Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Touaregs

Ethnie africaine.


Les pasteurs-nomades touaregs représentent environ 600 000 âmes réparties dans la zone saharo-sahélienne (le critère de recensement est plus linguistique qu’ethnique). Ces Berbères* voilés, aux origines historiques controversées, se divisent géographiquement en deux groupes.

Les Touaregs sahariens, minoritaires, évoluent dans la partie la plus méridionale du Sahara algérien, située entre les 20e et 27e parallèles de l’hémisphère Nord, et les 3e et 10e degrés est du méridien de Greenwich. Sur cet immense territoire montagneux et volcanique au relief sculpté par les vents se trouvent deux groupements politiques : les Kel Ahaggar (ou Ihaggaren) et les Kel Ajjer (kel est un nominal berbère signifiant « ceux de »).

Les conditions écologiques au sein desquelles vivent ces populations sont précaires. L’organisation socio-économique de ces sociétés, le niveau de développement des forces productives ne permettent pas une meilleure maîtrise de cette nature hostile.

L’habitat, dispersé, se compose de trois ou quatre vélums de tente en peaux de chèvre et de mouflon tannées de couleur grenat. Ces unités résidentielles forment des groupements parentaux de type agnatique, qui pratiquent un élevage extensif, à la recherche de maigres pâturages naturels, consommés par les caprins.

Les ovins y sont rares, tandis que les camelins placés sous le gardiennage de tributaires, d’esclaves ou d’affranchis, pâturent au Tamesna, en territoire nigérien. La mobilité du campement est plus déterminée par la présence de pâturages que par l’existence d’eau destinée à la consommation humaine.

Les Touaregs sahéliens, majoritaires, nomadisent dans les zones septentrionales du sahel malien et nigérien, situées entre les 14e et 22e parallèles, et le 4e degré ouest et le 9e degré est du méridien international.

Cette superficie est parcourue, d’ouest en est, par des pasteurs appartenant aux groupements politiques suivants : Iforas ou Ifoghas (Adrar-n-ifoghas : Mali), Ioullimiden (Kel Ataram et Kel Dinnik : Mali, Niger), Kel Aïr (Niger), Kel Gress (Niger).

Cette zone sahélienne recevait autrefois des précipitations atmosphériques régulières, allant du début de juillet à la fin de septembre. La végétation y était favorable au maintien et au développement de l’élevage. Les transformations socio-économiques, liées à la colonisation et maintenues par la décolonisation politique, n’ont fait qu’aggraver les dégâts provoqués par des conditions climatiques dramatiques, engendrant sécheresse et famine, qui sévissent actuellement.

L’habitat est moins dispersé qu’au Sahara. À l’exception de certains nomades de l’Ouest sahélien, le vélum de tente cède la place aux huttes démontables, échaffaudées en nattes de bourre de palmier tressée. Les lieux habités prennent ainsi davantage l’aspect de « village » que celui de campement. L’élevage du dromadaire est bien plus important qu’au Sahara. Ces animaux participent au commerce caravanier à longue distance. Les Kel Aïr passent neuf mois par an en caravane. Au début de l’automne, après une épuisante traversée du Ténéré, ils atteignent les oasis du Kaouar et du Djado afin d’y acheter sel et dattes, qu’ils vendront ou troqueront en pays haoussa (à Zinder, à Kano). Ils y séjournent six mois, assumant leur fonction de caravanier au service des commerçants haoussa-phones.

Les Touaregs de l’Ouest sahélien semblent avoir une économie fondée sur le dromadaire, qui est plus un bien de prestige qu’un animal de transport.

Contrairement à bien des nomades de l’Est sahélien, ils participent (comme les Kel Gress) à la cure salée de Tequidda-n-tissemt.

L’ensemble de ces populations parle deux dialectes berbères relativement proches : le tamahaq pour les Touaregs sahariens et le tamacheq pour ceux du Sahel. Toutefois, à l’intérieur de ces groupements, il subsiste des différences de parlers. L’écriture, le tifinagh, est plus pratiquée dans le Sud que dans le Nord. Sous l’influence de l’islām et des tribus maraboutiques, au rôle politique grandissant, l’arabe tend à se substituer au tifinagh.

En raison de leurs rapports géo-économiques, de la domination politico-culturelle des gouvernements en place, les Touaregs tendent vers le bilinguisme : vers l’arabe pour les uns, vers le haoussa pour les autres.

De religion musulmane, ils pratiquent la loi de l’islām selon le rite malékite.

L’organisation politique traditionnelle repose sur deux classes sociales, de nature antagonique : les hommes libres et les dépendants. La première catégorie se subdivise en « suzerains » et en « tributaires » : les suzerains entretiennent des rapports de domination politico-économiques sur leurs tributaires, lesquels versent à leur « protecteur » une redevance annuelle proportionnelle à leur richesse, mais aussi d’autres redevances, fixées ou non, traduisant leur dépendance politique. Parmi les hommes libres, il faut inclure les affranchis et les forgerons. Ces derniers occupent une place particulière, que l’on peut qualifier de caste. La catégorie des dépendants est constituée par les esclaves, privés des libertés politiques et économiques. L’esclave n’a pas d’existence sociale ; c’est un bien matériel qui circule comme élément du prix de la fiancée lors du mariage.

À la tête de chaque groupement politique se situe un amenokal (détenteur du tambour symbolisant le commandement), dont la fonction est plus juridique que coercitive. La colonisation française a solidifié cette fonction : soit en lui attribuant davantage de prérogatives (prélèvement de l’impôt, fonctions de nature répressive), soit en destituant les opposants au profit de collaborateurs exploitant ce facteur historique pour affirmer leurs ambitions personnelles.

Actuellement, les Touaregs (le terme est d’origine arabe ; sing. Targui ; fém. Targuiat) sont objets d’assimilation aux structures nationales issues des indépendances respectives. Cette politique d’intégration dépend de la nature des structures sociales des nations au sein desquelles ils évoluent.

Bien que les Touaregs possèdent une unité culturelle certaine et une unité linguistique quelquefois érodée, l’affirmation de leur ethnicité est fortement entravée, voire combattue. Le processus de sédentarisation implique la perte des activités pastorales au profit des activités agricoles.

Les Touaregs étaient autrefois réputés pillards et guerriers. Aujourd’hui, ce sont, sauf cas particuliers, de paisibles pasteurs à la recherche de faméliques pâturages et sujets à la destruction, dont le processus est accéléré par la sécheresse et la famine qui sévissent depuis 1969. Qu’en adviendra-t-il ?

(Cette analyse a fait abstraction des quelques Touaregs libyens et tchadiens.)

A. B.

➙ Berbères / Sahara.

 F. J. Rennell, People of the Veil (Londres, 1926 ; nouv. éd., Oosterhout, 1966). / J. Nicolaisen, Ecology and Culture of the Pastoral Tuareg (Copenhague, 1963). / Boubou Hama, Recherches sur l’histoire des Touaregs sahariens et soudanais (Présence africaine, 1967). / M. Krebser et F. de Cesco, Touareg. Nomades du Sahara (Hachette, 1971).