Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tibet (suite)

Au Tibet oriental, où toute liberté leur était donnée de pratiquer leur culte, les adeptes du bon étaient installés en de vastes monastères, appelés gom-pas, à l’exemple des centres lamaïstes. La svastika figurait de manière répétée dans leur iconographie, mais elle était présentée avec ses extrémités tournées dans le sens inverse de la direction de la svastika originelle, laquelle est dirigée dans la direction de la course du Soleil. L’accentuation à droite des extrémités de la svastika indique un culte humain dont la course est opposée à celle du Soleil. Des annales chinoises des ve et vie s. notent que les zélateurs bon pratiquaient régulièrement le sacrifice de chiens, de poulets et de singes en leur brisant les membres avant la mort et en exposant leurs viscères post mortem dans un but propitiatoire, surtout lors de la conclusion de traités avec l’« Empire du Milieu ».

La tenue des prêtres bon s’apparente d’une certaine manière à celle des chamans d’Asie centrale : une cotte de mailles les recouvre ; cette cotte est recouverte de nombreux fétiches ; une grande tiare les coiffe, celle-ci étant même ornée de crânes humains ; leur parure reproduit souvent des formes de fémurs et d’ossements humains. Leurs coupes sacrificielles sont souvent composées d’un demi-crâne, leurs vêtements lors des cérémonies sont recouverts de broderies reproduisant squelettes et apparitions terrifiantes. Les cheveux, à l’encontre de ceux des lamas, qui sont systématiquement rasés, sont conservés hirsutes et longs. Lors de leur offrande aux divinités (figuration de sacrifices, sanglants), ces offrandes sont mimées sur des figures en pâte représentant animaux et individus, ce qui démontre bien la très proche existence des sacrifices humains.

Y. B.


L’histoire contemporaine

Après quelque quarante ans de paix due à un gouvernement centralisé qui avait réussi à mater les différentes rébellions des féodaux, le Tibet affronte les redoutables guerriers népalais, les Gurkhās. Maîtres incontestés du Népal* depuis 1768, les Gurkhās occupent en 1788 certaines zones frontalières du Tibet et, trois ans plus tard, détruisent le monastère de Tachi Lumpo. La Chine, dirigée alors par l’empereur mandchou Qian-long (K’ien-long), envoie au Tibet un corps expéditionnaire qui refoule les Népalais dans leur territoire (1792). Le gouvernement de Pékin profite alors de cet événement pour resserrer le pouvoir administratif de ses ambans (résidents impériaux) sur le Tibet. Les empereurs mandchous, soupçonnant les Britanniques (alors établis en Inde) d’avoir fomenté cette invasion népalaise dans le but d’une mainmise future sur le territoire tibétain, vont s’employer dorénavant à isoler au maximum le « pays des neiges » de toute influence étrangère. Cependant, le Tibet, de par sa position stratégique, intéresse grandement ses voisins. L’empire des Indes tente, mais en vain, d’ouvrir le Tibet aux commerçants anglais : c’est le but des missions diplomatiques de George Bogie et de Samuel Turner, qui échouent respectivement en 1771 et en 1783.

Mais au xixe s., le gouvernement de Pékin, aux prises avec de graves difficultés intérieures (guerre de l’opium en 1839-1842, révolte des Taiping [T’ai-p’ing] en 1853...), ne peut maintenir un contrôle effectif sur le Tibet ni lui fournir une aide efficace contre les dangers extérieurs : en 1855, le Tibet connaît une nouvelle invasion gurkhā ; à la faveur de leur victoire, les Népalais obtiennent des privilèges commerciaux et le paiement d’un tribut annuel ; en 1861, la Grande-Bretagne impose sa protection sur un État tributaire du Tibet, le Sikkim*, protectorat que la Chine reconnaît en 1890 ; puis, en 1903, lord Curzon, vice-roi des Indes, envoie une petite armée, conduite par le colonel Francis Younghusband, qui entre à Lhassa (3 août 1904), et obtient des autorités tibétaines (en l’absence du treizième dalaï-lama, réfugié en Mongolie) l’ouverture de deux marchés. Après avoir obtenu confirmation de l’accord par Pékin (1906) et fait reconnaître leurs intérêts particuliers par la Russie (1907), les Britanniques évacuent, en 1908, la vallée de Chumbi, qu’ils avaient gardée en gage. Voulant restaurer leur prestige, les Chinois occupent Lhassa (1910) et destituent le treizième dalaï-lama, qui se réfugie en Inde. Mais, lorsque la dynastie mandchoue s’écroule (1912), les Tibétains chassent les Chinois avec l’aide des Anglais et rappellent le dalaï-lama.

La Chine s’appuie alors sur le panchen-lama, qui se réfugie à Nankin (1924) et garde le Tibet oriental (Xikang [Si-k’ang]). Le dalaï-lama finit par renouer avec Nankin (1929) et par reconnaître la « position spéciale » de la Chine au Tibet.

Son successeur, le quatorzième dalaï-lama (choisi en 1940), expulse les émissaires du Guomindang (Kouo-min-tang) [juill. 1949]. Considérant le Tibet comme « partie intégrante du territoire chinois », la Chine populaire y fait entrer ses troupes (oct. 1950) et, par le traité de Pékin (23 mai 1951), reconnaît les gouvernements locaux, auxquels elle accorde l’autonomie dans le cadre de la République ; le dalaï-lama doit se réconcilier avec le panchen-lama, allié normal de la Chine, qui récupère le Tsang. Le maître de Lhassa, qui s’était installé à la frontière indienne (déc. 1950), rentre dans sa capitale (août 1951), où il est bientôt suivi par l’armée populaire (oct. 1951).

Les Chinois modernisent le Tibet ; leur gouvernement et les dignitaires tibétains créent (avr. 1956) un comité chargé de préparer l’autonomie régionale du Tibet ; il s’occupera des réformes sociales (abolition du servage) qui précéderont la réunification du Tibet, auquel on adjoindra le Tchamdo (ancien Xikang) ; mais ces réformes engendrent des difficultés qui amènent leur report après 1962.

Le dalaï-lama obtient de Pékin le rappel d’une partie de ses cadres et de ses troupes. En mars 1959, le gouvernement local organise une révolte contre les Chinois, vite écrasée à Lhassa mais qui aboutit, en dehors de la ville, à une guérilla interminable. Le dalaï-lama s’enfuit (17 mars) en Inde.