Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
U

urbanisation (suite)

La difficulté de mesurer le degré d’urbanisation

La prise en considération des dimensions sociologiques et morphologiques de l’urbanisation fait comprendre pourquoi il est difficile de cerner le phénomène. On sait la diversité des définitions que l’on donne de la ville selon les nations. Ici, le critère est purement numérique, ce qui compte plus de 500 habitants, de 1 000, de 2 000, de 10 000 selon le cas. Ailleurs, les statisticiens retiennent des critères économiques : ils mesurent la part de l’activité qui est tournée vers les services et, dans certains cas, vers les opérations de transformation ; certains pays font intervenir des critères plus proprement sociologiques : niveau de vie, d’instruction ; d’autres se fient aux caractères propres au paysage, à la présence de certains monuments. Depuis une vingtaine d’années, on prend conscience de ce que l’urbanisation peut s’effectuer sans qu’il y ait nécessairement concentration : en France, l’I. N. S. E. E. a délimité de la sorte des zones de peuplement urbain et industriel dans lesquelles la notion de densité cesse d’être essentielle. Aux États-Unis, il y a longtemps que la définition des aires métropolitaines a été élargie pour y inclure les franges péri-urbaines, dont le paysage est encore rural, mais dont la société est déjà transformée en profondeur. Lorsqu’on veut apprécier le degré d’urbanisation du monde actuel, il convient donc de joindre à la population des agglomérations et de leurs couronnes de banlieue toute la masse plus diluée des ruraux qui participent déjà des mêmes rythmes de vie et peuvent participer sans trop de peine à la vie d’échange la plus intense. Brian Berry a ainsi délimité pour les États-Unis l’ensemble de l’espace qui se trouve caractérisé par ces formes complexes de l’urbanisation : en 1970, elles regroupaient 96 p. 100 de la population totale (alors que la population proprement urbaine n’excédait pas 75 p. 100). En France, les communes urbaines groupaient 70 p. 100 de la population au recensement de 1968, mais les zones de peuplement industriel et urbain en renfermaient 79 p. 100. On pourrait multiplier les exemples pour tous les pays d’économie avancée. Presque partout, on sent venir l’ère de l’urbanisation totale, l’ère de la société postindustrielle, libérée du vieux dualisme, de l’opposition des villes et des campagnes que l’humanité traînait avec elle depuis les débuts de l’histoire.


Développement historique


La naissance des villes

L’urbanisation du monde a, en effet, commencé quelques milliers d’années avant notre ère. Les premières villes dont on ait retrouvé des ruines étaient installées au Moyen-Orient, Çatal höyük en Anatolie*, Jéricho en Palestine, et peut-être dans les pays danubiens, où les progrès de la datation au carbone 14 ont permis de vieillir des sites qu’on estimait jusqu’alors nettement postérieurs à ceux de l’Orient. Dans un certain sens, les premières cités livrées à la curiosité moderne par les fouilles n’étaient pas encore urbaines : il s’agissait plutôt de gros villages installés dans des secteurs privilégiés pour la chasse et pour l’agriculture, et leur structure de population devait demeurer très uniforme. La part faite aux soucis esthétiques, l’importance des lieux de culte, une certaine différenciation sociale sensible dans l’habitat attestent pourtant que la société avait dépassé le stade des collectivités étroites du monde traditionnel.

Dans quelles circonstances ces premiers centres ont-ils pu se former ? Il a fallu un concours multiple de possibilités. Il n’est pas douteux que les plus impérieuses sont à chercher du côté de la productivité du travail primaire. La révolution urbaine est fille de la révolution agricole du Néolithique, qui l’a précédée de quelques millénaires, parfois moins, en particulier dans le cas de Çatal höyük. Depuis les travaux de Gordon Vere Childe (1892-1957), il y a un demi-siècle, c’est devenu un lieu commun que de montrer comment l’apparition d’excédents de produits alimentaires, qui traduit l’avènement de l’agriculture, est à l’origine de la mutation qui fait brusquement surgir, dans une société encore faite de cellules de petite dimension, des centres plus pesants, dotés d’une influence plus forte. Gordon Childe ne faisait, en somme, que fournir une interprétation d’inspiration technicienne — on pourrait presque dire marxiste — de la naissance des villes. Depuis lors, des voix se sont élevées pour souligner ce que le schéma a sans doute d’incomplet, peut-être même d’inexact. Dans le cas de Çatal höyük, la ville apparaît avant même qu’on soit arrivé au stade de l’agriculture et de la domestication des animaux ; cette dernière semble progresser au cours du millénaire d’histoire que les fouilles ont permis de reconstituer. Ne pourrait-on pas inverser les termes de l’explication habituelle ? Dire, par exemple, que les progrès décisifs en matière de plantes cultivées ou d’élevage sont le résultat d’une différenciation sociale, de l’apparition d’une élite encadrante qui, appuyée sur les points forts que constituent les premières cités, impose aux populations qu’elle domine des prélèvements qui rendent nécessaires les améliorations ? Les arguments archéologiques ne permettent pas de choisir chronologiquement entre les deux hypothèses.

Les travaux menés en Chine, dans certains pays du Moyen-Orient et dans le Nouveau Monde pour essayer de préciser la nature et le rôle des plus vieilles cités conduisent de plus en plus à souligner le rôle religieux de celles-ci : elles ont été des foyers de culte, des centres dont les formes symbolisent souvent les fonctions médiatrices dans la cosmologie dominante. L’aventure de la cité grecque place plus près de nous, au seuil même de l’histoire, un mouvement de concentration de l’habitat, une vague d’urbanisation dont le motif fondamental semble être religieux et qui entraîne très vite une refonte complète des structures de la société, le développement des arts, du commerce, l’apparition d’une nouvelle civilisation intellectuelle.