Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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trombonistes de jazz (les)

Le trombone est un des instruments qui ont le moins « inspiré », semble-t-il, les musiciens de jazz. Présent à toutes les époques et dans tous les styles, il est toujours resté en arrière-plan par rapport à la trompette et aux instruments à anche, et rares sont les trombonistes qui ont joué un rôle déterminant quant à l’évolution de la musique afro-américaine.


Sans doute ce retard relatif est-il dû en grande partie à un manque de mobilité inhérent à la facture de l’instrument ; d’où la nécessité pour les trombonistes — au-delà d’une course systématique à la virtuosité — de s’inventer une manière qui ne soit pas le décalque, plus ou moins réussi, du discours des autres instruments. Après les exploits de J. J. Johnson et des autres trombonistes be-bop, le « free* jazz » permettra à quelques musiciens de trouver des solutions inédites et, du même coup, de produire en marge de tout académisme un discours soliste relativement autonome qui tienne compte des seules possibilités du trombone.

Issu des fanfares, comme les autres cuivres, le trombone à coulisse, dans les premiers orchestres de la Nouvelle-Orléans, joue surtout un rôle rythmique et harmonique assez comparable à celui de la contrebasse à vent. Sans produire les moindres variations, il se borne à soutenir les dialogues du cornet et de la clarinette. La seule « fantaisie » des trombonistes d’alors était le style « tailgate » ; il s’agit de glissandos amples et puissants, et surtout très spectaculaires, qui obligeaient à rabattre la porte arrière (tailgate) des camions sur lesquels s’installaient les orchestres pour permettre au tromboniste d’actionner dans toute sa longueur la coulisse de son instrument. Si l’on ne dispose d’aucun témoignage enregistré utilisable du travail de pionniers, plus ou moins légendaires, comme Willie Cornish et Frank Dunsen (tous deux compagnons du trompettiste Buddy Bolden), Eddie Venson, Joseph Petit, Zue Robertson, Roy Palmer, Leonard Bechet (le frère de Sidney), Jules Casoff, Dave Perkins, Tom Brown, George Shilling, il semble, en revanche, que Kid Ory, Honore Dutrey et George Brunies, qui faisait partie des New Orleans Rhythm Kings (1919-1923), puissent être considérés comme les premiers solistes de l’histoire du trombone.

Mais c’est le travail au sein des grands orchestres qui déterminera une première et décisive émancipation du trombone. Jimmy Harrison, chez Fletcher Henderson, et Miff Mole, dans divers orchestres blancs de Chicago, élargissent le champ d’investigation de l’instrument, préparant ainsi la voie à des virtuoses comme Jack Teagarden, Tommy Dorsey et Dickie Wells, qui s’imposent dans les années 30, tandis que, chez Duke Ellington, Joe « Tricky Sam » Nanton explore le domaine des sonorités « jungle ». Également chez Ellington, Juan Tizol utilise le trombone à pistons et Lawrence Brown s’affirme comme un mélodiste raffiné, à la limite parfois de la mièvrerie. Dans l’orchestre de Luis Russell, J. C. Higginbotham s’impose au contraire par un style vigoureux, voire brutal ; chez Henderson, Benny Morton apparaît à la fois comme un bluesman et comme un improvisateur brillant ; Vic Dickenson travaille surtout dans le sens de l’humour et de la vivacité rythmique, mais, à la fin des années 30, c’est encore Dickie Wells qui s’impose par un mélange exemplaire de rigueur et d’invention. Virtuose, Trummy Young annonce les hardiesses du be-bop avant de revenir au style dixieland (ou New Orleans Revival). Autre précurseur du modernisme des années 40 et 50, le Blanc Bill Harris chez Woody Herman.

Exigeant des connaissances harmoniques étendues et une mobilité jusqu’alors inouïe, le be-bop pose aux trombonistes divers problèmes, que J. J. Johnson sera le premier à résoudre, favorisant ainsi l’apparition de musiciens aussi brillants que Kai Winding, Bennie Green, Matthew Gee, Earl Swope, Carl Fontana, Frank Rosolino. D’un modernisme plus nuancé, Eddie Bert, Urbie Green, Willie Dennis, Bob Enevoldsen, Frank Rehak, Ake Persson, Melba Liston, Al Grey, Quentin Jackson, Marshall Brown se tiennent à l’écart des conceptions de Johnson. Mais, au sein des petites formations « hard bop », dans les années 50, presque tous les trombonistes apparaissent comme des disciples de J. J. : Curtis Fuller, Slide Hampton, Jimmy Cleveland, Jimmy Knepper, Julian Priester, Buster Cooper. À toutes les époques, des trompettistes adopteront le trombone à pistons : Billy Eckstine, Maynard Ferguson, Stu Williamson, Clifford Thornton. Aux côtés de Gerry Mulligan, Bob Brookmeyer s’imposera par son éclectisme stylistique. La tradition néo-orléanaise, quant à elle, sera perpétuée par Wilbur De Paris, Conrad Janis, Turk Murphy ainsi que par « Big Chief » Russell Moore.

À côté de techniciens relativement traditionnels comme Tom McIntosh, Garnett Brown, plusieurs musiciens, dans les années 70, vont faire éclater les limites « officielles » assignées jusque-là au trombone et en exploiter toutes les possibilités de contrastes et de surprise au niveau des timbres : l’Allemand Albert Mangelsdorff, le Danois Eje Thelin ainsi que Grachan Moncur III, Roswell Rudd et Charles Greenlee, qui, tous trois, participeront à divers enregistrements du saxophoniste Archie Shepp.

P. C.


Quelques biographies


James Henry Harrison, dit Jimmy Harrison

(Louisville, Kentucky, 1900 - New York 1931). Dans les orchestres de Fletcher Henderson (1926-1931), de Charlie Johnson et de Chick Webb, il apparaît comme une figure de transition entre la musique de La Nouvelle-Orléans et les solos plus complexes des années 30 et 40.
enregistrement : Fidgety Feet (avec F. Henderson, 1927).


James Louis Johnson, dit J. J. Johnson

(Indianapolis, 1924). Après avoir fait partie de grands orchestres (celui de Count Basie en 1945), il travaille à New York avec Dizzy Gillespie et, en 1954, il s’associe avec Kai Winding. Outre la popularité de ce groupe à deux trombones, il s’est imposé par une virtuosité et une sinuosité mélodique héritées de Gillespie et de Parker.
enregistrement : Hip Bones (avec Kai Winding, 1954).


Edward Ory, dit Kid Ory

(La Place, Louisiane, 1886 - Honolulu 1973). À La Nouvelle-Orléans, puis à Chicago, il a travaillé avec King Oliver, Johnny Dodds, Sidney Bechet, Albert Nicholas, Jelly Roll Morton, Louis Armstrong. Son style : un jeu puissant profondément marqué par la manière « tailgate ».
enregistrement : Ory’s Creole Trombone (avec L. Armstrong, 1926).


Roswell Rudd