Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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tourisme (suite)

Ainsi, au fur et à mesure que l’on s’éloigne du foyer de la demande touristique, l’aménagement de l’espace touristique et la nature des fréquentations et des habitudes de consommation dépendent moins de l’initiative individuelle de ceux qui se déplacent et davantage des organismes d’aménagement des régions d’accueil et des compagnies de voyages ou des promoteurs qui réalisent les équipements et les exploitent. Le tourisme diffus de séjour et le tourisme nomade restent encore dans une large mesure structurés par les consommateurs. Le tourisme de séjour de masse à moyenne distance et le séjour à longue distance ne se comprennent pas sans analyse de la politique des offreurs spécialisés, dont l’action pèse de plus en plus dans l’organisation de l’espace.


L’espace touristique

Les conceptions et les méthodes de structuration de cet espace ont varié avec le temps.


La ville « classique »

À la suite des expériences anglaises du xviiie s., de l’exemple de Bath en particulier, le tourisme a été très tôt créateur de villes. Celles-ci étaient ordonnées autour d’un centre de commerce et de services où la place des loisirs était importante : Bath offrait ainsi un théâtre et des rues commerçantes ; on avait aménagé de belles perspectives conduisant au centre ; la promenade y était plaisante et chacun pouvait jouir du spectacle que les beaux équipages s’offraient mutuellement. Longtemps, l’ordonnance des villes touristiques est restée conçue selon ces principes. Le centre était dense et comportait commerces de luxe et hôtels. Il se prolongeait par une promenade, mais, à la différence de (elle de Bath, celle-ci devint très vile, hors des stations thermales, une allée ouverte sur la montagne (le boulevard des Pyrénées à Pau) ou sur la mer (la promenade des Anglais à Nice) ou les fronts de lac des stations des Alpes suisses ou italiennes. Le long de cette promenade, on édifiait les hôtels les plus luxueux, les casinos, on aménageait, sur des jetées qui avancent en mer, des salles de concert et de café (dans le modèle anglais), on construisait de grands cafés à terrasse (dans le modèle français, et dans bon nombre de stations d’Europe centrale). L’ensemble était monumental, très bourgeois comme atmosphère, un peu compassé. Les villes touristiques d’Europe centrale, certaines stations italiennes ont gardé presque intacts le paysage et l’ambiance ainsi modelés dans le courant du xixe s. Elles conservent hors du centre et de la promenade, des villas somptueuses souvent trop chargées ; celles qui donnaient sur les allées, les plus grandes et les plus belles généralement, ont disparu pour laisser place à de grands blocs.

À partir de la lin du xixe s., la conception de la ville touristique s’altère. Celle-ci est souvent destinée à une clientèle plus modeste, ce qui interdit les aménagements de prestige de la période précédente. Plus encore, l’art urbain se détériore : on se met à tracer des rues étriquées, comme dans les banlieues des grandes villes d’alors (c’est le cas à Arcachon, à Hyères, à Vichy), on renonce aux promenades les plus spectaculaires, aux très grands pares qui y suppléaient en France et en Europe centrale dans les villes d’eau qui manquaient de pittoresque. Les hôtels et les pensions de famille prolifèrent pour une clientèle qui ne peut acheter. Les équipements commerciaux sont moins complets.


La ville-dortoir

L’évolution traduit une transformation dans l’attitude des touristes. La mode, à partir de la fin du xixe s., est au naturisme, aux exercices physiques. Bien avant que les villes commerciales et industrielles connaissent la désarticulai ion de la rue et du paysage urbain qui résulte de celle transformation de la sensibilité, la ville touristique est profondément affectée. Elle n’est plus conçue que comme un dortoir d’où les estivants, les skieurs, les naturistes pourront gagner au plus vite les lieux où ils se reposeront, s’amuseront, se dépenseront : il n’y a plus de spectacle urbain, plus de fonctions centrales à assumer. Tout ce qui compte, c’est de mettre au plus près de la mer ou de la piste ceux qu’on accueille : la ville touristique devient une banlieue morne, souvent lâche, allongée le long des lieux qu’elle ouvre. La mode du camping contribue aussi à altérer le paysage : désormais, la zone bâtie se trouve interrompue de place en place par les parcs ou les prairies où se pressent les tentes et les caravanes. Pour être sûrs d’attirer la clientèle, ils s’implantent au plus près de la côte ou sur les meilleurs sites de la montagne, ajoutant ainsi à l’impression d’inachevé, de cohue, de désordre qui caractérise de plus en plus ces espaces.

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les opérateurs qui contribuaient à l’organisation de l’espace urbain appartenaient essentiellement à deux catégories : les municipalités, responsables du plan d’ensemble et des équipements collectifs ; les lotisseurs et les particuliers, qui construisaient villas et immeubles. Avec la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle clientèle et les techniques modernes de construction, les choses changent. Il est désormais possible de construire partout de grands immeubles, ce qui permet d’augmenter le nombre de ceux qui ont directement accès à la mer. Du coup, le promoteur devient un des personnages importants de l’univers touristique. Il s’en donne à cœur joie là où la législation ne le tient pas en bride : en Espagne, le littoral tout entier se trouve ainsi en quelques années bordé d’une falaise de béton ; il s’est ainsi réalisé une série d’agglomérations linéaires sans structuration qui suffisent à satisfaire les aspirations d’une clientèle modeste soucieuse surtout d’avoir accès au soleil et à la plage. Économiquement et dans l’immédiat, c’est un succès. Écologiquement, esthétiquement, c’est un désastre.


La ville nouvelle

Les attitudes oui beaucoup changé depuis une vingtaine d’années. Les motivations des touristes ne sont plus aussi simples qu’autrefois : il ne s’agit plus de voir et de se faire voir, comme dans la cité aristocratique et bourgeoise héritière des expériences anglaises ; mais on ne cherche plus à oublier la ville, la société réduisant au minimum la vie civile. Avec le développement de la civilisation des loisirs, les motivations sont devenues complexes : on veut un retour à la nature, un contact avec un milieu qui ne soit pas trop altéré ; mais le retour à la nature, c’est désormais aussi une rupture avec les cadres de la société aux rôles trop bien classés des civilisations industrielles. Les civilisations primitives offraient, dans leurs communautés de petite dimension, des possibilités de fraternisation et de contact plus fréquentes : on voudrait recréer la même ambiance, ou en inventer une encore plus libre et fraternelle. Est-ce à dire qu’on doive assister à la dissolution de tout ce qui est urbain ? Oui, dans certains cas. Généralement, pourtant, la volonté de renouer avec une existence plus « authentique », plus « primitive » va de pair avec le désir de participer à des activités sociales diverses et souvent sophistiquées. Il faut des restaurants pittoresques et variés pour jouir de l’exotisme culinaire, des dancings et des boîtes de nuit, des salles de spectacle, des salles de jeux et des terrains pour les spectacles collectifs et les parades. Un nouvel art urbain est appelé par ces aspirations.