Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Tolstoï (Léon) (suite)

Tolstoï est au plus mal ; Aleksandra, puis Tchertkov l’ont rejoint au grand désespoir de Sonia, qui par deux fois tente de se suicider. L’identité du fugitif est vite découverte et les journaux du monde entier publient des bulletins de santé. Bientôt, tandis que Tolstoï agonise, la petite gare d’Astapovo se transforme en champ de foire où affluent les curieux, les admirateurs, les fidèles, les journalistes, les cinéastes. Sonia aussi est arrivée, mais Tchertkov lui interdit l’entrée de la chambre de son mari.

Dans les quatre murs d’une pauvre maisonnette, le drame achève de se dénouer. Tolstoï refuse de recevoir le métropolite que l’Église lui envoie : « Mais comment meurent donc les paysans ? » marmonne-t-il. Il s’inquiète pour les siens, dicte à sa fille quelques réflexions et, soudain apaisé, lucide, murmure : « Voilà la fin, et ce n’est rien. »

Dans la nuit du 6 au 7 (19 au 20) novembre, il entre dans le coma ; Sonia, la compagne fidèle de quarante-huit années, est enfin autorisée à approcher du moribond. Il ne la reconnaît pas et s’éteint vers 6 heures, enfin « délivré de cette personnalité qui empêche l’adhésion de l’âme au grand Tout ».

S. M.-B.

 A. Suarès, Tolstoï vivant (Cahiers de la quinzaine, 1911) ; Trois Grands Vivants, Cervantès, Tolstoï, Baudelaire (Grasset, 1938). / S. Zweig, Die Baumeister der Welt (Leipzig, 1920-1928, 3 vol. ; trad. fr. partielle, Tolstoï, Attinger, 1928). / L. Chestov, l’Idée du bien chez Tolstoï et Nietzsche (en russe, Berlin, 1923 ; trad. fr., Vrin, 1949). / J. Cassou, Grandeur et infamie de Tolstoï (Grasset, 1932). / I. A. Bounine, la Délivrance de Tolstoï (en russe, Ymca Press, Paris, 1937 ; trad. fr., Gallimard, 1939). / N. Gourfinkel, Tolstoï sans tolstoïsme (Éd. du Seuil, 1946). / F. Porché, Portrait psychologique de Tolstoï, de la naissance à la mort (Flammarion, 1949). / C. M. E. Asquith, Married to Tolstoï (Londres, 1954 ; trad. fr. Comtesse Tolstoï, Hachette, 1962). / D. Gilles, Tolstoï (Julliard, 1959). / A. Alexandre, le Mythe de Tolstoï (Éd. Jupiter, 1960). / S. Laffitte, Léon Tolstoï et ses contemporains (Seghers, 1960 ; nouv. éd., Hachette, 1972). / N. Weisbein, l’Évolution religieuse de Tolstoï (Libr. des Cinq Continents, 1960) ; Tolstoï (P. U. F., 1968). / V. B. Chklovski, Léon Tolstoï (en russe, Moscou, 1963 ; trad. fr., Gallimard, 1969-70, 2 vol.). / E. M. Cioran, Tolstoï et l’obsession de la mort (Plon, 1964). / H. Troyat, Tolstoï (Fayard, 1965). / M. T. Bodart, Tolstoï (Éd. universitaires, 1971). / V. F. Boulgakov, Léon Tolstoï et ses proches (trad. du russe, Julliard, 1971).

Tolstoï (Alexis)

Écrivain soviétique (Nikolaïevsk [auj. Pougatchev] 1883 - Moscou 1945).


Né le 10 janvier 1883 à Nikolaïevsk, dans les steppes de la moyenne Volga, Alekseï (Alexis) Nikolaïevitch Tolstoï passe son enfance en province, dans la propriété rurale du gentilhomme A. Bostrom, avec qui sa mère, nièce de Tourgueniev et auteur d’ouvrages pour enfants, s’est remariée après son divorce d’avec le comte Nikolaï A. Tolstoï, parent éloigné du grand romancier. Après des études secondaires au collège moderne de Syzran, puis de Samara, il entre en 1901 à l’Institut de technologie de Saint-Pétersbourg, qu’il quitte en 1907 sans avoir obtenu son diplôme d’ingénieur, pour se consacrer à la littérature.

