Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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traduction (suite)

C’est ainsi qu’après Sapir* et Malinowski*, E. A. Nida a montré que la solution des problèmes de traduction est aussi souvent d’ordre ethnologique que d’ordre proprement linguistique. C’est ainsi qu’on a pu dilater le concept linguistique de « langue » aux dimensions d’une « langue-culture » (H. Meschonnic) ou thématiser la « périlangue » culturelle, situationnelle et comportementale qui en est solidaire (J.-R. Ladmiral).

Plus généralement, on se ralliera à la formulation de J. C. Catford, pour qui la traduction réside dans l’identité du « sens contextuel » (au sens excessivement élargi où l’anglais context subsume à la fois l’environnement textuel et la situation référentielle), autrement dit dans l’équivalence linguistique et/ou « fonctionnelle » : l’énoncé-source et l’énoncé-cible ont le « même » sens quand « ils fonctionnent dans la même situation ». Ce parti pris de « sémanticien » appelle une linguistique de la parole et une théorie de l’énonciation. Il confirme aussi que, de la théorie linguistique à la pratique traduisante, le rapport n’est pas de pure et simple application linéaire, pas plus que de la biologie à la médecine. Aussi, tant qu’ils n’ont pas la pratique réelle de la traduction (et bien peu l’ont !), les linguistes produisent-ils un discours théorique radicalement insatisfaisant pour les traducteurs, parce que inadéquat à leur pratique. C’est aussi pourquoi on ne saurait parler en toute rigueur de « techniques de traduction ».


Pratiques de la traduction

Dans la pratique, la traduction sera toujours partielle. Comme tout acte de communication, elle comportera un certain degré d’entropie, autrement dit une certaine perte d’information. Le métier de traducteur consiste à choisir le moindre mal ; il faut distinguer ce qui est essentiel de ce qui est accessoire. Les choix du traducteur seront orientés par un choix fondamental concernant la finalité de la traduction, le public-cible, le niveau de culture et de familiarité qu’on lui suppose avec l’auteur traduit et sa langue-culture originale... C’est ainsi que la traduction visera plus ou moins à la « couleur locale », au dépaysement (dans le temps comme dans l’espace), et les lunettes du traducteur seront respectivement des « verres colorés » ou des « verres transparents » (G. Mounin) : par exemple, on traduira en français le mot grec polis soit par Cité, soit par État.

On doit à J.-P. Vinay et J. Darbelnet l’un des meilleurs manuels de traduction qui soient, pour le domaine français-anglais. Les auteurs tentent d’y définir le concept d’unités de traduction, correspondant non pas à des mots, mais à des groupes syntagmatiques faisant sens, et ils proposent sept types de solutions aux difficultés de traduction.

Face à une lacune lexicale de sa langue-cible (un mot « intraduisible »), le traducteur peut avoir recours à la solution désespérée de l’emprunt, qui importe tel quel le terme-source étranger (signifiant et signifié), ou à cette importation plus discrète qu’est le calque (emprunt du signifié sans le signifiant). Dans les deux cas, c’est le plus souvent le mot, mais aussi la chose elle-même qui sont importés de la langue-culture-source. L’emprunt peut revêtir une valeur stylistique de « couleur locale » : feed-back pourra être préféré en français-cible à son doublet plus tardif rétroaction. Puisque l’emprunt et le calque importent un signifié-source, il conviendra que ce dernier soit explicité soit en note, soit par un contexte qui le paraphrase (ce qui revient au même). Le mot-à-mot (ou la traduction « littérale ») est parfois possible : c’est le cas limite, optimiste, où la traduction tend à se confondre avec un transcodage, mais cette traduction idéale est l’exception.

À côté de ces trois solutions « directes », J. Darbelnet et J.-P. Vinay proposent quatre procédés de « traduction oblique ». La transposition remplace « une partie du discours » par une autre ; ainsi le traducteur sait que, là où le français emploie le verbe aimer (aimer se baigner, le chocolat...), on construira souvent une phrase modalisée par l’adverbe gern en allemand, et inversement. La modulation implique pour ainsi dire le détour d’une paraphrase synonymique, la même idée se trouvant exprimée différemment en langue-source et en langue-cible : l’anglais forget it ! devient en français n’y pense(z) plus... L’équivalence prend l’énoncé-source comme un tout et entreprend de proposer un équivalent-cible correspondant à la même situation référentielle (non linguistique) : on traduira l’une par l’autre les expressions suivantes : j’ai une faim de loup (français), tengo un hambre canina (espagnol), ho una fame de cavallo (italien)...

Enfin, l’adaptation désigne moins un procédé de traduction qu’elle n’en indique les limites : c’est le cas limite, pessimiste, de la quasi-intraduisibilité, là où la réalité à laquelle se réfère le message-source n’existe pas pour la culture-cible. E. A. Nida donne de nombreux exemples de cela à propos de la traduction de la Bible : comment traduire la parabole du figuier dans une langue qui ne connaît cet arbre que par son espèce non comestible et vénéneuse ? Quant au nom de Dieu, les difficultés rencontrées pour le traduire semblent ressusciter là de très anciens interdits...

Au-delà de ces obstacles culturels à la traduction, qui mettent en difficulté une théorie « situationaliste » de la traduction, il se pose plus généralement le problème des métalangages, où le signifié n’est gagé sur aucun autre réfèrent que lui-même. Ainsi la philosophie et, plus encore, la poésie posent-elles dans toute son ampleur le problème de la traduction. A fortiori faut-il ici déborder la dimension linguistique du problème vers une poétique de la traduction qui suppose une théorie de la « littérarité » (H. Meschonnic).

Le vieux problème des traductions en vers ne se pose plus guère dans la mesure où l’on peut n’y voir souvent qu’une façon maladroite de singer la forme du poème original sur le registre, tout à fait différent, de la langue-cible.

On se heurte à la double « intraduisibilité » de la forme du signifiant et des formes littéraires, rhétoriques ou métriques, lesquelles relèvent de l’idiosyncrasie culturelle.