Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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théologie catholique (suite)

La continuité des institutions et des mentalités permit de transférer ces richesses « catholiques » de l’Église ancienne aux peuples nouveaux du Proche-Orient de Byzance, des Balkans, de l’Arménie, voire de Russie. En Occident, le naufrage de la civilisation antique prit des formes plus spectaculaires. Deux phases se laissent distinguer dans la refonte de la théologie « catholique » des Pères sous la pression des transformations culturelles qui aboutirent à la chrétienté médiévale d’Europe. La première est celle du sauvetage des monuments de la théologie antique par des moines copistes et celle de la lente redécouverte de ces œuvres des Pères dans le cadre monastique. La seconde est celle de la théologie antique réinterprétée dans les écoles, ou « scolastique ». Au terme de ce procès historique, le « catholicisme » de la théologie chrétienne aura changé de signification : il sera devenu paradoxalement celui d’une Église locale, l’Église de Rome, la seule capable d’assurer l’hégémonie des forces spirituelles du christianisme dans l’Occident latin et germanique.


Les moines du haut Moyen Âge

En effet, du vie au xie s., soit pendant plus d’un demi-millénaire, les foyers les plus actifs de la « civilisation » hérités de l’Antiquité furent les monastères, implantés du sud de l’Italie jusqu’en Irlande et en Angleterre, de l’Espagne wisigothique jusqu’au fond des pays germains. Les restaurateurs de la culture, véritables pionniers intellectuels dans une Europe encore à faire de toutes pièces, s’appellent, en Angleterre, Bède le Vénérable (673-735), à la cour de Charlemagne, Alcuin (v. 735-804), dans l’abbaye de Fulda, sise en Germanie septentrionale, Raban Maur (v. 780-856). Une des plus grandes lumières, seul penseur original par le contenu de sa doctrine à cette époque, se nomme Jean Scot* Érigène († v. 877). Le xe s., avec sa féodalité laïque et l’essor de Cluny*, aboutira aux troubles de l’an 1000. Mais le xie s. sera essentiellement celui du pape Grégoire VII* (1073-1085), pape réformateur s’il en fut, dont les canonistes posèrent les fondements d’une centralisation sensible dans l’Église romaine jusqu’en plein xxe s.

Le « catholicisme » des moines du haut Moyen Âge latin tient avant tout à la « forme » intime de leur théologie. Actifs et cultivés, ou simplement instruits dans les rudiments de la langue écrite, leur idéal commun ne consistait pas à inventer des vérités neuves, mais à comprendre et à transmettre les leçons des plus illustres maîtres de la proche Antiquité, dont ils recopiaient les volumineux manuscrits. Ces maîtres canonisés exerçaient sur eux une autorité presque égale à celle de l’Écriture. Ils n’auraient pas osé expliquer celle-ci sans l’aide de ceux-là. Saint Augustin avait ouvert la voie d’une manière qui paraissait définitive. En s’inspirant des initiatives géniales de l’évêque d’Hippone et des leçons de ses émules les plus prestigieux au plan de la culture, tels Cassiodore en Calabre (v. 480 - v. 575) ou Isidore de Séville (v. 560-636), les promoteurs de la théologie monastique du haut Moyen Âge surent allier l’amour des lettres profanes (les sept « arts » libéraux : grammaire, rhétorique, dialectique, arithmétique, géométrie, musique, astronomie), conformes à la pédagogie universitaire de l’Antiquité, avec la lecture méditée, quotidienne et fervente, des Écritures sacrées. Ces générations de moines qui recueillirent l’héritage des Pères en Occident fixèrent ainsi des traits nouveaux, toujours caractéristiques de la théologie « catholique ». À une appréciation positive de la culture humaniste toujours à restaurer sur des bases nouvelles, ils joignaient un sens aigu de l’autorité des Anciens, véritables « pères » de leurs croyances et de leur savoir.

Ni la transformation de la théologie au cours du xiie s. ni son éclatement durant le xvie s. n’oblitérèrent cette marque distinctive de la théologie « catholique » ; elle postule une certaine continuité des traditions dans la rencontre des croyants avec le Dieu de la Bible ; elle fait appel à l’enseignement des Pères de l’Église ancienne pour se situer à chaque époque dans sa particularité du moment et son identité permanente ; elle pratique l’invention des lettres humaines et des formes du savoir au gré des changements culturels, tout en persistant à repenser sans cesse les leçons de la première grande époque du christianisme. Ce qui différencia la théologie « catholique » de l’Occident et celle de Byzance, dès avant les lamentables événements de 1054, ce fut, semble-t-il, cette dialectique innée de l’augustinisme que l’on retrouve dans la théologie des moines occidentaux entre le vie et le xie s., selon laquelle un véritable idéal humaniste n’excluait pas une soumission rigoureuse à l’Écriture commentée selon la tradition des Anciens. Plus que les querelles de juridictions entre les patriarcats ou la différence des drames historiques vécus par Rome et par Constantinople, ce « catholicisme » augustinisant contribuera de l’intérieur à forger la théologie confessionnelle du catholicisme romain des Temps modernes.


La scolastique médiévale

L’avènement des universités et des chaires de théologie dans le cadre urbain, cosmopolite, bourgeois, des grandes cités européennes des xiie et xiiie s. signifiera une accentuation systématique des traits les plus notables évoqués à l’instant de la période antérieure.

Si l’autorité de la raison argumentative paraît se substituer à une soumission trop passive envers les paradigmes patristiques, le syllogisme du type aristotélicien remplacer la simple énumération des citations plus ou moins stéréotypées des Pères, le fond de l’attitude théologienne demeure inchangé : à une confiance renouvelée envers la légitime souveraineté de la raison dans son ordre de vérité, les théologiens des xiie et xiiie s. joindront un respect intact envers les Écritures sacrées et leurs commentateurs les plus autorisés, les Pères de l’Église ancienne. Grâce à l’assimilation intensive des méthodes critiques et des valeurs philosophiques découvertes à frais nouveaux chez Aristote, un Thomas* d’Aquin (mort en 1274 âgé de quarante-neuf ans) opérera la synthèse grandiose d’une Somme théologique où l’on retrouve aussi bien la doctrine sur Dieu et le cosmos des anciens Grecs d’avant le christianisme, la substance de la dogmatique des Pères ordonnée selon une theologia trinitaire et une oikonomia centrée sur le salut acquis par Jésus-Christ, enfin la rumination monastique des Écritures pratiquée en Occident depuis le viie s.