Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Téhéran (suite)

C’est essentiellement par ses fonctions administratives et son privilège politique et social que s’explique cette croissance. Le secteur secondaire ne comptait en 1966 que pour 33 p. 100 dans la population active, malgré le développement récent d’un assez grand nombre de petites industries de consommation, notamment alimentaires, et d’industries mécaniques (chaînes de montage automobile). Le manque d’eau a toujours freiné le développement industriel, et la principale activité de la ville en la matière consiste encore à se bâtir, les ouvriers du bâtiment constituant plus du tiers de la main-d’œuvre industrielle, qui comporte encore un artisanat très actif. La vie de Téhéran reste dominée par les activités tertiaires, administration et services publics, domesticité liée à la concentration des classes possédantes, commerce.


Physionomie et différenciations internes


Plan et aspects

La marque de Rezā Chāh n’a pas été moins sensible sur l’aspect de la cité que sur son développement. Une première réorganisation d’ensemble avait eu lieu sous Nāṣir al-Din Chāh, en 1869-1874, substituant une nouvelle enceinte, octogonale, à celle de Chāh Ṭahmāsp Ier, et créant déjà dans sa partie nouvelle, au nord, quelques grandes rues de style moderne. Beaucoup plus importante fut l’œuvre de Rezā Chāh, qui, au début des années 1930, fit découper à travers toute l’ancienne ville un damier géométrique de larges avenues. C’est cette grille, étendue de toutes parts depuis lors avec l’extension de la cité, qui en constitue aujourd’hui l’ossature et lui donne l’essentiel de sa physionomie, beaucoup plus occidentale que celle des autres grandes villes iraniennes, les aspects orientaux se cantonnant dans les étroites ruelles recoupées, dans la partie ancienne de la ville, par le quadrillage récent.

Le remplissage de ce cadre a été longtemps très désordonné, s’effectuant, sous le signe d’une spéculation foncière intense, par des constructions très variées et sans homogénéité. Les premiers lotissements ne sont guère apparus que vers 1955, pour se multiplier seulement dans les années 1960. La ville est longtemps restée basse, de physionomie très asiatique, avec des maisons de deux à trois étages au plus, en même temps qu’elle s’étendait démesurément. C’est seulement entre 1960 et 1965 que, l’immense espace ouvert à la ville par la réorganisation de Rezā Chāh étant à peu près rempli, les immeubles élevés ont commencé à se généraliser.


L’évolution topographique et sociale. La ville du nord et la ville du sud

L’extension contemporaine de la ville s’est accompagnée du développement d’une dissymétrie sociale bilatérale, elle-même dérivée des conditions de l’alimentation en eau, sur un site de piedmont irrigué, qui domine aujourd’hui toute la vie de la cité. Ce site appartenait à une famille très répandue en Iran, celle des oasis alimentées par des galeries drainantes souterraines (qanāt) provenant du piedmont de la montagne voisine. La pente régulière de la plaine à l’emplacement de la ville, vers 1 100-1 200 m d’altitude, au sud de la zone vallonnée des contreforts de la montagne, favorisait l’adduction par simple gravité, à partir du débouché des galeries, dans des canaux à ciel ouvert (djub) qui sont un des éléments essentiels du paysage de Téhéran. Mais ces conditions, propices au développement d’une cité moyenne, en un site qui est celui de beaucoup d’autres villes iraniennes, ont pesé lourdement sur l’évolution de la métropole.

En effet, l’extension considérable de la ville n’a pas amené de transformation du système d’alimentation. Aux qanāt de l’époque qādjār, qui fournissaient 1,4 m3/s, se sont ajoutées des ressources nouvelles (eau du Karadj, amenée par un canal en 1930 ; puits profonds à moteur atteignant la nappe sous la ville) qui ont triplé entre 1920 et 1955 les ressources disponibles, mais avec un système d’adduction inchangé, fondé sur l’écoulement dans les djub d’une eau distribuée à tour de rôle aux différents quartiers, et cela tandis que la population faisait plus que sextupler pendant la même période. La ville de 1955 ne disposait plus que de 250 litres par habitant et par jour, contre 500 vers 1925. C’est seulement depuis 1960 que la situation a évolué plus favorablement, avec la construction de grands barrages-réservoirs sur le Karadj, puis le Djādje Rud, et la mise en place progressive d’un réseau de canalisations souterraines parallèlement au réseau des djub. Mais entre-temps s’était affirmé avec force un contraste topographique et social majeur, dérivant directement de l’écoulement superficiel des eaux. La ville du sud, recevant de plus en plus maigrement des eaux de plus en plus polluées, voyait s’entasser les plus pauvres des habitants, et particulièrement les nouveaux immigrants, tandis que les quartiers de résidence aisée migraient de plus en plus vers le nord, vers les eaux plus pures et les nappes plus profondes. Cette opposition domine tout le Téhéran d’aujourd’hui.

Cette migration vers le nord des quartiers aisés se traduit dans le plan de l’agglomération, de plus en plus décalée vers le nord par rapport au noyau primitif du bazar et de l’arg (ancien quartier royal), nettement excentré vers le sud. Déjà amorcé lors de la construction de l’enceinte de 1874, qui avait englobé au nord un certain nombre de grandes propriétés, d’espaces verts et de jardins, le phénomène s’est considérablement accéléré à partir des années 1930. Un autre élément, la recherche de la fraîcheur, s’est ajouté au désir d’eaux pures pour encourager la migration vers le nord, où l’élévation régulière de l’altitude et le souffle de la brise nocturne de montagne rendent, dans les premiers vallonnements de la montagne, les températures estivales notablement plus supportables. À l’époque qādjār, une grande migration annuelle d’été transportait au pied de l’Elbourz, parmi les sources, la cour, les ambassades et une grande partie de la population de la capitale. Aujourd’hui, la ville du nord a pratiquement rejoint sans solution de continuité les anciens villages de villégiature, Tadjrich, Golhak, Chemirān, qui sont devenus des lieux de résidence permanente pour les classes aisées. La migration annuelle d’été, bien marquée jusque vers 1930, est devenue exceptionnelle.