Dès l’âge de seize ans, il écrit des vers « civiques » dont quelques-uns, inspirés par la révolution, sont publiés en 1905. Mais c’est de 1907 que datent ses véritables débuts littéraires, lorsque paraît son recueil Lirika (Poésies lyriques), dont le romantisme, teinté de pessimisme, trahit l’influence du symbolisme. Un peu plus tard, on décèle le goût postsymboliste de la stylisation populaire ou naïve dans ses premiers récits historiques, qui imitent la langue et le style des documents du xviiie s. (Sorevnovatel [le Rival] et Iachmovaïa tetrad [le Cahier de jaspe], 1909), dans un recueil de contes, Sorotchi skazki (les Contes de la pie, 1910), où les souvenirs d’enfance se mêlent aux réminiscences folkloriques, ainsi que dans son second recueil de vers Za sinimi rekami (Au-delà des fleuves bleus, 1911), également inspiré par le folklore.

Ces œuvres témoignent cependant déjà d’un goût et d’un sens remarquables des choses du terroir, ainsi que d’un vigoureux talent descriptif. Ces qualités se retrouvent dans une série de nouvelles contemporaines (Nedelia v Toureneve [Une semaine à Tourenevo], 1910, remaniée en 1922 sous le titre de Petouchok [le Petit Coq] ; Zavoljie [Outre-Volga], remaniée en 1923 sous le titre de Michouka Nalymov ; Aggueï Korovine, 1910, remaniée en 1922 sous le titre de Metchtatel [le Rêveur] ; Dva drouga [Deux Amis], 1910, remaniée en 1922 sous le titre de Aktrissa [l’Actrice]), réunies ensuite sous le titre global de Zavoljie (Outre-Volga), puis de Pod starymi lipami (Sous les vieux tilleuls), ainsi que dans deux romans, Dve jizni (Deux Vies, 1911, remanié en 1924 sous le titre de Tchoudaki [les Originaux]) et Khromoï barine (le Seigneur boiteux, 1912). Ces récits, qui ont pour cadre des gentilhommières provinciales et pour héros des hobereaux dégénérés, conscients de leur déchéance mais incapables d’y porter remède, renouent avec la tradition du réalisme psychologique et social à tendance satirique. On peut en dire autant d’une série de comédies de mœurs (Nassilniki [les Violents], 1913 ; Vystrel [le Coup de feu], 1914 ; Netchistaïa sila [le Malin], 1916 ; Kassatka [la Petite Hirondelle], 1916 ; Raketa [la Fusée], 1918 ; Gorki tsvet [la Fleur amère], 1917), écrites et représentées avec succès pendant les années de la guerre.

Correspondant de guerre en 1914-1916, Alexis Tolstoï publie des reportages et des récits qui exaltent le sentiment de l’unité nationale et célèbrent la régénération de l’intellectuel au contact de l’homme du peuple. Son patriotisme le rend d’abord hostile à la Révolution bolchevique, devant laquelle il se réfugie à Odessa, puis, en 1919, à Paris. Émigré, il évoque dans un livre de souvenirs romancés, Detstvo Nikity (l’Enfance de Nikita, 1920-1922), l’atmosphère poétique de son enfance provinciale et retrace le drame des intellectuels de sa génération face à la révolution et à la guerre civile dans le roman Sestry (les Sœurs, 1920-21), paru d’abord sous le titre de Khojdenie po tnoukam (le Chemin des tourments), qui désignera plus tard l’ensemble de la trilogie que ce roman inaugure. L’attachement à la terre natale a cependant raison de l’hostilité de l’écrivain à l’égard de la révolution. En 1921, il rejoint à Berlin le mouvement d’émigrés Smena Vekh (« Nouveaux Jalons »), qui reconnaît dans les bolcheviks les rassembleurs des terres russes et les restaurateurs de l’État national.