Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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traduction (suite)

Les problèmes linguistiques de la traduction

Le problème de la traduction est souvent posé dans les termes antinomiques d’un débat académique : traduction littérale ou traduction dite « libre », autrement dit la fidélité ou l’élégance, la lettre ou l’esprit. Ce sont ces deux pôles d’une même alternative, indéfiniment rebaptisés, qui scandent l’histoire de la traduction selon un mouvement de balancier entre l’« équivalence formelle » et l’« équivalence dynamique » (E. A. Nida), entre le mot-à-mot et les « belles infidèles » (G. Mounin)...

Aux sources historiques de la traduction, on trouve d’abord les textes sacrés, comme la traduction grecque de l’Ancien Testament (dite « des Septante »), la traduction latine de la Bible par saint Jérôme (la Vulgate), etc. Encore maintenant, l’American Bible Society développe une immense activité de traduction sous la direction du linguiste Eugene A. Nida. Les textes littéraires de l’Antiquité ont aussi joué un grand rôle dans la traduction en Occident : le nombre des traductions de l’Iliade et de l’Odyssée est, à cet égard, impressionnant, quoique sans comparaison avec celui des traductions de la Bible. Les littératures nationales européennes ont commencé avec des traductions du grec et du latin (prestige, en France, du Plutarque traduit par Amyot), et les œuvres de la Pléiade, par exemple, font apparaître une continuité allant de la traduction proprement dite à la simple adaptation qui ne fait que s’inspirer des chefs-d’œuvre antiques ; et nombreux sont les écrivains qui, comme Valéry Larbaud, nous ont légué des « Arts de traduire »...

Il est clair que, de nos jours, les besoins en traductions sont extrêmement diversifiés et atteignent une ampleur considérable qui va croissant. C’est l’urgence et la masse des besoins en matière scientifique qui sont à l’origine des travaux sur la traduction automatique (T. A.), ou « machine à traduire », entrepris depuis la Seconde Guerre mondiale.

La finalité d’une traduction consiste à nous dispenser de la lecture du texte original. La traduction est censée remplacer le texte-source par le « même » texte en langue-cible. C’est le caractère problématique de cette identité qui fait toute la difficulté d’une théorie de la traduction.

En première approximation, on rapprochera la traduction d’un transcodage, où le message nous parvient en code-source (les impulsions électriques du morse par exemple) pour être décodé puis recodé (en se servant du code-cible de notre alphabet graphique par exemple). Mais ce serait réduire les langues naturelles à de simples nomenclatures lexicales, la traduction se contentant de remplacer les mots-source par les mots-cible selon une correspondance supposée biunivoque entre les uns et les autres ; en effet, à l’origine commune de la traduction et du dictionnaire, on trouve de telles listes de termes bilingues, voire plurilingues, appelées tables de concordance (par exemple les glossaires sumérien-akkadien) ; de même, les travaux sur la « machine à traduire » commencent avec des recherches portant sur le dictionnaire automatique. En fait, la traduction met en jeu non seulement le vocabulaire, mais aussi la syntaxe, la stylistique et la dimension proprement idiomatique des langues concernées. C’est ce qui rend impraticable le pur et simple mot-à-mot d’un transcodage.

Toute théorie de la traduction est confrontée au vieux problème philosophique du Même et de l’Autre : à strictement parler, le texte-cible n’est pas le même que le texte original, mais il n’est pas non plus tout à fait un autre. Le concept même de « fidélité » au texte original traduit cette ambiguïté selon qu’il s’agit de fidélité à la lettre ou à l’esprit.

Ce débat traditionnel sur les « belles infidèles » débouche sur une autre antinomie fondamentale de la traduction : le problème de l’intraduisibilité. Tout est traduisible et/ou la traduction est impossible. Tous ces problèmes sont insolubles en soi et en général : on n’y trouve qu’au coup par coup des solutions partielles.

Plutôt qu’en termes de code et de message, c’est en se servant des concepts saussuriens de « langue* » et de « parole », plus proprement linguistiques et n’impliquant pas le même niveau de formalisation, qu’on pourra esquisser une théorie de la traduction. Le concept d’équivalence reproduit l’ambiguïté de la traduction : on précisera qu’il s’agit d’une identité de la parole à travers la différence des langues.

En principe, il convient de traduire — c’est-à-dire de « faire passer » en langue-cible — ce qui ressortit à la parole dans le texte-source, car c’est ce que « dit » l’auteur qu’on traduit. La traduction de ce qui appartient à la langue (forme du signifiant phonologique et graphique, contraintes grammaticales, habitudes « idiomatiques »...) est, au contraire, placé sous le signe de la différence : aux éléments de langue-source, on substitue seulement des équivalents en langue-cible.

Mais l’application de ce principe général fait souvent problème dans la pratique. Certes, on traduira sans hésiter l’anglais I am sorry par le français excusez-moi, parce que ce sont des expressions toutes faites appartenant au stock collectif de la langue, mais il ne semble pas qu’on puisse s’autoriser de ce que la tendance à une conceptualisation très poussée est coextensive au discours théorique de « langue » allemande pour alléger systématiquement d’une part de leur contenu théorique les phrases d’un texte allemand qu’on traduit en français...

Non seulement il peut être difficile d’abstraire la parole de l’auteur de la langue-source, au sein de laquelle elle a trouvé sa formulation, mais surtout la solidarité de chaque langue avec tout un contexte culturel fait apparaître la nécessité d’intégrer à la théorie de la traduction toute la perspective extra-linguistique d’une anthropologie. En effet : comment traduire le français ordinateur ou cassoulet en peul ? ou le vocabulaire japonais de la cérémonie du thé, voire seulement les expressions techniques du base-ball en français ?