Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Thèbes (suite)

Vers 575-570, Thèbes sut s’opposer avec succès, lors de la bataille de Keressos, aux troupes thessaliennes, garantissant ainsi la liberté de la Phocide et de la Béotie face à leurs voisins du nord, dont la domination sur Delphes faisait la force. Thèbes entretenait alors des relations confiantes avec le roi de Lydie Crésus (v. 560 - v. 546), menait une politique d’entente avec les tyrans, notamment Clisthène de Sicyone (601-578), qui, dans son hostilité à Argos, condamnait la récitation des chants du héros Adraste, l’ennemi de la Thèbes antique ; quand Pisistrate*, exilé pour la seconde fois, voulut rentrer à Athènes, ce furent les Thébains qui lui prêtèrent des sommes tout à fait considérables ; sans doute appréciaient-ils de jeter le trouble dans une cité voisine, sans deviner quelle puissance lui donnerait le tyran vainqueur.

Riche, puissante, prestigieuse, jouissant du soutien de la plaine béotienne où seule Platées semblait vouloir s’opposer à son hégémonie, Thèbes était régie, comme elle le restera, par une aristocratie de grands propriétaires dont certains sont connus pour avoir remporté la victoire lors des courses de quadriges durant les jeux Olympiques. Nul ne pouvait participer à l’assemblée (halia) s’il exerçait un métier manuel ou commerçant ; un stage de dix ans était imposé à tout individu qui abandonnait ce genre d’activité et qui voulait accéder à la pleine citoyenneté.


Thèbes et Athènes

En 519 av. J.-C., Thèbes, pour la première fois, se heurta aux Athéniens. Voulant asservir les Platéens, elle les jeta dans les bras de Pisistrate, soucieux de renforcer les marches du nord de l’Attique ; une médiation corinthienne aurait permis un arrangement pacifique du conflit, quand, traîtreusement, les Thébains s’attaquèrent aux troupes athéniennes, qui se retiraient ; l’échec thébain fut sévère. La frontière de la Béotie fut reportée sur le cours de l’Asôpos bien au nord de Platées. Plus grave fut encore la réputation faite aux Thébains, qui passèrent désormais pour un peuple menaçant la liberté de leurs voisins et que seule pouvait mater la force appliquée avec énergie.

Leur attitude lors de la seconde des guerres médiques* les mit pour un temps au ban de l’Hellade : ils n’envoyèrent en effet aux Thermopyles qu’un contingent dérisoire qui fraternisa dès leur victoire avec les Perses. À l’automne 480, avec tous les Béotiens, les Thébains se prononcèrent pour l’envahisseur, insistant même auprès de Xerxès Ier* pour qu’il punît de leur manque d’empressement à se rallier à lui Platées et Thespies. Ces deux villes, dont les sacrifices lors des combats de Marathon étaient connus et admirés, furent livrées aux flammes. En 479, les Thébains mirent le comble à leur vilenie en tenant, lors de la bataille de Platées, l’aile droite de l’armée de Mardonios face aux Athéniens et aux Platéens, en se distinguant dans ce combat par leur ardeur et leur intelligence tactique et en couvrant ensuite la retraite des Perses de leur excellente cavalerie. Pausanias († 471 ou 470 av. J.-C.), commandant de l’armée des Grecs, se fit alors livrer les principaux personnages de Thèbes et les fit mettre à mort.

Cette disgrâce, jointe à l’amertume de voir s’effriter leur domination en Béotie même, imposa aux Thébains, sur le plan politique, une longue période de médiocrité. Pourtant, à Thèbes, la vie n’était pas sans charmes ; les Athéniens pouvaient dauber sur la lourdeur de l’esprit béotien, la ville n’en était pas moins un centre intellectuel et artistique fort actif. Le peintre Onasias fut un des principaux collaborateurs de Polygnote ; la céramique de Thèbes, comme celle de Tanagra, sa voisine, était fort belle et réputée ; la gravure y était illustrée par les magnifiques monnaies émises à Thèbes dans le milieu du ve s. au type d’Héraclès. Pindare était thébain et son œuvre lyrique lui valut une magnifique et durable gloire : ses rythmes variés étaient compris d’une ville essentiellement musicienne, centre de nombreux concours et qui fournit les meilleurs flûtistes à la Grèce.

En 457, Thèbes subit une lourde défaite. Athènes écrasa ses troupes à Oinophyta et installa partout en Béotie des institutions démocratiques. Ce devait être là pourtant la source du renouveau.

Les oligarques exilés par Périclès* surent s’unir, le peuple n’apprécia guère les nouveaux pouvoirs imposés par l’étranger ; en 447, les gouvernements populaires furent renversés à Orchomène et à Chéronée ; les troupes athéniennes qui tentèrent de les rétablir furent complètement écrasées à la bataille de Coronée. Pour récupérer ses hoplites prisonniers (dont Clinias, le père d’Alcibiade), Athènes dut évacuer toute la Béotie, et Thèbes put alors reconstituer une solide confédération de cités béotiennes.

La Béotie fut désormais une entité politique. Si ses habitants apparaissent comme Béotiens dans les documents, cela témoigne de l’existence d’une sorte de citoyenneté fédérale qui, dans le domaine diplomatique, éclipse l’originalité de chaque cité. Le territoire est divisé en onze districts qui désignent chacun soixante bouleutes, lesquels, à leur tour, nomment les représentants du pouvoir exécutif : onze béotarques, dont la principale fonction devait être le commandement des troupes levées dans chaque district, chacun dirigeant à son tour l’ensemble des forces armées. Les cités importantes de la confédération ont la responsabilité et les charges de compter pour deux districts, tandis que les villes plus petites se groupent pour n’en former qu’un ; ce principe d’organisation si original dans un monde où la cité était l’unité même de la vie sociale fut une tentation et facilita l’impérialisme thébain, qui très vite modifia à son profit l’équilibre de la confédération.

Platées, qui, durant la guerre du Péloponnèse, voulait soutenir Athènes fut détruite en 426, Thèbes prit ni charge ses deux districts ; de même en 423 Thespies vit détruire ses murailles ; la ville, sans défense, fut désormais soumise à Thèbes, qui contrôla alors la nomination de six béotarques sur onze, de 360 bouleutes ainsi que la majorité de juges fédéraux, tandis qu’elle levait toujours dans les districts qu’elle administrait les impôts et les troupes requises. La confédération, par un coup de force, était devenue la chose de Thèbes, qui, pourtant, grâce au maintien de la division en districts, ne fournissait que deux onzièmes des contributions financières et des contingents militaires de la Béotie. Symbolique est le fait aussi que l’assemblée se réunit sur la Cadmée, que la monnaie fédérale « au bouclier » (le symbole béotien) est entièrement frappée par Thèbes.

Les Béotiens contribuèrent à l’écrasement d’Athènes lors de la guerre du Péloponnèse, mais ils ne purent obtenir de Sparte* la destruction complète de leur vieille rivale, ce qui provoqua bien sûr des rancœurs chez les Thébains, le désir aussi d’amoindrir la victoire d’un vainqueur trop fier de l’établissement de son hégémonie.