Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Théodoric Ier l’Amale (suite)

Occupant en 504 le royaume gépide jusqu’au Danube à la suite de querelles opposant deux de leurs chefs, instaurant vers 505 son protectorat sur la Dalmatie à la faveur d’un conflit opposant un aventurier hun, Mundo, à l’empereur d’Orient, Théodoric Ier prend en outre sous sa protection l’enfant-roi Amalaric après la défaite infligée aux Wisigoths à Vouillé en 507 par les Francs de Clovis*, qu’il empêche d’occuper Arles en 508.

Il annexe alors la Provence au sud de la Durance (et même en 523 jusqu’à la Drôme) et la constitue sous son contrôle en une préfecture du prétoire des Gaules ; il permet en outre aux Wisigoths de se maintenir en Septimanie et tente de leur faire adopter en Espagne un régime dualiste analogue à celui qu’il a instauré en Italie. Ainsi, celle-ci est-elle désormais bien protégée par une série de marches (Dalmatie, Pannonie, Rhétie, Norique, Provence) et par un complexe système d’alliances.


L’homme d’État

Maintenant fermement son autorité sur le peuple ostrogoth groupe dans quelques régions du nord de la péninsule et seul autorisé à porter les armes, Théodoric Ier a l’habileté de respecter les institutions romaines (magistratures, Sénat, etc.), d’interdire les mariages mixtes, la propagande en faveur de l’arianisme, etc.

Il facilite l’accès à la papauté de Symmaque contre Laurent en 498, assiste en 519 à la réconciliation entre les Églises de Rome et de Constantinople (Formulaire d’Hormisdas), et rallie facilement à sa personne le clergé catholique, ainsi qu’en témoigne le Panégyrique du roi rédigé par Magnus Félix Ennodius (473 ou 474-521), évêque de Pavie de 510/11 à sa mort.

Le souverain ne fait que de brefs séjours à Rome, où il se contente d’entretenir les monuments anciens, et établit sa résidence à Ravenne*. Disposant d’importants moyens financiers grâce à une meilleure répartition de la fiscalité directe traditionnelle, grâce à l’augmentation des impôts sur les importations et grâce surtout aux revenus du très vaste domaine foncier qu’il s’est approprié en Italie, Théodoric Ier pare sa nouvelle capitale de magnifiques bâtiments construits selon les principes de l’art grec et de l’art romain, pour lesquels il éprouve une vive admiration. Outre le Mausolée édifié au nord de celle-ci, il fait bâtir la cathédrale arienne (Saint-Théodore), le baptistère des ariens et surtout le palais royal, dont seule subsiste aujourd’hui l’église palatine, rebaptisée au ixe s. sous le titre Sant’Apollinare Nuovo, et dont l’une des mosaïques de style byzantin représente justement le Sacré Palais (v. byzantin [Empire]).

Assisté d’un personnel domestique presque uniquement ostrogothique, Théodoric Ier siège dans ce bâtiment entouré d’une cour imitée de celle de l’empereur et comprenant un conseil et de nombreux grands officiers recrutés presque exclusivement au sein de l’aristocratie romaine de province : magister officiorum, chef de bureaux (scrinia) ; quaestor palatii, responsable de la correspondance, fonction remplie de 507 à 534 par l’illustre écrivain Cassiodore (v. 480 - v. 575), dont nous conservons plus de 500 lettres administratives réunies sous le nom de Variae ; comes sacrarum largitionum, responsable des finances de l’État, etc. Faisant du patrice Liberius un préfet du prétoire au début de son règne, accordant en 510 au philosophe Boèce (v. 480-524) les titres de consul et de prince du Sénat, Théodoric Ier l’Amale marque son attachement à la culture classique, dont il laisse subsister les centres de diffusion traditionnels : écoles de Milan, Ravenne et Rome, fréquentées par l’aristocratie de la péninsule.

Edictum Theodorici

Compilation de textes antérieurs et non œuvre personnelle du souverain, l’édit de Théodoric est publié peut-être en 500, en tout cas à une date antérieure à l’entrée de Cassiodore à la Cour. Comprenant 154 articles applicables aux Goths et aux Romains, il précise les sanctions afférentes à chaque délit, réglemente la procédure, précise le statut juridique des individus (libres ou esclaves, etc.), garantit l’assistance d’un jurisconsulte romain aux Italiens traduits par des Goths devant un tribunal germanique, dont les décisions sont susceptibles d’appel devant le tribunal royal.


La crise de la fin du règne

Les mesures antithérétiques prises par l’empereur Justin Ier en 523, la crainte d’un complot qui aurait été ourdi au profit de ce dernier par un ancien préfet du prétoire, Albinus Junior, défendu par Boèce, alors magister officiorum, provoquent une crise brutale. Rendu sans doute méfiant par l’âge, Théodoric Ier fait arrêter et exécuter en 524 le philosophe ainsi que son beau-père, le prince du Sénat Symmaque. En 526, il fait même jeter en prison le pape Jean Ier, coupable de n’avoir pu faire rapporter par l’empereur les mesures prises contre les ariens. Le malheureux pontife y meurt presque aussitôt, le 18 mai. Le 30 août suivant, le roi des Ostrogoths disparaît à son tour, et son corps est déposé dans le Mausolée, qui porte aujourd’hui encore son nom. Seul roi barbare apte à assumer le legs des institutions impériales et de la culture romaine en Occident, seul souverain germanique ayant conçu une politique à son échelle, Théodoric Ier a commis l’erreur irréparable de s’aliéner l’opinion publique italienne. Il laisse à sa fille Amalasonte, veuve d’Eutharic Cilliga depuis 522, l’impossible tâche de réconcilier Goths et Romains au cours du règne de son fils, le jeune Athalaric (526-534), dont elle assure la régence. Ainsi son œuvre ne lui survit-elle pas.

P. T.

➙ Huns / Italie / Ostrogoths / Ravenne / Rome / Vandales / Wisigoths.

 M. Brion, Théodoric (Payot, 1935). / M. Rey, Hommes d’État, t. I (Desclée De Brouwer, 1936). / G. Pepe, Il medio evo barbarico d’Italia (Turin, 1941, nouv. éd. 1963 ; trad. fr. le Moyen Âge barbare en Italie, Payot, 1956). / W. Ensslin, Theoderich der Grosse (Munich, 1947 ; 2e éd., 1959). / G. Zink, les Légendes héroïques de Dietrich et d’Ermrich dans les littératures germaniques (I. A. C., Lyon, 1950). / L. Musset, les Invasions, t. I : les Vagues germaniques (P. U. F., coll. « Nouv. Clio », 1965). / G. Fournier, l’Occident, de la fin du ve à la fin du ixe siècle (A. Colin, coll. « U », 1970). / R. Folz, A. Guillou, L. Musset et D. Sourdel, De l’Antiquité au monde médiéval (P. U. F., 1972).