Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Trajan (suite)

La prise des trésors royaux et l’exploitation des mines d’or, d’argent et de fer procurèrent d’abondantes ressources au trésor impérial. Ressources opportunes, car le début du règne s’était signalé par une politique d’économies et de dégrèvements fiscaux en dépit de dépenses militaires considérables. Il avait fallu vendre une partie du domaine impérial, pousser l’exploitation des mines et des carrières de l’État, abaisser l’aloi de la monnaie. L’empereur surveilla avec vigilance l’administration fiscale et la perception des impôts. La prospérité ne fut, néanmoins, que passagère, car l’or dace fut vite dépensé. Les fêtes qui célébrèrent la victoire et les grands travaux publics en absorbèrent une grande part. À Rome fut édifiée la colonne Trajane, dont les 155 bas-reliefs, déroulés le long de son fût à la manière d’un rouleau de papyrus enluminé, racontent les opérations de la conquête, en nous révélant maints détails relatifs à la vie quotidienne des soldats. Une frise grandiose, d’une trentaine de mètres et dont une partie se trouve incorporée à l’arc de Constantin à Rome, exalte également les hauts faits de l’empereur. Elle devait se trouver dans le forum qu’il fit bâtir près des autres forums impériaux de Rome par Apollodore de Damas, architecte célèbre. Ces aménagements avaient nécessité d’énormes terrassements. À ce forum se joignaient, outre la colonne, la basilique Ulpia, des bibliothèques et un vaste marché couvert sur plusieurs étages. Des thermes colossaux furent construits sur l’Esquilin, par-dessus les substructions de la Maison dorée de Néron. En Italie et dans les provinces, les constructions furent également nombreuses (arcs de triomphe de Bénévent, d’Ancône, nouveau port à Ostie, pont d’Alcántara, trophée d’Adamklissi en Dacie) et contribuèrent à perpétuer à l’empereur sa réputation de bâtisseur, qui incitait Constantin à le qualifier d’herba parietaria, tant on rencontrait son nom au fronton des édifices.


La guerre d’Orient

Mais Trajan devait achever son règne par une guerre malheureuse en Orient. Les causes politiques de conflit avec les Parthes* ne manquaient pas, tandis que les causes économiques possibles sont aujourd’hui l’objet de discussions. Il est certain que la conquête de l’Arabie nabatéenne, en 105, assurait le contrôle de précieuses routes caravanières. Mais l’occupation de l’Arménie et, au-delà, de l’Osroène ainsi que d’une partie de la Mésopotamie, à la suite d’une provocation du roi parthe, semblerait correspondre seulement au désir d’établir un glacis défensif (prise de Ctésiphon, 115 ou 116). La révolte des Juifs d’Orient devait détourner l’empereur de ses projets, et la mort le surprit alors qu’il reprenait le chemin de l’Occident.

Trajan a réussi à être à la fois un grand batailleur et le souverain bon et légitime, comme le concevaient les philosophes de son temps. Avec son règne et son avènement issu de l’adoption, qui devient la règle, l’opposition philosophique au pouvoir s’apaise. Dion Chrysostome colporte dans les provinces ses éloges de la royauté, opposée à la tyrannie, et Pline le Jeune écrit un Panégyrique de Trajan. Longtemps après, au Bas-Empire, on souhaitera officiellement à chaque nouvel empereur d’être « plus heureux qu’Auguste, meilleur que Trajan ».

R. H.

 F. A. Lepper, Trajan’s Parthian War (Oxford, 1948).

Trakl (Georg)

Poète autrichien (Salzbourg 1887 - Cracovie 1914).



Une vie brève et difficile

Georg Trakl est le quatrième des six enfants d’une famille de petite bourgeoisie. Un lien très fort et sans doute particulier l’attache à sa sœur Margarethe, qui hantera, ombre aimée et menaçante, sa poésie. Un poème écrit très tôt, Blutschuld (Inceste), a pour thème l’aspect double : passion et sentiment de la faute, qu’inspirent à Trakl ses relations avec sa sœur :
Tremblants encore de volupté douce et maudite
Nous prions : Pardonne-nous ô Marie pleine de grâce.

Cette déchirure, ces « postulations simultanées, l’une vers Dieu, l’autre vers Satan » qu’évoquait Baudelaire, dont Trakl a subi l’influence, caractérisent la poésie de celui-ci.

L’enfance du poète est banale : Trakl fréquente le lycée de sa ville natale, sans grand succès, semble-t-il, puisqu’il le quitte deux ans avant le baccalauréat. Il se prépare alors à exercer la profession de pharmacien ; en octobre 1908, ayant achevé un stage de trois ans à Salzbourg, il fait à Vienne deux années d’études universitaires qui lui permettent d’obtenir le titre de magister pharmacien. Vienne lui inspire de la répulsion ; Trakl parle de la « ville la plus brutale et la plus vulgaire qui soit dans ce monde coupable et maudit ». Ce thème de la ville, qu’il voit hantée par l’« esprit du mal », reviendra souvent dans ses poèmes. Après une année de service volontaire comme sous-lieutenant, Trakl, de mai 1912 à août 1914, vit surtout à Innsbruck ; affecté à l’hôpital militaire, il ne supporte pas le contact avec les clients et demande, au bout de six mois, à être versé dans la réserve. Dès lors, sa vie n’est plus qu’une fuite perpétuelle : la destinée tragique du poète ressemble à celle de Hölderlin, que Trakl appelait d’ailleurs « mon frère vénéré ». Lorsqu’en janvier 1913 il se décide à prendre un emploi de secrétaire au ministère du Travail à Vienne, Trakl ne supporte cette contrainte que trois jours. Toutes ses autres tentatives pour mener une vie « normale » échouent : comme un homme traqué, il va chaque fois chercher refuge au Tyrol. C’est là qu’il fait la connaissance de Ludwig Ficker (1880-1967), éditeur d’une revue, der Brenner, qui publiera régulièrement ses poèmes. Chez Ficker, à Mühlau, il trouve enfin un asile où il séjournera, avec quelques brèves interruptions, jusqu’au début de la guerre. En août 1914, il est mobilisé dans les services sanitaires et envoyé sur le front de Galicie. Il participe à la bataille de Grodek (titre de son dernier poème), doit alors s’occuper seul de quatre-vingt-dix blessés graves, dans des conditions si insoutenables qu’il tente de se suicider. Quelques semaines après, il est rappelé à l’hôpital militaire de Cracovie pour être mis en observation dans le service de psychiatrie. C’est là qu’il meurt dans la nuit du 3 au 4 novembre 1914 après avoir absorbé — erreur ou intention — une trop forte dose de cocaïne.