Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

adaptation (suite)

La palmure

Prenons l’exemple de la palmure, bien étudiée par Cuénot. Celle-ci existe chez la grande majorité des animaux aquatiques, mais avec des degrés variables d’extension. La patte de Poule présente un rudiment de palmure disposé à la base des doigts ; chez le Foulque, les doigts sont bordés de festons de peau ; la patte de l’Oie a une large palmure entre trois doigts, alors que la palmure du Cormoran enserre les quatre doigts.

D’un inventaire portant sur 113 genres d’Oiseaux d’eau, de rivage et de marais, il ressort que 36 genres possèdent des pattes non palmées, 7 genres de très petites palmures entre deux ou trois doigts, 62 genres des pattes totalement palmées, 4 genres des pattes avec festons et 4 genres des pattes avec des palmures développées à moitié. Au total 43 genres manquent d’une vraie palmure et 70 genres en sont dotés. La corrélation entre la vie aquatique et la présence de palmure est apparente ; elle est encore plus nette si l’on précise le comportement des Oiseaux sans palmures et des Oiseaux palmés. Les premiers vivent surtout sur les rivages, les plaines humides, alors que les seconds, excellents nageurs, mènent vraiment une vie aquatique. La palmure n’est pas indispensable à la vie aquatique, mais elle assure une nage plus rapide, plus efficace. Les hommes-grenouilles et les fervents de la chasse sous-marine le savent bien, puisqu’ils utilisent de larges palettes natatoires.

Les Mammifères aquatiques bons nageurs (Castor, Ragondin de l’Amérique du Sud, Desman d’Eurasie, Loutre, Phoque) possèdent aussi une palmure. La queue aplatie transversalement apparaît parfois comme une suppléance de la palmure (Potamogale, Lézards semi-aquatiques).

Mais il ne faudrait pas généraliser ; ces adaptations peuvent manquer à des organismes vivant dans le même milieu ou elles peuvent exister chez des organismes ayant un mode de vie différent. Des Oiseaux assez bons nageurs sont dépourvus de pattes palmées, alors qu’elles sont présentes chez des animaux terrestres comme les Lézards Palmatogecko rangei d’Afrique et Ptychozoon kuhli de la région malaise. Le premier vit dans le sable et utilise ses pattes palmées pour creuser le sable, alors que, chez le second, elles participent à l’exubérance cutanée du corps, qui assure le camouflage du Lézard.


Spécialisation

La présence, dans un organisme, d’un plus ou moins grand nombre d’adaptations statistiques témoigne de la qualité de son adaptation au milieu. Considérons une série de Mammifères, le Surmulot, le Rat d’eau, la Loutre, le Phoque et la Baleine, plus ou moins bien adaptés à la vie aquatique et montrant des paliers d’adaptation de plus en plus complexes. Le Surmulot, Rongeur terrestre, fréquente les lieux humides (égouts, ports) et peut traverser une rivière à la nage. Le Rat d’eau, bon nageur, vil aux bords des eaux, où il se nourrit de Poissons et de Grenouilles. La Loutre, excellente nageuse et plongeuse, possède des pattes palmées. Le Phoque, avec son corps fusiforme et ses palettes natatoires, habite toujours la mer, sauf au moment de la reproduction. La Baleine, rigoureusement inféodée à la pleine mer, est dotée de diverses adaptations morphologiques et physiologiques. À chaque plongée, son air pulmonaire se renouvelle presque totalement (90 p. 100), alors que, chez l’Homme, le renouvellement ne porte que sur 15 à 20 p. 100 du volume. Le centre respiratoire des Mammifères plongeurs est peu sensible à l’augmentation de la teneur en gaz carbonique. La Baleine, hautement spécialisée, est incapable de vivre hors de la mer ; les adaptations très poussées limitent les possibilités de l’organisme.

Les populations du Corridor interandin, ou Altiplano bolivien, constituent un excellent exemple de la limitation des possibilités des organismes étroitement adaptés à un milieu très caractérisé. Ce corridor héberge deux groupes, les Altiplanides, ou Aymaras, et les Andides, ou Quechuas, qui ont fait l’objet de recherches récentes (J. Ruffié). Ces populations sont rigoureusement adaptées à la vie en altitude très élevée. Le taux moyen de l’hématocrite (rapport entre la masse des hématies et le volume total du sang) croît avec l’altitude ; il est de 50 p. 100 à 3 700 m ; il passe à 52 p. 100 à 4 200 m et à 56 p. 100 à 4 500 m. Un taux élevé de méthémoglobine est fréquent chez les Aymaras, qui la réduisent avec une facilité particulière ; cette faculté laisse pressentir un équipement enzymatique capable d’assurer cette réduction ; ainsi, la méthémoglobine représente une réserve d’hémoglobine érythrocytaire en hyperoxydation, mais pouvant être libérée aisément selon les besoins par des enzymes adéquates. Cette spécialisation est beaucoup plus développée chez les Aymaras que chez les autres indigènes du Corridor interandin, les Andides, ou Quechuas. Ces Altiplanides sont donc plus rigoureusement adaptés à la vie à ces hautes altitudes.

Une expérience naturelle prouve que les ultraspécialisations rendent plus difficile une adaptation à un nouveau milieu. L’Altiplano bolivien étant actuellement surpeuplé, le déplacement de quelques populations d’Altiplanides et d’Andides vers les basses terres, peu peuplées, a été tenté. Ces basses terres, région de savanes et de forêts au climat équatorial, constituent un milieu nouveau aux conditions fort différentes. Les deux types de population réagissent différemment ; dans l’ensemble, les Andides s’adaptent mieux aux nouvelles conditions et montrent une plus grande résistance aux agressions parasitaires, virales, bactériennes, fréquentes dans les basses terres et inconnues dans l’Altiplano. Le taux des gammaglobulines qui participent aux réactions de défense immunitaires s’est notablement accru chez les Andides installés dans les basses terres ; il est voisin du taux des gammaglobulines des populations vivant dans la forêt amazonienne. Mais, chez les Altiplanides, ce taux n’a pas changé ; inféodés au Corridor interandin, les Altiplanides, étroitement spécialisés, sont incapables de s’adapter aux nouvelles conditions de vie. Tout se passe comme si les ultraspécialisations rendaient difficile, voire impossible, la mise en jeu d’adaptations différentes ; les potentialités de la faculté adaptative semblent alors grandement réduites.