Trente (concile de) (suite)
Le décret de justification est le plus long à formuler (6 mois), les pères étant divisés en tenants et en adversaires de la tradition augustinienne. En fin de compte, les pères ne tranchent pas entre les diverses écoles théologiques et se contentent de prendre leurs distances vis-à-vis des protestants. Cette attitude aura de lourdes conséquences puisqu’elle laisse la porte ouverte à toutes les controverses. La querelle janséniste, par exemple, en sera un des fruits (v. jansénisme).
On légifère sur les sacrements*, instruments de toute justification. Se référant à la scolastique médiévale, les pères opposent aux théories luthériennes, prônant la foi comme seule nécessaire à la justification, celle des sacrements, comme signes efficaces de celle-ci, en vertu de leur opération même. À propos de l’eucharistie*, ils affirment la présence réelle ; la transsubstantiation est donc opposée à l’impanation protestante. On proclame aussi la légitimité du culte des saints, de leurs reliques et de leurs représentations figurées.
Les décrets de réforme préconisent la résidence des évêques et des curés sur le lieu de leur juridiction. Ainsi, les évêques ne doivent pas s’absenter plus de deux mois. Ils sont tenus de visiter leur diocèse tous les deux ans et de réunir des synodes tous les ans, de même qu’ils doivent participer tous les trois ans aux conciles provinciaux. On interdit le cumul des bénéfices et on impose à chaque évêque la fondation d’un séminaire dans son diocèse pour la bonne formation de son clergé.
Les curés devront enseigner le catéchisme et prêcher tous les dimanches au cours de la messe paroissiale. La réforme de la vie monastique est décidée ; un âge minimal est fixé pour entrer dans les ordres : il est interdit aux religieux de posséder des biens personnels ; une clôture stricte est rétablie.
Cet énorme travail doctrinal et réformateur, élaboré en quelques années, ne se comprend que replacé dans une continuité. Car Trente, plus qu’une réponse à l’hérésie ou qu’un réflexe de défense, est l’aboutissement de toute une tradition ; il n’a été possible que grâce au développement des progrès théologiques, dont les ordres mendiants furent les dépositaires.
Ce qui domine, c’est la volonté de séparer le clerc du « monde » et, au-delà, de confondre l’Église avec le clergé. Mais cette différenciation du clerc est jugée indispensable, comme un temps de recréation nécessaire à l’Église, pour qu’elle puisse reprendre et échapper à la confusion temporel-spirituel.
Cette orientation recèle des difficultés et des dangers. La difficulté principale réside en ce que l’Église tridentine ne pourra pas se dégager pleinement de la société d’ordres à laquelle elle participe, c’est-à-dire du pouvoir temporel.
Le vrai triomphe du concile, c’est d’avoir contribué à la formation de l’« homme moderne ». Au travers d’une crise profonde — encore mal étudiée —, l’humanité chrétienne du xvie s. se découvre soudain menacée d’écrasement par un Dieu terrible et tout-puissant. Dans leurs décrets dogmatiques, les pères conciliaires, en cela héritiers de l’humanisme renaissant, feront tout pour garder l’homme intact, ni impuissant ni divisé, mais coopérateur de l’action divine dans l’œuvre du salut.
Dans les rapports entre monde naturel et monde de la grâce, Trente opte pour un équilibre optimiste en la nature humaine ; il refuse l’univers d’écrasante solitude où s’engageait la mystique nordiste et où, dans son sillage, s’engagera le jansénisme. L’homme, tel que l’a voulu Trente, ne sera pas le pèlerin solitaire dans son face à face avec Dieu ; l’univers tridentin, que concrétise si bien l’art baroque, est peuplé au contraire d’intermédiaires bienfaisants entre Dieu et l’homme. L’œuvre de salut s’accomplira désormais avec tout le peuple fidèle, dans l’Église, et par l’Église.
P. R.
L. Cristiani, l’Église à l’époque du concile de Trente (Bloud et Gay, 1948). / H. Jedin, Kleine Konziliengeschichte (Fribourg, 1959 ; trad. fr. Brève Histoire des conciles, Desclée, 1960) ; Krisis und Abschluss des Trienter Konzils (Fribourg, 1964 ; trad. fr. Crise et dénouement du concile de Trente, 1562-1563, Desclée, 1966).