Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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théologie catholique (suite)

La confiance faite à la nature humaine, spécialement dans son aptitude à démontrer toute vérité idoine selon des règles vérifiables ; une affirmation sereine du Créateur qui explique tout ce qui se trouve dans l’univers ou se conçoit de surnaturel ; une volonté, jamais égalée jusque-là, d’intégrer les arts et les actes humains à une vision théologique du monde où plus rien ne saurait échapper à la raison du théologien, autant de qualités remarquables qui firent la gloire de la « scolastique » et se maintinrent, longtemps après la ruine de cette forme du savoir médiéval, dans la théologie catholique d’un âge plus récent.

Au seuil de l’âge scolastique, Anselme* de Canterbury (1033-1109), encore tout empreint du mysticisme bénédictin et vaillant défenseur en Angleterre de la réforme grégorienne, exalte la capacité de la raison, mue par l’élan de la foi chrétienne : « Je crois pour comprendre » ! Au cœur de ce mouvement doctrinal qui marque un des plus hauts sommets de la civilisation européenne, la seconde moitié du xiiie s. verra éclore la synthèse du franciscain Bonaventure* (1221-1274), dont la veine augustinienne cultivera une sorte d’aristotélisme néo-platonisant ; celle du dominicain souabe Albert* le Grand (v. 1200-1280) et celle surtout de son disciple et confrère Thomas d’Aquin. Les premières années du xive s. seront illuminées par le génie métaphysique de John Duns* Scot (v. 1266-1308) ; un autre franciscain, Guillaume* d’Occam (v. 1300 - v. 1349), manifestera les limites et la crise interne du système scolastique à un tel point qu’on l’a souvent présenté comme un précurseur de Luther.

Dans le climat d’intolérance et le bouillonnement intellectuel de cette époque, où les options théologiques croisaient souvent les décisions des politiciens et intéressaient vite l’ordre social, un statut à la fois universitaire et autoritaire de la théologie était reconnu de tous, réservant la maîtrise de celle-ci aux clercs, religieux ou autres, et exposant les théologiens aux censures toujours redoutables de l’Inquisition ou aux interventions d’une chancellerie pontificale imbue de ses privilèges. La théologie de l’Église romaine est restée « catholique » de cette façon mutatis mutandis jusqu’à un passé tout récent.


Depuis le xvie siècle

Luther représente dans l’histoire des traditions chrétiennes une protestation nécessaire et féconde contre les formes décadentes du « catholicisme » autoritaire de la théologie latine vers la fin du Moyen Âge. Il en a dénoncé le vide spirituel et la sclérose ratiocinante ; il a stigmatisé les abus cléricaux et l’oppression institutionnelle auxquels prêtait la scolastique de son temps. Il a opposé à la raison formelle et déductive des théologiens de l’école médiévale une perception neuve, plus intuitive, de la réalité humaine engagée pour son salut ou sa perte dans les périls de l’existence historique. L’humanisme ou la spéculation systématique n’offraient tout au plus à ses yeux qu’une propédeutique extérieure à la démarche théologienne, faite, pour l’essentiel, d’une intuition croyante illuminée au contact des Écritures. Par cette réaction, Luther revenait, par-delà toutes les acquisitions médiévales de la théologie catholique qu’il rejetait, aux attitudes caractéristiques d’Augustin, mais isolées de leur environnement culturel et gonflées de violence germanique.

L’incompréhension des autorités romaines face au scandale provoqué par le moine de Wittenberg fut totale. Le concile de Trente* (1545-1563) ratifia ce rejet, et la curie papale put avoir l’illusion d’engager avec succès les batailles de la Contre-Réforme. Les traits « catholiques » de la théologie romaine allaient désormais devenir « confessionnels », c’est-à-dire marqués par la polémique avec les réformateurs et leurs disciples. En se rétrécissant au niveau de ces controverses, la théologie catholique évolua sur un double plan, qui était de continuité et de nouveauté.

La continuité fut illustrée jusqu’au xviiie s. par une floraison remarquable de grands commentaires de la Somme théologique de Thomas d’Aquin et par des renouveaux de l’enseignement scolastique dont les effets se maintinrent, non sans quelque anachronisme, jusqu’au milieu du xxe s. À un niveau plus essentiel, la formulation du dogme catholique fut nettement accentuée dans le sens de la continuité des traditions.

Malgré des requêtes modernes qui déplaçaient le statut élémentaire des questions sur le sens et la nature de la foi, celle-ci ne cessa d’être dogmatisée dans la perspective ancienne : le premier concile du Vatican (Vatican I*, 1869-70) canonisa une problématique où la foi se définit en vertu de la raison considérée formellement à la manière des théologiens scolastiques, et non en vertu de l’expérience historique et scientifique de l’humanité contemporaine ; déjà le concile de Trente avait défini la notion « catholique », donc antiprotestante, de l’eucharistie à l’aide de concepts forgés par la spéculation médiévale et en invoquant le réalisme sacramentaire, fondé sur une paraphrase non critique des Écritures, jadis en honneur chez les Pères de l’Église ancienne.

De même, la proclamation de l’infaillibilité du pape dans les énoncés solennels du dogme (dernier exemple connu : Pie XII* promulguant le dogme de l’Assomption de Marie en 1950), résultat le plus net du concile de Vatican I, ratifiait, au niveau des institutions hiérarchiques et en vertu de l’application traditionnelle du principe d’autorité divine à l’organisme ecclésial, une continuité théologique remontant à la réforme grégorienne du xie s.

Cependant, la nouveauté, en dépit ou du fait même de l’opposition contre les « novateurs », finit par l’emporter dans les mutations de la théologie catholique depuis le xvie s. Les raisons de la polémique interconfessionnelle introduisirent l’étude positive et les requêtes de la critique historique dans le champ des textes sacrés ou patristiques ; une théologie dite « positive » s’adjoignit donc, à des fins surtout défensives et apologétiques, au système de l’enseignement scolastique. Le xixe s. connut un certain renouveau dans l’approche réfléchie du dogme même, grâce à l’école de Tübingen, illustrée par Johann Adam Möhler (1796-1838), où l’unité constante des traditions d’origine du christianisme était célébrée sur le mode romantique.