Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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tourbières (suite)

Tourbières bombées

Ces tourbières se localisent dans des lacs en voie de comblement, aux eaux acides, pauvres en ions calciques, qu’elles colonisent en partant des rives ou du centre, sur des sols frais acides ou complètement décalcifiés, sur d’anciennes tourbières basses dont le pli neutre ou légèrement alcalin est en cours de modification, sur des pentes en forêts humides, en particulier en montagne.

Au point de vue du peuplement végétal, elles sont surtout caractérisées par la présence de Sphaignes, dont les tiges possèdent de grandes cellules mortes servant au pompage de l’eau, qui s’élève ainsi jusqu’aux têtes vivantes bien vertes. Ces plantes peuvent en absorber et retenir une quantité énorme (vingt fois leur poids), mais elles ne peuvent vivre que dans des eaux acides, et encore entre certaines limites très étroites des valeurs du pH (espèces sténoïoniques), qu’elles maintiennent elles-mêmes. Dans des tourbières bombées en cours d’installation à partir de tourbières basses, on peut même constater que le courant d’eau primitif subit une acidification très nette de l’amont vers l’aval. Les peuplements de Sphaignes se développent en hauteur et latéralement ; on est donc en présence d’une croissance centrifuge ; les parties les plus anciennes étant au centre du peuplement, à l’inverse de ce que l’on avait pour les tourbières plates ; il en résulte une formation lenticulaire plus renflée au centre que sur les bords et qui lui fait donner le nom de haute tourbière (Hochmoor en allemand). Celle-ci est beaucoup plus tributaire des précipitations que les tourbières basses alimentées par des ruisselets, aussi est-elle localisée dans des régions océaniques à forte pluviosité, ou dans des montagnes, ou encore dans les régions nordiques ; tous ces pays ont en plus un climat relativement frais. Quand ces tourbières sont établies autour d’un lac, on a dans les parties d’eau libre une végétation à Menyanthes trifolia, puis une zone à Linaigrettes et à Carex. Sur les Sphaignes, à ce niveau, on observe Drosera rotundifolia, D. obovata, plantes carnivores rouges qui captent de très petits Insectes grâce aux poils gluants qui se referment sur eux. En Europe centrale, le Ledum palustre est fréquent. Au milieu du tapis de Sphaignes, on trouve également une Rosacée à belles fleurs rouges (Comarum palustre) et parfois des Lycopodes. Dans les parties les plus sèches de ces tourbières (sur le haut des buttes à Sphaignes) s’installe une population d’Éricaeées : Oxycoccos, Andromeda ; il apparaît enfin une végétation arborée, surtout représentée dans les Alpes par le Pin à crochets (Pinus montana). Une évolution peut mener, par dessèchement, à la lande acide (Calluna, Rhododendron, Vaccinium) avec de nombreux Lichens, en particulier des Cladonia. En Amérique du Nord, d’autres genres sont présents : les Sarracenia, plantes carnivores, les Kalmia, les Gaultheria... Dans l’hémisphère Sud, les plantes de la famille des Éricacées, si nombreuses dans nos régions, sont remplacées par des Épacridacées. Ces stations ont des sols réducteurs, asphyxiés, pauvres, assez peu favorables à une bonne production végétale. Leur amélioration ne peut être obtenue que par une diminution de l’acidité (apport de substances basiques, chaux) : ainsi peuvent être établies des prairies et même des peupleraies.

La tourbe acide, pauvre en azote (rapport carbone/azote assez élevé, de l’ordre de 40 p. 100), doit à sa faible teneur en cendres (2 p. 100) d’être considérée comme un combustible supérieur à la tourbe neutre ; elle donne, sèche, environ 4 000 cal/kg ; la houille en fournit le double.


Tourbières fossiles

Les tourbières, présentes actuellement surtout dans les régions peu chaudes ou froides (région atlantique, de montagnes ou de haute latitude), ont eu une aire de répartition beaucoup plus importante au Quaternaire, à l’époque du maximum des glaciations, entre la calotte glaciaire nordique et les glaciers alpins, qui débordaient largement dans la plaine. Il s’est alors installé une végétation de marécages dans ce qui est aujourd’hui la grande plaine de l’Europe du Nord, ce qui a donné de très importants dépôts de tourbe, pouvant atteindre plusieurs dizaines de mètres.

La tourbe est un milieu privilégié pour la conservation de débris végétaux, car les conditions écologiques qui existent dans ces niveaux permettent une fossilisation parfaite des bois, des tiges herbacées, des feuilles et surtout des grains de pollen : la cuticule de ces derniers, difficilement lésable, est restée très souvent intacte. On peut alors facilement en faire l’étude, les décrire suivant une méthode standard, en établir toute une systématique et enfin les rapporter à différents genres, voire à des espèces actuelles ou voisines. Sur des prélèvements de tourbe à diverses profondeurs, on calcule les pourcentages de présence de chaque espèce, en s’attachant plus particulièrement à différencier les arbres les uns des autres, car ceux-ci caractérisent avec beaucoup de fidélité les paysages végétaux, et l’on constitue ainsi des « diagrammes polliniques ». L’âge de chaque niveau est évalué en connaissant sa profondeur et d’autre part la vitesse de croissance en hauteur de la tourbière (de 5 à 10 cm par siècle). Une méthode moderne est fondée sur le dosage du carbone 14. Le pourcentage relatif de chacun des pollens à tous les niveaux (il correspond au spectre floristique forestier de la région, quand l’horizon considéré affleurait la surface) permet de déduire les tapis végétaux qui existaient aux différentes périodes climatiques du Quaternaire. En comparant les diagrammes polliniques de nombreuses tourbières d’Europe, on a établit l’évolution de la flore quaternaire, ses migrations, l’extension des espèces arctiques au moment des grandes glaciations et leur régression pendant les phases interglaciaires, alors que les espèces plus thermophiles remontaient vers le nord (Vitis silvatica, Rhododendron ponticum, Acer monspessulanus...).

J.-M. T. et F. T.