Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Troyes (suite)

Les problèmes d’emploi demeurent, les nouveaux postes étant en partie pourvus par la main-d’œuvre étrangère et par les femmes, tandis que la bonneterie, sans être vraiment en crise, ne se développe plus à cause des départs, de l’automatisation et des grands changements dans les productions, dont Troyes n’a pas toujours pu suivre assez vite l’évolution : sa part en France est passée de la moitié au quart.

L’encombrement du centre, l’insuffisance de zones industrielles (on en crée une à Pont-Sainte-Marie), l’aménagement de la plaine humide de la Seine posent des problèmes auxquels on s’est attaqué surtout depuis 1970. Troyes doit mieux affirmer son rayonnement. Elle a obtenu que la future autoroute Calais-Dijon passe non loin. Elle se sent un peu excentrée dans la région Champagne-Ardenne et voudrait diminuer la part des emplois industriels, anormalement élevée pour une ville de la « couronne » (54 p. 100 d’ouvriers [dont 40 p. 100 de femmes], 50 p. 100 d’actifs industriels et 8 p. 100 dans le bâtiment, contre 42 p. 100 d’actifs du tertiaire) ; elle a obtenu des antennes de l’université de Reims (I. U. T., médecine) et cherche à attirer des bureaux.

R. B.


L’histoire

Capitale des Tricasses, Troyes fut appelée par les Romains Augustobona. Créé au ive s., l’évêché de Troyes dépendait du siège métropolitain de Sens. Ses évêques furent les véritables gouverneurs de la ville au moment des grandes invasions. Le plus illustre fut saint Loup (ou Leu, évêque de 426 à 478), qui sauva en 451 la cité des ravages des Huns, après la défaite d’Attila aux champs Catalauniques.

À partir du ixe s., la ville passa sous la domination des comtes de Troyes et de Champagne et devint leur capitale. Elle fut prise et incendiée à la fin du ixe s. par les Normands, mais elle ne cessa ensuite de s’accroître et de prospérer, lorsque les comtes de Champagne eurent fait de leur fief un des plus puissants de la France médiévale. Les comtes embellirent la ville et y creusèrent des canaux destinés à assécher les marécages et à alimenter les tanneries.

Mais Troyes dut surtout sa prospérité économique aux célèbres foires* de Champagne, dont elle était la plus importante. Tous les ans, en juillet (foire chaude) et en novembre (foire froide), des marchands venus du sud et du nord se réunissaient à Troyes, qui se trouvait à mi-chemin de la grande route commerciale qui va de l’Italie et de la Provence vers les côtes de Flandre.

À partir du xie s., les comtes de Champagne accordèrent aux marchands des privilèges, pour assurer définitivement à leur terre les avantages de ce trafic. En Champagne, les Flamands apportaient leurs draperies achetées par les Italiens et les Provençaux et ils en emportaient les tissus de soie, les orfèvreries et les épices venus d’Orient, par Venise, et qu’eux-mêmes acheminaient à Bruges, où venaient s’approvisionner les marins du Nord.

Aussi, aux foires de Troyes, toute l’Europe était-elle représentée : il existait des maisons d’Allemagne comme des hôtels et des halles des marchands de Montpellier, de Montauban, de Valence, de Lérida, de Barcelone, de Rouen, d’Auvergne, de Bourgogne, de Picardie, de Genève, d’Ypres, de Douai, de Saint-Omer, etc.

L’apogée de ces foires se situa au xiiie s., mais dès le début du siècle suivant elles commencèrent à décliner avec l’établissement d’habitudes commerciales plus sédentaires et le développement de liaisons maritimes directes entre l’Italie et la Flandre ainsi que l’Angleterre. La guerre de Cent Ans leur porta le coup décisif.

En 1284, la dernière comtesse de Champagne, Jeanne de Navarre, apporta le comté en dot à son époux, Philippe le Bel, et Troyes fut ainsi réunie au domaine royal.

Au xive s., la ville se montra favorable aux Bourguignons, et le duc de Bourgogne Jean sans Peur décida d’en faire la capitale du royaume. Le 21 mai 1420, la reine Isabeau de Bavière y signait le célèbre traité qui déshéritait le Dauphin au profit du roi Henri V d’Angleterre. Les victoires de Jeanne d’Arc et de Charles VII, qui reprirent la ville le 9 juillet 1429, le rendirent bientôt caduc.

Au xvie s., un grand nombre de ses habitants se convertirent au calvinisme, mais les massacres des guerres de Religion en firent disparaître beaucoup. Au xviie s., la révocation de l’édit de Nantes et le départ des protestants portèrent un rude coup à son commerce, et Troyes perdit ses privilèges municipaux. Le xviiie s. fut au contraire une période tranquille, troublée seulement par l’arrivée du parlement de Paris, exilé en 1787 par Loménie de Brienne.

Au xixe s., l’industrie bonnetière, florissante déjà au xviiie s., y connut un développement spectaculaire et a subsisté jusqu’à nos jours.

P. R.

➙ Aube / Champagne / Champagne-Ardenne / Foire.

 T. Boutiot, Histoire de Troyes et de la Champagne méridionale (Dufey-Robert, Troyes, 1870-1874 ; 4 vol.). / J. Nesmy, Pèlerinages à travers le vieux Troyes (Impr. Paton, Troyes, 1949). / J. Roserot de Melin, le Diocèse de Troyes (Impr. La Renaissance, Troyes, 1958).


Troyes, ville d’art

La richesse artistique de la ville de Troyes est liée à la fortune de la ville, capitale des comtes de Champagne aux xiie et xiiie s. et grand centre marchand pendant la Renaissance. Le château des comtes n’est plus qu’un souvenir, de même que l’église collégiale Saint-Étienne, élevée à la fin du xiie s. dans son enceinte.

Le plus ancien monument de la ville est aujourd’hui l’église Sainte-Madeleine, dont le chœur et le transept ont été construits vers 1200. La hauteur insolite du triforium, le passage intérieur qui le surmonte montrent que l’architecture troyenne du début du xiiie s. a dû jouer un rôle dans la diffusion vers la Bourgogne de traits gothiques issus de l’art anglo-normand par l’intermédiaire de la France du Nord. La cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul fut commencée peu après, vers 1208. Le chœur était presque terminé en 1227, quand un ouragan détruisit les parties hautes. On le reprit aussitôt, puis l’entreprise se ralentit : le transept ne fut achevé que dans la seconde moitié du xiiie s., et la nef seulement au xve s. Le chevet à déambulatoire possède une chapelle d’axe plus importante que les autres chapelles rayonnantes, comme à Saint-Remi de Reims et avant les cathédrales de Reims et d’Amiens. L’élévation du chœur est particulièrement remarquable ; des statues couronnent les piles des grandes arcades sous les colonnettes qui s’élèvent jusqu’aux nervures des voûtes. Le triforium se divise en lancettes trilobées jumelées sous un arc ajouré, et le fond en est vitré. Les fenêtres hautes composées ajourent complètement le mur et se lient au triforium par des colonnettes. Les spécialistes discutent sur la date de ces étages supérieurs à claire-voie et au réseau délicat : avant ou après l’ouragan de 1227 ? Quoi qu’il en soit, le chœur de la cathédrale de Troyes apparaît comme un monument clef dans la genèse du gothique rayonnant, et il a exercé une influence directe sur l’abbatiale de Saint-Denis* et sur l’œuvre de Pierre de Montreuil.