque sorte la synthèse des valeurs d’usage des différentes personnes intéressées : elle influe sur le jugement par lequel tel individu attribue telle valeur d’usage à tel objet.

Cependant, la valeur d’échange d’un objet peut différer énormément de la valeur d’usage qui est donnée à cet objet par une personne. Ces différences d’appréciation se justifient facilement : la valeur d’échange résulte d’une multitude de transactions ; elle est en quelque sorte le jugement collectif ; par conséquent, elle résulte des données du marché ; elle exprime l’ordre de préférence tel que l’ont déterminé, à un moment donné, les échanges effectués. Elle s’inscrit dans un tarif ou une liste de prix. Plus précisément, la valeur d’échange d’un bien est le prix relatif correspondant à la quantité d’autres biens qu’on peut obtenir avec une unité de ce bien considéré.


Théorie de la valeur et théorie des prix

La théorie de la valeur ne se confond pas avec la théorie des prix. Elle ne peut, à elle seule, fournir une explication générale de la formation des prix, comme l’ont justement souligné les classiques. Si l’on cherche à savoir comment se forme le prix d’une marchandise particulière dont on isole — par la pensée — le marché, c’est sur la loi de l’offre et de la demande que se fonde l’explication : le prix d’une marchandise tend à se fixer au point de rencontre de la courbe de l’offre et de celle de la demande (prix d’équilibre). À ce premier stade de l’analyse, la théorie de la valeur n’intervient pas dans l’explication ; mais, lorsqu’il s’agit de procéder à une comparaison, voire à un classement des prix des différents biens, les marchés des différentes marchandises n’étant pas indépendants les uns des autres, cette interdépendance des marchés impose le recours à la théorie de la valeur. En effet, à partir du moment où les agents économiques attribuent des valeurs différentes à telle ou telle marchandise, il peut se produire des transferts des offres et des demandes d’un marché sur l’autre ; ces transferts auront lieu selon que tel prix se trouve trop élevé ou trop bas par rapport aux prix des autres marchandises. Ils mettent en cause la loi de l’offre et de la demande ; sur chaque marché, les prix trop élevés baissent et les prix trop bas montent jusqu’à ce qu’ils atteignent un niveau « normal » (d’équilibre) par rapport aux autres prix. Ce sont les différences de « valeur » entre produits qui expliquent les différences de « prix » des produits : aussi est-ce cette théorie des prix relatifs qui a été appelée théorie de la valeur.

Ainsi élaborée, cette théorie de la valeur ne peut, cependant, représenter qu’une partie de la théorie explicative de la formation des prix. En effet, elle ne peut pas expliquer comment se détermine le niveau absolu des prix monétaires. Un exemple chiffré très sommaire le souligne bien : les prix des marchandises a, b, c, d peuvent être en unité monétaire 1, 2, 3, 4 ou 2, 4, 6, 8. Dans les deux cas, les prix relatifs sont les mêmes. Mais le niveau absolu des prix (ou niveau général des prix) est une fois plus élevé dans le second cas que dans le premier. La théorie de la valeur ne se confond donc pas avec la théorie du niveau général des prix.


Le fondement de la valeur

Les discussions sur le rôle de la théorie de la valeur dans la formation des prix ne règlent pas, par ailleurs, le problème concernant le fondement même de la valeur. À cet égard, plusieurs écoles s’opposent. Pour les uns (A. Smith*, D. Ricardo*, S. Mill*, K. Marx*), la valeur d’une marchandise est déterminée (uniquement ou même principalement) par la quantité de travail* incorporée qui (au moins sous certaines conditions) a été employée pour la fabriquer. Ainsi, pour K. Marx, c’est le temps de travail « socialement nécessaire » qui détermine la valeur (théorie de la valeur-travail). En conséquence, en tant que valeurs, « toutes les marchandises ne sont que du travail humain cristallisé ». Plus concrètement, l’école de la valeur-travail aboutit à l’idée que la valeur est déterminée par le coût de production*.

Or, celui-ci comprend en réalité autre chose que du travail ; par ailleurs, la valeur d’échange ne saurait être établie sans le concours des consommateurs ; ceux-ci achètent ou n’achètent pas, achètent à tel ou tel prix, selon la valeur d’usage que les produits offerts leur paraissent avoir. En conséquence, d’autres explications ont été recherchées. Ainsi, pour les marginalistes, la valeur dépend du coût marginal et de l’utilité marginale : le prix et la quantité vendue se fixent de telle manière qu’il y ait égalité entre l’utilité marginale et le coût marginal pour ceux qui participent à l’échange. Cette théorie n’est pas elle-même exempte de critiques : mais, lorsqu’elle s’efforce de démontrer que l’échelle des prix se trouve calquée sur la hiérarchie des utilités marginales et des coûts marginaux, elle suggère, au moins, l’excellence des mécanismes spontanés et l’importance de la psychologie.