Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Téhéran (suite)

Nouvelles structures professionnelles

Le développement de ce contraste social s’est traduit dans l’organisation des relations commerciales à l’intérieur de la cité. Le bazar qui, dans la ville des Qādjārs, concentrait exclusivement le commerce, est aujourd’hui intégré dans les quartiers pauvres de la vieille ville. Le déplacement vers le nord des quartiers de résidence aisée a entraîné son déclin, au moins relatif, et même absolu, certains secteurs ayant été abandonnés ou envahis par l’habitation des classes inférieures. En revanche, de nouvelles structures commerciales se sont mises en place.

Un centre commercial neuf s’est juxtaposé à l’ancien bazar, au nord de celui-ci et en direction des nouveaux quartiers de résidence aisée, dans les nouvelles rues tracées sous Naṣir al-Din entre les deux enceintes (rues Lālezār, Ferdowsi). Il passe progressivement, au nord de l’enceinte de Naṣir al-Din, à un centre d’affaires, sorte de city où se multiplient depuis une dizaine d’années les immeubles de bureaux, les banques, les services publics (avenue Takht-e Djamchid).

Dans les quartiers résidentiels aisés du nord se sont d’abord développés de petits noyaux commerciaux et artisanaux, situés surtout aux carrefours, pour la satisfaction des besoins quotidiens d’une clientèle à fort pouvoir d’achat. Restés longtemps de niveau modeste, tandis que le bazar ou le centre commercial nouveau assuraient encore toutes les fournitures plus élevées, ils voient se juxtaposer à eux, depuis une décennie, des commerces de luxe qui tendent à se multiplier dans toutes les grandes artères du nord.

La ville populaire du sud, enfin, a été envahie par l’artisanat, et des séries ininterrompues de boutiques d’artisans y garnissent les grandes avenues du quadrillage de Rezā Chāh, exprimant la forte densité d’une population pauvre, qui exige des produits et services de qualité rudimentaire.

Les structures professionnelles reflètent ainsi la ségrégation sociale et spatiale, suivant un plan bilatéral, à laquelle a conduit le développement normal de l’utilisation du site sur le glacis irrigué en fonction du sens de l’écoulement des eaux. Téhéran présente, dans sa structure urbaine, un exemple remarquable d’un déterminisme géographique élémentaire lourd de conséquences.

X. P.

➙ Iran.

Teilhard de Chardin (Pierre)

Savant, philosophe et théologien français (Sarcenat, Puy-de-Dôme, 1881 - New York 1955).


Élève au collège des Jésuites de Notre-Dame de Mongré à Villefranche-sur-Saône, il entre le 19 mars 1899 dans la Compagnie de Jésus et effectue des séjours à Jersey (1902-1905), en Égypte (1905-1908) et à Hastings (Sussex, de 1908 à 1912). De 1912 à 1914, il se consacre à Paris au travail scientifique, et, en juin 1913, il visite les grottes peintes du nord-ouest de l’Espagne. Mobilisé en décembre 1914, il fait la guerre comme brancardier et prononce ses vœux solennels le 26 mai 1918. Démobilisé le 10 mars 1919, il est reçu à ses trois certificats de sciences naturelles, soutient sa thèse le 22 mars 1922 et professe à l’Institut catholique de Paris. Alors que tout annonçait une brillante carrière européenne, il est, en 1923, chargé de mission en Chine et découvre, avec le R. P. Émile Licent, un outillage paléolithique dans les Ordos (Mongolie). N’étant plus autorisé à enseigner à Paris, il entame une carrière chinoise, entrecoupée de séjours en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Géologue surtout spécialisé dans le Cénozoïque, paléontologiste spécialisé dans les mammifères, il réussit à opérer une coupe géologique à peu près complète de l’Empire chinois (nord-sud et ouest-est) et participe à la Croisière jaune (1931-32). Teilhard rayonne aussi en Inde (1935), en Birmanie (1937-38), à Java (1935 et 1938). À la fin de 1929, il est chargé de superviser la géologie et la paléontologie non humaine de Chou-kou-tien ou Zhoukoudian (Tcheou-k’eou-tien), et contribue à démontrer le caractère humain du sinanthrope (Homo erectus pekinensis). De 1939 à 1946, il est pratiquement bloqué à Pékin par la Seconde Guerre mondiale. Après une rentrée manquée en France et malgré son élection à l’Académie des sciences (1950), il repart pour l’exil, cette fois aux États-Unis, en 1951, séjour interrompu par deux voyages d’études en Afrique du Sud (1951 et 1953) et une brève tournée en France (1954).

Savant de classe internationale, théoricien de l’évolution, penseur politique orienté vers la démocratie, philosophe axé sur une phénoménologie originale (dialectique de la nature, logique de la socialisation), promoteur de la théologie spirituelle (le Milieu divin), mystique, poète, Teilhard a été tout cela à la fois. Sa pensée philosophico-religieuse est fortement articulée : « physique » (= phénoménologie), dialectique existentielle (seul un point oméga personnel et préexistant peut garantir le succès de l’action humaine), métaphysique et théologie (Teilhard atteint l’ontologique par extension et approfondissement du dedans des phénomènes : c’est la théorie de l’union créatrice [du même geste, Dieu unit et il crée]), mystique (charité dynamique, rapports de l’un et du multiple dans les mystiques de l’Ouest et de l’Est). La pensée de Teilhard représente un type de philosophie très classique, renouvelée par la convergence du temps. Pour lui (comme pour Bergson), le phénomène dévoile l’être, à condition que l’homme soit relié à toute l’évolution des choses. Sa philosophie de l’être se déploie selon le devenir et son recours à l’analogie thomiste se situe dans le cadre d’une vision évolutionniste moderne. Pour Teilhard, le plus vieux problème de la philosophie, l’un et le multiple, demeure un problème toujours actuel : « Pluralité et unité, problème unique. » Animé d’un réalisme foncier, Teilhard pose la réalité universelle, qui n’est pas seulement représentation de l’homme, mais jouit d’une existence authentique. Il admet comme postulat que le négatif soit extérieur au positif, ce qui exclut une dialectique de type hégélien et suppose une philosophie de l’Un-Tout, identifiant l’Un et le Bien et retrouvant le plus profond de Platon. Le sceau du divin marque tout être d’une énergie radiale, qui lui est à la fois supérieure et intérieure. Le processus de complexification part d’une infinie multiplicité et va se perdre dans un centre infiniment puissant capable de rassembler cette infinie complexité. Impliquant Dieu, cet infini de complexité dépasse les deux infinis de Pascal. Transphénoménal, il constitue la synthèse de tous les infinis. Il comporte un vertige, mais l’infini totalisé n’est plus redoutable, puisque l’angoisse vécue jusqu’au fond devient Dieu : une fois traversée, elle devient transparente. Bâtir une cosmologie à fondement scientifique fut l’ambition majeure de Teilhard, mais sans l’homme le cosmos ne peut avoir signification, de même que, séparé du cosmos, l’homme, cette promesse d’achèvement, n’a plus de sens. Enfin, cette pensée s’inscrit dans la tradition de la sagesse, car il existe une praxis teilhardienne et il règne chez le philosophe une liaison profonde entre la pensée et l’action. C’est par le consentement au mouvement des choses, par sa coopération à ce mouvement, que l’homme est véritablement moral.