Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Updike (John) (suite)

Son premier livre est un recueil de poésie, The Carpentered Hen (1958). Il réunit des poèmes brillants, sonores ; certains sont des feux d’artifice où se mêlent humour et satire dans un déferlement de métaphores. Comme plus tard dans les poèmes de Telephone Poles and Other Poems (1963), la splendeur de l’écriture dissimule un sens de l’absurdité de la vie. Ces vers donnent une impression de facilité dorée, mais un peu superficielle. De la même façon, les nouvelles, que l’auteur réunit en volumes (The Same Door, 1959 ; Pigeon Feathers [les Plumes du pigeon], 1962 ; The Music School [les Quatre Faces d’une histoire], 1966), sont des récits brillants mais ténus, à l’intrigue presque inexistante, aux personnages flous. L’essentiel y reste la technique et le style ainsi qu’une certaine manière de déchiffrer les épiphanies, qui fait jaillir du réalisme quotidien une signification poétique et métaphysique. Les thèmes profonds sont la mort, la nostalgie du passé, la peur du monde adulte, l’usure de l’amour, mais traités de biais, souvent à travers des incidents minimes : la mort d’un chat, une scène de ménage, un emprunt d’argent. Sous l’évocation de la vie quotidienne serpente une méditation angoissée, qu’explicitent les épigraphes empruntées à Bergson ou à Kafka.

C’est surtout comme romancier qu’Updike est connu. Son premier roman, The Poorhouse Fair (la Fête à l’asile, 1959), est une moralité. Roman d’anticipation didactique, il se situe en 1980, dans un hospice de vieillards du New Jersey, où l’on prépare la fête annuelle. Cet hospice est le symbole d’un monde occidental décrépit, qui ne sait plus lutter contre le communisme et le dérèglement des mœurs, d’une civilisation moribonde, qui a perdu sa foi et sa morale. Le livre oppose deux personnages : Conner, le directeur, symbole du catéchumène matérialiste, incarnation de la morale laïque, et Hooke, animé d’une foi farouche en Dieu, partisan des valeurs morales, patriotiques et religieuses traditionnelles. Le livre est un pamphlet conservateur, d’un ton assez swiftien, qui s’inscrit dans la tradition de Huxley à Orwell. La pensée est contestable dans son parti pris réactionnaire de réarmement moral, mais la forme annonce déjà le talent d’un maître romancier.

Rabbit, Run (Cœur de lièvre, 1960) eut un succès immédiat et durable. En apparence, c’est un fait divers simple et sordide : un mari fait une fugue ; son épouse s’enivre et noie accidentellement son nouveau-né dans une baignoire ; le mari revient pour l’enterrement, pour s’enfuir de nouveau comme un lièvre traqué — d’où le titre. Ce Rabbit, au nom symbolique de « lapin », rappelle aussi le Babbitt de Sinclair Lewis*. Mais, au lieu de se complaire dans la civilisation de consommation, cet autre voyageur de commerce a peur de s’engourdir parmi les gadgets, entre sa femme enceinte, sa voiture et sa télévision. Refusant de payer les traites de l’amour bourgeois, il fuit vers l’Ouest, sur la route de la liberté. Mais il n’y a plus de Far West pour les hommes libres, plus d’issue au « cauchemar climatisé » américain. La satire sociale se double d’une évocation puritaine de la condition humaine. La femme, ici, plus que le capitalisme, est le mal. Un réalisme obsédant, parfois obscène rassemble les objets aliénants autour du ventre gonflé et suintant de la femme, ce piège organique où s’embourbe l’homme. Le roman poursuit une méditation sur le cheminement obscur de la grâce par les voies obscures du péché. Et ce Rabbit veule est en fait un héros de la race de ceux de Graham Greene. S’il fuit, c’est qu’il sent que l’homme n’est pas fait pour la femme et l’aliénation de l’amour terrestre, mais pour le royaume du Père. Le talent d’Updike sait, ici, rendre exemplaire et porter au plan métaphysique la crise de la conscience américaine.

The Centaur (le Centaure, 1963), qui reçut le National Book Award, est un livre plus savant et plus ambitieux, nourri à la fois de souvenirs d’enfance et de mythologie classique. Updike y transpose le mythe du centaure Chiron, frappé d’une flèche empoisonnée. L’immortel demi-dieu souffre tant qu’il demande aux dieux la grâce de mourir en expiation du crime de Prométhée. Chiron est ici un professeur d’Olinger, tyrannisé par son directeur et ses élèves. Son fils, Peter, dévoré par un psoriasis, tient le rôle de Prométhée. En trois jours d’hiver, père et fils revivent le cheminement de Chiron vers la mort et de Prométhée vers la liberté. Sur le thème central de la place de l’homme dans la création se greffe celui de la mort du père après qu’il a donné au fils la force de vivre. Précédé d’une épigraphe de Karl Barth, ce superbe et savant roman semble marquer un apaisement de l’inquiétude d’Updike : à l’image du lièvre effaré succède celle du centaure, qui choisit le destin de mortel. Ce roman ambitieux trouve sa signification dans le contrepoint minutieux de la réalité et du mythe. La qualité même de la vision poétique sécrète une sérénité : car, si l’immortel centaure trouve ici la mort d’un commis voyageur, cette mort n’est dénuée ni de signification ni de beauté.

Of the Farm (la Ferme, 1965), qui succède à un troisième recueil de nouvelles autobiographiques (The Olinger Stories, 1964), est un roman inspiré par les souvenirs d’enfance d’Updike. Cette œuvre, plus simple et dépouillée que les précédentes, évoque le week-end d’un trio désuni à la campagne : la mère et l’épouse de Joe Robinson se querellent, pendant que lui est déchiré entre sa nostalgie de la ferme d’enfance et sa vie indépendante à New York.

Couples (Couples, 1968) eut un gros succès de scandale. Updike y dresse l’organigramme des rapports sexuels d’une petite ville près de Boston, où l’on couche par ennui, par jalousie ou par vengeance. C’est en partie un livre à clés. Mais cette chronique d’échangeurs dans une Amérique d’après la « pilule » est en réalité une épître aux fornicateurs, où Updike poursuit une méditation puritaine. Cette histoire naturelle du sexe n’est pas une encyclopédie érotique, mais l’histoire du vide moral et politique. Dieu a abandonné l’Amérique, dont l’Église brûle, comme Sodome, à force de dégradation. Pour Updike, le couple est ici la machine à perpétuer le péché, car il détruit la communauté des âmes et détourne la créature de sa vocation spirituelle. Contre la « dolce vita » yankee, Updike prêche ici le réarmement moral.