Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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U. R. S. S. (Union des républiques socialistes soviétiques) (suite)

Si la production littéraire des années 20 témoigne, à travers des thèmes nouveaux, d’une certaine continuité des orientations et des recherches esthétiques avec la littérature prérévolutionnaire, les conditions sociales et politiques de la vie littéraire se modifient progressivement en profondeur. Le premier témoignage de cette évolution est, dès 1917, le mouvement du « Proletkoult » (« culture prolétarienne »), fondé par le théoricien marxiste Aleksandr A. Bogdanov et qui célèbre l’œuvre des « poètes-ouvriers » (Vladimir Timofeïevitch Kirillov [1890-1943], Alekseï Kapitonovitch Gastev [1882-1941], Ilia Ivanovitch Sadofiev [1889-1965]) comme l’embryon d’une culture nouvelle, destinée à supplanter la culture existante, réputée féodale ou bourgeoise. Condamné par Lénine, qui y voit une organisation rivale du parti et ouverte à des influences idéologiques pernicieuses, le Proletkoult perd son autonomie dès 1920. Mais l’idée d’une culture prolétarienne est reprise par la nouvelle génération des écrivains communistes, groupés dès 1923 au sein d’une « Association des écrivains prolétariens » (VAPP, puis, en 1928, RAPP), qui donne à ce terme un contenu plus idéologique que social. Sa revue Na postou (En sentinelle) se distingue par la violence de ses attaques contre les écrivains ralliés à la révolution, mais non communistes, que Trotski a baptisés « compagnons de route », et contre le critique marxiste libéral Aleksandr Konstantinovitch Voronski (1884-1943), qui leur a ouvert largement la revue semi-officielle Krasnaïa Nov (Friches rouges) et patronne le groupe littéraire Pereval (le Passage), formé en majorité de jeunes, communistes opposés aux méthodes du RAPP.

À partir de 1926, l’équipe dirigeante de l’Association des écrivains prolétariens, formée des critiques Leopold Leonidovitch Averbakh (1903-1938 [?]) et Vladimir Vladimirovitch Iermilov (1904-1967), des romanciers Fadeïev et Libedinski, du dramaturge Kirchon, se préoccupe surtout de définir une esthétique marxiste orthodoxe. Après Voronski, elle se rallie à la conception réaliste de l’art, héritée par Plekhanov de la tradition russe du xixe s. Elle lutte d’une part contre les conceptions formalistes, défendues par le LEF et les constructivistes, d’autre part contre le « sociologisme vulgaire » de l’historien et théoricien de la littérature marxiste Valerian Fedorovitch Pereverzev (1882-1968), qui interprète Plekhanov dans un sens fataliste en accentuant le déterminisme social inconscient aux dépens du facteur idéologique conscient dans la genèse de l’œuvre d’art. Le rapport étroit que les théoriciens du RAPP établissent entre l’idéologie consciente de l’artiste et son esthétique s’exprime par la notion de « méthode créatrice du matérialisme dialectique », nom donné au nouveau réalisme qu’ils prônent.

Les attaques des « écrivains prolétariens » contre les « compagnons de route » ont provoqué la première intervention directe du Comité central du parti dans la vie littéraire : la résolution du 18 juin 1925 accorde une satisfaction de principe aux « prolétariens » en admettant la notion de « littérature prolétarienne » (dont la validité est contestée par Trotski et Voronski) ; mais elle se montre très libérale à l’égard des « compagnons de route », en misant sur leur ralliement spontané. Cependant, la situation créée à partir de 1929 par la politique d’industrialisation et de collectivisation accentue la pression à laquelle ils sont soumis et accroît l’influence du RAPP. La plupart se désolidarisent de Zamiatine et de Pilniak, violemment attaqués à la suite de la publication à l’étranger du roman My (Nous autres) et du récit Krasnoïe derevo (l’Acajou), interdits en U. R. S. S. Boulgakov et Platonov se voient pratiquement interdire toute activité littéraire. Mais en majorité, les « compagnons de route » obéissent aux slogans du RAPP, qui veut mettre la littérature au service des plans quinquennaux, mobilisant l’énergie du pays en vue de l’édification du socialisme : Pilniak, avec Volga vpadaïet v Kaspiskoïe more (La Volga se jette dans la Caspienne, 1929), Marietta Sergueïevna Chaguinian (née en 1888) avec Guidrotsentral (la Centrale hydro-électrique, 1931), Leonov avec Sot (la Rivière Sot, 1930) et Skoutarevski (1932), Kataïev avec Vremia, vpered ! (Ô temps, en avant !, 1932), Paoustovski avec Kara-Bougas (1932), Ilia Ehrenbourg avec Den vtoroï (le Second Jour de la création, 1934) célèbrent l’élan créateur des masses engagées dans l’industrialisation, tandis que Cholokhov, avec Podniataïa tselina (Terres défrichées, livre premier, 1932) et Fedor Ivanovitch Panferov (1896-1960) avec Brouski (1928-1937) chantent la collectivisation des campagnes.


1934-1954 : la littérature d’État

Le ralliement des « compagnons de route », illustré par le retour en U. R. S. S. du plus illustre d’entre eux, Maxime Gorki, a pour conséquence l’adoption d’une nouvelle politique littéraire, qui se traduit en avril 1932 par la dissolution du RAPP et la création d’une Union des écrivains soviétiques, dont un Comité d’organisation, présidé par Gorki et réunissant, sous la direction de hauts fonctionnaires du parti, des représentants de toutes les organisations littéraires existantes, a la charge de préparer les statuts, qui seront solennellement adoptés par le Ier Congrès de l’Union, en août 1934. Bien accueillie par les « compagnons de route », qui y voient un désaveu du RAPP et un témoignage de confiance des autorités, cette mesure signifie en fait la reprise par l’État des fonctions de contrôle idéologique et politique que s’arrogeaient les écrivains « prolétariens ».

Seule reconnue par l’État, l’Union des écrivains exerce en effet un monopole sur la production littéraire et, de 1934 à 1954, date de la réunion du IIe Congrès, c’est le parti qui renouvelle ses organismes dirigeants. Elle garantit à l’écrivain une situation matérielle et un statut social privilégiés, avec pour seule contrepartie l’adhésion aux principes du réalisme* socialiste. Acceptée en 1934 par les écrivains les plus divers en raison de son apparente souplesse, cette formule recouvre en fait la notion de « méthode de création matérialiste dialectique » telle que l’ont définie les théoriciens du RAPP. Complétée par la notion de partinost (« engagement »), déduite d’un article de Lénine datant de 1905 et qui sera particulièrement soulignée par A. A. Jdanov en 1946, elle permet d’exiger de l’écrivain soviétique une adhésion sans réserve à la doctrine du parti et à la politique du gouvernement. Elle interdit sous l’étiquette de « naturalisme » toute représentation pessimiste ou fondamentalement critique de la vie et de la société soviétiques, et sous celle de « formalisme » toute innovation s’écartant des canons du réalisme traditionnel. Assortie de la notion de narodnost (« caractère national »), apparue peu avant la guerre et soulignée tout au long de celle-ci, elle permet de lutter contre les influences étrangères, condamnées notamment en 1949-50 sous le nom de « cosmopolitisme ».