Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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U. R. S. S. (Union des républiques socialistes soviétiques) (suite)

En 1946, les décrets condamnant, à la suite d’un rapport de Jdanov devant le Comité central du parti, les revues Zvezda (l’Étoile) et Leningrad, coupables d’avoir publié des récits satiriques de Zochtchenko et des poèmes d’Anna Akhmatova, marquent un resserrement des contraintes idéologiques, relâchées à la faveur de la guerre. Ils favorisent le développement d’une littérature édulcorée, qui ignore non seulement les réalités douloureuses de la condition humaine, mais aussi les véritables problèmes de la société. Dans le roman Daleko ot Moskvy (Loin de Moscou, 1948 ; prix Staline 1949), qui peint la construction d’un pipe-line à travers la taïga sibérienne, l’ancien détenu Vassili Nikolaïevitch Ajaïev (1915-1968) passe sous silence l’utilisation du travail forcé. Mikhaïl Semenovitch Boubennov (né en 1909) peint la guerre dans Belaïa bereza (le Bouleau blanc, 1947-1952 ; prix Staline 1948) comme une suite ininterrompue de victoires, tandis que Semen Petrovitch Babaïevski (né en 1909), dans Kavaler zolotoï zvezdy (le Chevalier de l’étoile d’or, 1947-48 ; prix Staline 1949) et Svet nad zemleï (Lumière sur la terre, 1949-50 ; prix Staline 1950 et 1951) et Galina Ievguenieva Nikolaïeva (1911-1963) dans Jatva (la Moisson, 1950 ; prix Staline 1951) décrivent sous un jour idyllique la situation des kolkhozes au lendemain de la guerre. Au théâtre, cette tendance à embellir la réalité (justifiée par certains critiques au nom de l’« absence de conflit » [bezkonfliktnost] qui caractérise théoriquement une société socialiste) trouve son expression dans les pièces d’Anatoli Vladimirovitch Sofronov (né en 1911 ; Moskovski kharakter [Un caractère moscovite], 1948 ; prix Staline 1949). En revanche, les couleurs sont poussées au noir dans les œuvres d’Ehrenbourg (Padenie Parija [la Chute de Paris, 1941-42] ; Bouria [la Tempête, 1947] ; Deviatyï val [le Neuvième Flot, 1952]) ou encore dans les romans de Simonov (Rousski vopros [la Question russe, 1946]) qui décrivent la société capitaliste.

Le schématisme résultant des contraintes idéologiques est moins sensible dans les romans (ou cycles romanesques) rétrospectifs qu’entreprennent à cette époque plusieurs écrivains soviétiques de la première génération : Fedine avec Pervyïe radosti (Premières Joies, 1945) et sa suite Neobyknovennoïe leto (Un été extraordinaire, 1948) ; Kaverine avec les deux premiers livres de sa trilogie Otkrytaïa kniga (le Livre ouvert), Iounost (Jeunesse, 1949) et Doktor Vlassenkova (le Docteur Vlassenkova, 1952) ; Kataïev avec Za vlast sovetov (les Soviets au pouvoir, 1949) ; Leonov avec Rousski les (la Forêt russe, 1953) ; Paoustovski avec le premier volume de son autobiographie, Dalekie gody (les Années lointaines, 1946) ; Pasternak avec Doktor Jivago (le Docteur Jivago), écrit en secret et sans espoir de publication jusqu’au moment du dégel.


Après 1954 : vers une littérature d’opposition

La désaffection du public pour une littérature conformiste, étrangère aux préoccupations profondes de la société, est sensible au début des années 1950 et se manifeste jusque dans le discours d’un des principaux dirigeants du parti, Malenkov, qui, en 1952, déplore publiquement la disparition de la satire. Le retour à une image plus nuancée de la vie soviétique se fait sentir dès 1952 dans les chroniques rurales (Raïonnyïe boudni [le District en semaine]) de Valentine Vladimirovitch Ovetchkine (1904-1968), puis dans les romans de Panova Vremena goda (les Saisons, 1953) et de Nekrassov V rodnom gorode (la Ville natale, 1954). La crise n’est cependant diagnostiquée qu’après la mort de Staline, dans l’article du romancier et critique Vladimir Mikhaïlovitch Pomerantsev (né en 1907) Ob iskrennosti v literatoure (De la sincérité en littérature), paru en décembre 1953 et aussitôt violemment critiqué, comme le sera en juin 1954 la nouvelle d’Ehrenbourg Ottepel (le Dégel), qui donne pour la première fois à la mort de Staline le sens d’une délivrance. La convocation, en 1954, du IIe Congrès de l’Union des écrivains soviétiques marque aussi la fin d’une époque ; mais, s’il reconnaît la crise et en rend responsable la « théorie de l’absence de conflit » (teoria bezkonfliktnosti), le Congrès condamne en même temps, sous l’étiquette d’« objectivisme » et de « subjectivisme », l’idée d’un retour à la vérité des faits et des sentiments suggérée par certains écrivains.

L’ère de la destalinisation est officiellement ouverte par le rapport du premier secrétaire Khrouchtchev au XXe Congrès du parti (févr. 1956), qui reconnaît à huit clos le régime de la terreur policière auquel la Russie a été soumise pendant vingt ans. La réhabilitation des victimes de la terreur et la publication d’œuvres longtemps interdites (comme celle de Babel) ou encore inédites (comme le chef-d’œuvre de Boulgakov Master i Margarita) entraînent un élargissement de l’horizon littéraire, un assouplissement de l’orthodoxie esthético-politique et une renaissance des débats théoriques autour de la notion de réalisme socialiste, qui garde cependant une valeur contraignante.

La dénonciation du stalinisme coïncide avec les débuts d’une nouvelle génération littéraire qui en sera profondément marquée. La prise de conscience de cette génération est d’abord l’œuvre de poètes tels qu’Ievgueni A. Evtouchenko* (né en 1933) et Andreï A. Voznessenski* (né en 1933), Bella Akhatovna Akhmadoulina (née en 1937), Boulat Chalvovitch Okoudjava (né en 1924), qui retrouvent, avec une audace formelle inconnue de leurs aînés, le goût d’un langage original et d’un contact vivant avec un auditoire : grâce à eux, la journée annuelle de la poésie devient le rendez-vous d’une jeunesse obscurément contestataire. Celle-ci se reconnaît dans les héros des prosateurs Anatoli Tikhonovitch Gladiline (né en 1935 ; Khronika vremen Viktora Podgourskogo [Chronique des temps de Victor Podgourski], 1956), Anatoli Kouznetsov (né en 1929 ; Prodoljenie leguendy [Suite de la légende, traduit sous le titre de Une étoile dans le brouillard, 1957]) et Vassili Pavlovitch Aksenov (né en 1932 ; Zvezdnyï bilet [le Billet étoilé, 1961]), jeunes gens « purs » dont les allures et les propos cyniques dénoncent les mensonges et les compromissions de leurs aînés. La revue Iounost (Jeunesse), fondée en 1955, est l’organe attitré de cette nouvelle génération frondeuse.