Tinguely (Jean) (suite)
Il est désormais un artiste internationalement connu. Autres jalons de son œuvre : en 1962, participation à l’exposition « Dylaby », au Stedelijk Museum d’Amsterdam, et série des « Baloubas », machines dansantes à plumes et à grelots qui terminent la période « junk » ; en 1963, les machines deviennent d’un noir uniforme et Eureka est la vedette géante de l’Exposition nationale suisse de Lausanne ; en 1966, montage de la Hon au Moderna Museet de Stockholm, femme couchée de 28 m de long, créée par Niki de Saint-Phalle et aménagée intérieurement par Tinguely et Per Olof Ultvedt ; en 1967, les « Rotozazas », machines ludiques qui lancent des ballons ; en 1970, présentation devant le dôme de Milan, dans le cadre de la commémoration du nouveau réalisme, de la Vittoria, phallus de 8 m de haut, autodestructeur.
Tinguely occupe une place d’une particulière originalité dans l’art contemporain. Il récupère, comme beaucoup d’autres depuis Kurt Schwitters* et Marcel Duchamp*, des objets au rebut, des déchets souvent fragmentaires qu’il combine entre eux pour en faire des assemblages*. Mais il y ajoute un élément supplémentaire, le mouvement, qu’il produit manuellement au début, au moyen de manivelles qui entraînent des engrenages de fil de fer, puis à l’aide de moteurs électriques. Ceux-ci agitent frénétiquement la sculpture ou la font au contraire mouvoir avec lenteur par l’entremise d’une machinerie complexe. Mais, au moment où les autres artistes cinétiques* sont fascinés par la propreté méticuleuse et la précision de la technologie contemporaine, Tinguely s’intéresse aux ferrailles désuètes, à des pièces provenant de mécanismes en voie de disparition, de l’époque de la vapeur : bielles, pistons et transmissions à courroie. Il les peint en noir, d’un noir évoquant le cambouis, les oppose ironiquement à des plumes et à des oripeaux défraîchis (Baloubas) ou aux couleurs flamboyantes des « Nanas » de Niki de Saint-Phalle (Paradis terrestre, Exposition universelle de Montréal, 1967). Un autre moyen d’expression est utilisé : le son. Aux cliquetis des débuts, aux essais d’intégration de postes de radio déphasés fait place une orchestration plus poussée de bruits, de grincements qui ajoutent à l’absurdité et à l’ironie de ces machines inutiles, ponctuant le retour cyclique de leur déplacement.
Le spectateur oscille entre la jubilation d’un humour parodique, l’excitation communicative de ce tumulte visuel et sonore, l’inquiétude qu’éveillent certains agencements agressifs. Passionné de voitures de course, Tinguely a fait de la mécanique son domaine privilégié, jouant d’autant plus librement avec ses possibilités que toute fin pratique est exclue. L’aboutissement est l’autodestruction, thème qui revient régulièrement, comme un leitmotiv, dans une œuvre où le jeu n’est pas pure fantaisie, mais dévoile une évidente angoisse. « L’absurde, dit Tinguely, est une dimension où il y a place pour l’ironie. »
M. E.
CATALOGUE D’EXPOSITION : Machines de Tinguely (Centre national d’art contemporain, Paris, 1971).
