Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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U. R. S. S. (Union des républiques socialistes soviétiques) (suite)

Vsevolod Mikhaïlovitch Garchine (1855-1888), V. G. Korolenko*, Aleksandr Ivanovitch Kouprine (1870-1938), I. A. Bounine* n’ont certes pas la même puissance d’évocation et de suggestion. Chez Bounine, on trouve presque à l’état pur les éléments de la grande tradition réaliste : souci du détail, précision, observation des caractères, portraits, développement tranquille du récit ; Bounine est un classique du genre réaliste et un maître du style. Le ton change avec M. Gorki*. Ses héros, des va-nu-pieds, des déclassés, appartiennent à des milieux complètement nouveaux ; animés d’une grande énergie vitale, ils ont le jugement droit et le cœur généreux — et, en quelques années, Gorki jouit d’une réputation mondiale. L’écrivain, attiré par la politique, adhère au marxisme et met son talent au service de ses idées. La littérature est donc engagée de nouveau, plus fortement que jamais, au service de la révolution.

Parallèlement au renouveau de la prose, la poésie s’épanouit et se libère du joug utilitaire. Quelques jeunes gens inconnus publient en 1895 un recueil de vers et de traductions qui porte le titre de Symbolistes russes. La critique, composée de vieux positivistes, tourne aussitôt en ridicule cette génération de prétentieux, « piteuse et servile », et, par dérision, donne à leur tentative le nom de « poésie décadente » parce qu’elle préfère l’esthétique à la morale.


Symbolisme* et recherches nouvelles

Pour la première fois en 1900, une maison d’édition publie en même temps des œuvres de Vassili Vassilievitch Rozanov (1856-1919), de Innokenti Fedorovitch Annenski (1856-1909), de Dmitri Sergueïevitch Merejkovski (1865-1941), de Valerii Iakovlevitch Brioussov (1873-1924), de K. D. Balmont*, de Fedor Sologoub (1863-1927), de Zinaïda Hippius (1869-1945). De secrètes affinités et une conception identique de l’art et de la vie unissent ces poètes. Ils refusent le réalisme mesquin de la vie quotidienne pour l’amour de l’abstraction et de l’impondérable, pour le goût de la synthèse, pour ce sentiment de chaos et de l’irréalité de l’existence, qui permettent à des hommes comme Sologoub (le Démon mesquin 1905), Alekseï Mikhaïlovitch Remizov (les Sœurs en croix, 1911), comme A. Belyï* ou Viatcheslav Ivanovitch Ivanov (1866-1949) de renouer avec la grande tradition onirique perdue depuis Dostoïevski. Pour ceux-là, le symbolisme est plus qu’une école littéraire, c’est une religion, une attente d’événements surnaturels, ou comme dit l’un d’eux, « une vision des aurores », même si leur poésie, cédant au vertige du néant, tourne le monde en dérision.

A. A. Blok* est peut-être le plus grand poète de ce siècle. Influencé à ses débuts par Solovev, il a fait de toute sa vie un « sacrifice sacré ». Créateur de mythes, à la fois enthousiaste et pathétique, il évolue dans un paysage indécis, brumeux, empli d’obsessions et de visions féminines, la Belle Dame, la Reine de pureté. Mais bientôt, il renonce à l’image merveilleuse du monde et sombre dans la désillusion — « Tout n’est qu’un zéro universel » — jusqu’à ce que le saisisse de nouveau un grand amour, celui de la terre russe. En 1917, Blok rejoint la révolution et lui donne son poème, les Douze. Dans son sillage, Belyï accueillera aussi la révolution avec enthousiasme. D’autres, comme Zinaïda Hippius, Remizov, Ivanov, Balmont, Merejkovski, émigreront, les uns à Paris, les autres à Berlin ou à Prague.

En ce début de xxe s., nombreux sont les écrivains, romanciers et poètes, qui cherchent à jeter un pont entre les tendances réalistes et symbolistes. Des romanciers tels que Remizov, Leonid Andreïev (1871-1919), Alexis Tolstoï*, imprégnés de Gogol, Leskov et Tchekhov, cherchent à concilier la description réaliste des milieux populaires avec la veine mystique, dans un style fait d’allusions ou de transparences. À mi-chemin entre le symbolisme et le néo-classicisme, Mikhaïl Alekseïevitch Kouzmine (1875-1935) revient à une conception pouchkinienne de la poésie, avec une vision nette, un vocabulaire précis et clair. De son côté, la poétesse Anna Akhmatova* rompt totalement avec le courant symboliste et prône un art « sain et solidement accroché à la terre » — la fraîcheur de la langue et la simplicité des sentiments lui valent immédiatement une grande popularité.

À peu près à la même époque, on assiste à de nouvelles recherches dans des directions opposées : les futuristes — Velemir Khlebnikov, V. V. Maïakovski*, Vladimir Aleksandrovitch Lifchits — font une apparition fracassante dans une atmosphère de scandale. V. Khlebnikov (1885-1922) réclame une révolution complète de la poésie et, en modifiant la construction des phrases et la flexion des mots, tente de créer une langue irrationnelle qui n’exprime point de pensées ni de logique. D’un seul cœur, ces hommes acceptent la révolution et s’engagent dans la construction du socialisme.

La multiplicité de ces rameaux prouve la fécondité de la poésie : cette forme d’art convient sans doute le mieux à l’expression ardente et dramatique de la guerre. La prose en revanche reste encore sous l’influence des modèles du xixe s.

S. M.-B.


La littérature soviétique

Le statut politico-social nouveau qui définit la littérature soviétique, par rapport à la littérature russe des temps modernes dont elle est issue, découle de la doctrine marxiste telle qu’elle a été appliquée en Russie par Lénine à partir d’octobre 1917. D’une part le parti, considéré comme l’expression du prolétariat, s’attribue un monopole idéologique et politique qui restreint de plus en plus la liberté de parole et de pensée. D’autre part, en définissant la littérature comme une superstructure idéologique, le marxisme postule une orthodoxie esthétique dont le parti est également l’interprète de droit. On aboutit ainsi à la constitution d’une littérature d’État dont les créateurs, encadrés par une organisation officielle, jouissent d’un statut social privilégié et dont les productions ont elles aussi un caractère quasi officiel. Ce système, mis en place entre 1932 et 1934, a pleinement fonctionné pendant les années qui séparent les deux premiers congrès de l’Union des écrivains soviétiques (1934-1954) et qui correspondent au stalinisme. Mais il se trouve en germe dans la doctrine léniniste de la dictature du prolétariat et se perpétue depuis la mort de Staline dans le statut officiel de l’Union des écrivains et dans la doctrine esthétique du « réalisme socialiste ». On peut donc diviser l’histoire de la littérature soviétique en trois périodes : 1o 1917-1934, la littérature révolutionnaire ; 2o 1934-1954, la littérature d’État ; 3o depuis 1954, vers une littérature d’opposition.