Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

travail (sociologie du) (suite)

L’école des relations humaines


Les expériences de la Western Electric Company

En dépit de l’œuvre de Marx*, curieusement redécouverte de façon tardive par les sociologues, en dépit des travaux empiriques réalisés au xixe s. et au début du xxe s., on a coutume de faire naître la sociologie du travail avec la fameuse série d’expériences réalisées par Elton Mayo et ses élèves dans les ateliers de Hawthorne de la Western Electric Company de 1927 à 1932. Ceux-ci y commencèrent leurs expériences avec cette conception propre à la théorie physiologique des organisations, d’inspiration taylorienne ou post-taylorienne, dans laquelle on cherche à isoler le rôle direct, sur le comportement d’un individu, d’une variable spécifique de type en général délibérément physique. Il s’agissait d’étudier les effets de la fatigue et de la monotonie sur le rendement. Quelques ouvrières, sélectionnées en raison de leurs affinités, furent isolées dans un atelier expérimental équipé de tous les appareils d’enregistrement permettant de mesurer l’incidence de facteurs physiques (humidité, température) sur le rendement. Le travail consistait à assembler des relais de téléphone. Selon un plan expérimentai rigoureux, des modifications furent apportées dans leur situation de travail : nombre et durée des pauses, diminution de la durée quotidienne et hebdomadaire de travail. Malgré la réduction du temps de travail, le rendement augmenta. Mais celui-ci continua d’augmenter une fois que tous les avantages acquis furent supprimés et qu’on en revint à la situation initiale. Les ouvrières, ne se sentant pas plus fatiguées, furent aussi surprises que les chercheurs de ces résultats, qu’elles attribuèrent aux relations de confiance régnant dans l’atelier expérimental. Les chercheurs réalisèrent alors que l’expérience qu’ils avaient faite était totalement différente de celle qu’ils avaient planifiée. Ils s’étaient efforcés de tester les effets d’une variable particulière en maintenant les autres constantes ; mais en cherchant à créer le climat propice à leur expérience, ils avaient changé la situation totale des ouvrières, leurs attitudes personnelles et leurs relations interpersonnelles. Ce sont ces changements et non les conditions matérielles qui expliquent l’amélioration du rendement. Autrement dit, l’individu ne réagit pas mécaniquement aux conditions physiques de l’environnement, il les ressent en fonction de sentiments et d’attitudes venant de son expérience personnelle antérieure et de ses relations et interactions dans l’entreprise.

Ainsi se trouvait désigné l’objet nouveau que s’efforcèrent de préciser les autres expériences. Il est remarquable que, pour mieux le cerner, les chercheurs adoptèrent des méthodes de moins en moins interventionnistes. La démarche finale, de type quasi ethnographique, utilisée pour étudier le fonctionnement d’un atelier où fut analysé de façon originale l’établissement par les travailleurs de normes de production, contraste singulièrement avec la conception psychophysiologique initiale proche du béhaviorisme.

Ainsi se trouvait également ouvert le champ dans lequel deux générations de chercheurs, jusque vers les années 50, inscriront leur travail.


Le cadre conceptuel

À l’exception peut-être de Georges C. Homans, de la deuxième génération, les chercheurs des relations humaines n’élaborèrent pas de théorie au sens strict du terme. Ce qu’on a pu appeler la théorie des relations humaines se limite en dernier ressort à une sorte de découpage conceptuel des réalités de l’entreprise destiné à orienter l’imagination des chercheurs et des praticiens, à leur permettre de repérer et de formaliser des problèmes auxquels elle ne donne aucune solution a priori.

L’une des distinctions clefs dans leur façon d’observer la réalité de l’entreprise est l’opposition entre l’organisation formelle et l’organisation informelle. L’organisation formelle, ce sont les modèles d’interaction prescrits pour assurer la coopération nécessaire à l’accomplissement des buts économiques de l’entreprise : l’organigramme, les règlements, les consignes. L’organisation informelle, ce sont les relations interpersonnelles de fait existant entre les membres de l’organisation et dont ne rend pas compte, ou mal, l’organisation formelle.

À ces organisations correspondent des systèmes d’idées et de croyances particulières, des logiques propres. À l’organisation formelle correspond la logique du coût et de l’efficacité, à l’organisation informelle la logique des sentiments, c’est-à-dire le système d’idées et de croyances qui expriment les valeurs propres aux relations humaines des différents groupes de l’entreprise.

On comprend donc l’intérêt des chercheurs pour le problème des communications et l’angle sous lequel il sera abordé. Si les dispositions adoptées par une entreprise pour mettre en œuvre une politique ne sont pas suivies par les membres de l’organisation, ce n’est pas nécessairement parce que ceux-ci y sont opposés. Il ne sert à rien pour les responsables de les justifier auprès des subordonnés dans les termes qui les leur ont fait adopter, en termes de coût et d’efficience. Il s’agit — et c’est quelque chose de plus exigeant qu’une simple traduction — de permettre à la logique des sentiments de trouver sa place dans un type d’organisation concret, voire dans le processus de mise en place de tout système d’organisation.

L’entreprise est considérée comme un système social, c’est-à-dire un ensemble dont les parties sont interdépendantes ; un changement dans l’un des éléments se traduit par un changement dans les autres. Ainsi, un changement trop rapide d’un élément par rapport à d’autres, de l’organisation technique par rapport à l’organisation sociale, de l’organisation formelle par rapport à l’organisation informelle entraîne un déséquilibre, une pathologie dont la résistance au changement est la forme la plus commune.