Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tchekhov (Anton Pavlovitch) (suite)

De cette objectivité, qui ne ressemble en rien à une sorte de « réalisme photographique », naît la force de suggestion et d’émotion vraie : point de commentaires inutiles ni de réflexions morales. Pas un effet gratuit, mais une langue dépouillée et transparente, une brièveté du récit qui exclut toute exagération ; l’humour lui-même ne tourne pas à la caricature, car la caricature est mensonge. Tchekhov n’écrit jamais « sur nature », mais « de mémoire ». La mémoire sert de « filtre », un filtre qui décante, qui distingue l’essentiel de l’accessoire, choisit une nuance, procède par suggestion ou allusion et empêche le lecteur de s’égarer. Pourquoi la petite Varka ne peut-elle dormir ? La lueur verte du plafond, l’ombre des vêtements, le clignotement de la veilleuse, des images vacillent dans son cerveau et se muent en nuages, mais, soudain, voici l’enfant qui hurle dans son berceau, l’enfant que Varka doit veiller. Et, « l’oreille tendue vers les cris, elle [Varka] trouve l’ennemi qui l’empêche de vivre. Cet ennemi, c’est l’enfant. » Alors rieuse, sans haine, avec une logique implacable, la petite Varka va étouffer l’enfant, puis s’endort. Le récit est mené avec une « froideur de glace ». Le « sentimentalisme gâterait l’effet de force ». L’émotion est le fait du seul lecteur, qui, soudain, prend conscience de l’horreur de ces longues nuits de veille imposées à une fillette de treize ans et que la société conduit au délire et amène ainsi à tuer...

Les nouvelles et, plus encore, les pièces de théâtre ont besoin de la collaboration du lecteur et du spectateur. À eux de capter dans ces harmoniques en mineure un son, un parfum, la qualité d’un silence ou d’un geste. Un seul geste, le plus banal, peut ressusciter un amour oublié, déclencher une angoisse, un remords. L’anecdote simple et ordinaire ne sert que de support, de terrain fertile où jaillissent les émotions. N’importe quel fragment de vie recèle un sujet digne d’une œuvre artistique. Et tout l’art de Tchekhov consiste à « créer des formes nouvelles », à imposer, derrière la banalité des conversations telles que « le thé est chaud » ou « il fait doux ce soir », un rythme intérieur, un dialogue entre le lecteur et l’auteur, qui se nourrit autant sinon plus des silences, des pauses, des points de suspension que des phrases échangées. Comme une source parfois souterraine, parfois affleurant le sol, Tchekhov, d’une main sûre et discrète, nous mène jusqu’au dénouement, et nous reconnaissons là l’essentiel de la vie.


Tuer le temps

On se tait dans le théâtre de Tchekhov et « l’on s’entend se taire ». Chaque silence, rythmé par l’horloge, marque le temps qui s’écoule, d’une exceptionnelle densité. Et c’est peut-être ce sentiment de la durée, cette gestation du temps qui donnent au récit l’authenticité de l’existence.

Dans l’oisiveté de la vie (Je province, chaque seconde compte. Chaque instant de présent est nourri de passé et condense en lui plusieurs années de désespoir, de révolte, de nostalgie ou d’ennui... Il est à la fois un point d’aboutissement et une transition, inséparable de cette sève fluide qu’est la durée. Dans les pièces tchékhoviennes, la durée est à l’œuvre, mais elle ne sert pas à développer une action qui croît jusqu’à son paroxysme, puis éclate — au contraire, elle dénoue, elle défait une situation qui se délite dès le lever du rideau. La pièce de Tchekhov, immergée dans le temps, commence là où finissent les pièces classiques. Et, une fois le dernier acte achevé, le temps continue de battre et les personnages de vivre : aucun destin ne s’est accompli ; il n’y a, à strictement parler, pas de fin aux nouvelles et aux pièces de Tchekhov. Une étape de la vie se termine, et une autre commence. Repris par le flux de la vie, les héros repartent et peuvent dire comme dans La Fiancée : « Adieu cher Sacha, pensait-elle [la fiancée]. Et devant elle se dessinait une vie nouvelle, large et libre ; et cette vie encore mal définie, pleine de mystère, l’entraînait, l’attirait [...]. »

Le temps tchekhovien ne mûrit pas les personnages. Il les défait, il les dépossède de leur être, il émousse leurs sentiments. Le temps est une blessure — impossible de vivre au présent, ce présent absurde et lourd de regrets ; les hommes sont condamnés à vivre au passé ou au futur antérieur : « Je n’aime plus personne », soupire Astrov, le médecin d’Oncle Vania. Ce ne plus caractérise Tchekhov : la seule vie possible est la vie rêvée, la vie du souvenir, de la nostalgie ou encore la vie d’un futur lointain et utopique. Dans le présent, nous ne pouvons étreindre que des ombres. Et le meilleur des remèdes pour abolir le temps, pour « tuer » le temps n’est-il pas la routine, cette répétition mécanique de nos gestes, qui favorise l’oubli ?

S. M.-B.

 I. Nemirovsky, la Vie de Tchekhov (A. Michel, 1946). / Anton Tchekhov, numéro spécial de Europe (1954). / R. Celli, l’Art de Tchekhov (Del Duca. 1958). / I. G. Ehrenbourg, À la rencontre de Tchekhov (en russe, Moscou, 1960 ; trad. fr., Didier, 1962). / S. Laffitte, Tchekhov, 1860-1904 (Hachette, 1963). / N. Gourfinkel, Anton Tchekhov (Seghers, 1966). / D. Gilles, Tchekhov (Julliard, 1967). / A. Alexandre, À la recherche de Tchekhov. Essai de biographie intérieure (Buchet-Chastel, 1971).

Tcheou et Royaumes combattants

Période de l’histoire de la Chine* (1111-221 av. J.-C.).


La dynastie des Zhou (Tcheou) succède en 1111 av. J.-C. à celle des Shang (Chang*). Venant du Shănxi (Chen-si), province occidentale de la Chine, les Zhou fondent une capitale secondaire, Luoyang (Lo-yang) au Henan (Ho-nan). Sous la poussée barbare, ils s’y installent à partir de 770 et pendant la période Chunqiu (Tch’ouen-ts’ieou) [722-481], plus connue sous le nom de « Printemps et Automnes ».

L’art de cette période est surtout marqué par une évolution des techniques et des styles décoratifs. La tradition se continue, et le matériel exhumé (fouilles de 1955-56), vases rituels, armes en bronze, est encore très proche des modèles antérieurs, mais dénote une exécution moins soignée. Certaines formes disparaissent, d’autres se transforment, devenant plus lourdes et moins variées.