Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Thérèse d’Ávila (sainte) (suite)

Durant sa maladie, Thérèse avait adopté la méthode d’oraison enseignée par l’abécédaire de Francisco de Osuna. Après sa convalescence, elle ne suivra pas les conseils ascétiques de cet auteur et, « pendant près de vingt ans », elle oscillera entre son désir d’être toute à Dieu et son besoin de relations personnelles, d’influence « mondaine ». Finalement, elle se « convertit » en 1554 au terme d’un long combat. Dès lors, elle avance rapidement dans les voies spirituelles et éprouve en abondance des phénomènes mystiques : extases, visions, paroles intérieures. Suspectée par ses proches et ses amis d’être le jouet d’illusions diaboliques et même dénoncée (en 1574) à l’Inquisition, l’orthodoxie de sa doctrine et la sainteté de sa vie lui éviteront les poursuites du tribunal inquisitorial.

En 1560, elle a une vision de l’enfer qui suscite en elle le désir de travailler au salut des âmes. Elle décide alors de former un petit groupe de carmélites déchaussées qui suivraient intégralement la règle primitive de l’ordre de Notre-Dame du mont Carmel. En apprenant les ravages causés en France par les guerres de Religion, elle donne à sa réforme une portée plus vaste en se proposant de travailler à l’unité de l’Église, à la réconciliation des chrétiens en recourant à la prière et au sacrifice, en s’efforçant de susciter à Dieu des amis qui soient authentiques, en intercédant tout particulièrement pour les « prédicateurs et les théologiens ». Dans cet esprit, elle fonde en 1562 le petit couvent de Saint-Joseph d’Ávila.

La visite fortuite d’un franciscain de retour du Mexique pour prendre la défense des « Indiens » à la cour la pousse à étendre sa réforme à toute la Castille. Elle fondera en personne quinze monastères, parcourant l’Espagne en tous sens.

Dès 1567, elle avait compris que sa réforme ne pourrait tenir si ses filles n’étaient assistées spirituellement par des religieux vivant la même règle. Dans ce dessein, elle s’était assuré la collaboration de Jean* de la Croix. C’est par lui que la réforme de la branche masculine de l’ordre d’étendra rapidement.

Thérèse meurt à soixante-sept ans, « vieille et cassée », en s’affirmant « fille de l’Église ». Elle sera canonisée par Grégoire XV (1622) et proclamée docteur de l’Église par Paul VI (1970).


Les œuvres

Les œuvres de Thérèse sont des écrits de circonstance, rédigés à la hâte, à la demande de ses confesseurs ou de ses filles. L’autobiographie (écrite entre 1562 et 1565) expose « ce que fut [sa] misérable vie [...], son mode d’oraison et les grâces que le Seigneur [lui] a accordées » (Prologue). Le Chemin de la perfection (écrit entre 1562 et 1564, publié en 1583) explique en quoi consiste l’oraison, conçue comme un chemin, ses conditions, ses degrés. Le Livre des fondations (commencé en 1573, publié en 1610) rapporte les péripéties de ses voyages et de ses fondations à travers l’Espagne. Le Livre des demeures ou Château intérieur (1577, publié en 1588) représente la synthèse de la doctrine thérésienne sur l’oraison et la vie spirituelle. L’âme y est comparée à un château divisé en sept demeures qui correspondent aux sept degrés de l’oraison ou de l’intimité avec Dieu. Sans parler de ses Opuscules, mentionnons son importante Correspondance. Tous ces écrits ont été souvent réédités et traduits en de nombreuses langues.


La doctrine

Le propos de Thérèse n’a pas été d’élaborer un traité de la perfection chrétienne, mais de décrire le chemin qu’elle-même a parcouru pour parvenir à l’union parfaite avec Dieu. La matière de ses exposés est constituée avant tout par sa propre expérience. « Je ne dirai rien dont je n’ai point la très grande expérience. » (Autobiographie, chap. XIII.) Doctrine expérimentale donc, non réflexion ou déduction à partir d’un système d’école. De là le caractère spontané, l’accent de vérité, l’impression de vie qui se dégagent de son témoignage. Son manque de formation philosophique et théologique, l’utilisation de la seule méthode qu’elle avait à sa disposition : l’analyse psychologique, ajoutés au fait qu’elle a rédigé ses ouvrages à des étapes différentes de son itinéraire spirituel, expliquent quelques imprécisions de vocabulaire, des digressions qui ne sont pourtant pas des bavardages et un certain manque d’homogénéité — d’ailleurs plus apparent que réel — dans la description des étapes de la vie spirituelle.

L’expérience que Thérèse décrit et qu’elle désire faire partager à ses lecteurs est celle d’un Dieu transcendant qui révèle son intimité dans une relation personnelle d’amitié. Toutes les vérités de foi proposées par l’Écriture et la Tradition vivante de l’Église sont intégrées dans ce cheminement de l’âme vers Dieu, qui suppose aussi la mise en pratique des exigences traditionnelles de l’ascèse chrétienne et une référence constante au magistère de l’Église par l’intermédiaire des supérieurs, directeurs spirituels, théologiens et confesseurs. Toutefois, le fondement doctrinal de la démarche thérésienne est le dogme de la présence de la Trinité dans l’âme des fidèles. La présence de Dieu dans sa création et tout particulièrement dans l’âme a été la vérité fondamentale à partir de laquelle Thérèse a édifié sa vie et sa doctrine. Elle a insisté avec une certaine passion, à l’encontre de quelques spirituels de son temps (Francisco de Osuna et de Bernardino de Laredo), pour qu’on ne s’écarte jamais de la considération de l’humanité du Christ, à quelque degré de la vie spirituelle qu’on soit parvenu, parce que la grâce n’est donnée que par le Christ-Homme.

Le moyen privilégié de parvenir à la rencontre du Christ vivant est l’oraison, porte du château de l’âme. « L’oraison mentale n’est rien d’autre, à mon avis, qu’un commerce d’amitié où on s’entretient souvent et intimement avec Celui dont nous savons qu’il nous aime. » (Autobiographie, chap. XIII.) Thérèse en décrit les conditions, les diverses phases, depuis les premiers efforts des débutants jusqu’aux états les plus élevés de l’union mystique. Si elle mentionne des phénomènes mystiques tels que visions, lévitations, etc., c’est parce qu’elle les a éprouvés elle-même, mais elle insiste pour affirmer qu’ils ne sont nullement nécessaires à la perfection et qu’il existe de nombreuses voies pour aller à Dieu.