Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tchécoslovaquie (suite)

Au début, le nouveau cours s’affirme timidement. En février 1968, la censure est levée. Mais les conservateurs dogmatiques bloquent l’évolution libérale et gardent leurs fonctions dans tout l’appareil. C’est seulement lorsque, le 22 mars, Novotný doit démissionner de la présidence de la République que des changements interviennent. Il est remplacé par le général Svoboda, et, le 8 avril, un remaniement du gouvernement laisse place aux hommes du nouveau cours.

Un nouveau programme d’action du parti, adopté par le Comité central en avril, décide la réhabilitation des victimes des grands procès et cherche à redéfinir le rôle du parti et de l’État dans la société tchécoslovaque.

Qu’est-ce qui caractérise le « printemps de Prague » ? D’abord une renaissance de la libre discussion politique au sein du parti communiste rénové. Il y a une volonté générale d’aborder ouvertement les grands débats sur l’avenir du parti et du pays, en tenant compte du degré d’évolution et de la personnalité de la Tchécoslovaquie. Dès le 1er juin, le Comité central décide de convoquer un congrès extraordinaire du parti le 9 septembre.

Le but est de créer un « socialisme à visage humain ». Les libertés individuelles seront désormais garanties, et, en révélant la vérité sur les procès, la presse espère rendre impossible le retour à de telles pratiques. La suppression de la censure par le Parlement en juin consacre une totale liberté d’expression. Toutes les autres libertés réapparaissent. Liberté religieuse : l’Église catholique est libérée de la tutelle du Mouvement des prêtres pour la paix, organisation dirigée par le parti, et peut créer librement un Mouvement pour le renouveau conciliaire. L’Église uniate, qui rassemblait les Ukrainiens de Slovaquie orientale, interdite en 1950, retrouve une existence légale. Les droits des minorités nationales, hongroises et ukrainiennes sont revendiqués ouvertement, mais sans hostilité pour l’État tchécoslovaque.

Mais ce mouvement a des limites. Dubček reste ferme sur le principe du rôle dirigeant du parti et sur le refus du multipartisme. L’action des clubs, KAN (Club des sans partis engagés) et K 231 (Club des anciens condamnés politiques), n’est que tolérée, sans existence légale. L’idéologue Mlynař pense que la reconnaissance du droit de tendance dans le parti communiste rend inutile toute forme de multipartisme. Et Dubček refuse catégoriquement la renaissance du parti social-démocrate.

L’opinion publique souhaite une évolution plus rapide. Après avril 1968, le syndicat unique, le ROH, est rénové sous la direction de Karel Poláček (né en 1913). Mais il se crée des syndicats autonomes, comme le syndicat des métallurgistes (400 000 membres). Des conseils ouvriers tentent dans les grandes entreprises une expérience d’autogestion. Pour accélérer les réformes démocratiques, des intellectuels et des artistes, autour de Vaculík, lancent le 27 juin 1968 le « manifeste des deux mille mots », mais ils sont désavoués par Dubček et par le présidium.

Les hommes du « printemps » espèrent faire admettre par Moscou la libéralisation intérieure, en adoptant une politique extérieure conforme à la ligne traditionnelle. Lorsqu’en juillet le général Vóclav Prchlik réclame une réforme du pacte de Varsovie, il est immédiatement désavoué et limogé. La presse d’Allemagne de l’Est attaque Dubček, qui a cherché à rassurer ses partenaires du camp socialiste le 23 mars à Dresde. Dès avril, la presse soviétique accuse des éléments antisocialistes d’agir en Tchécoslovaquie. La tension monte lorsque les partis communistes, réunis à Varsovie, adressent à Dubček une lettre de mise en garde le 14 juillet. Du 29 juillet au 1er août, Dubček rencontre Brejnev à Čierna nad Tisou. Le texte du compromis est gardé secret, mais Dubček ne semble pas avoir renoncé à son nouveau cours. Le 3 août, une conférence commune des partis communistes se déroule à Bratislava et semble admettre une démocratisation dans le cadre du pacte de Varsovie.


L’intervention soviétique et la « normalisation »

L’intervention militaire des Soviétiques et de contingents symboliques des forces du pacte de Varsovie, le 20 août 1968, constitue donc une surprise totale. Le pays est envahi par près de 650 000 hommes. Le présidium du parti, qui siégeait alors dans l’immeuble du Comité central, est capturé, après avoir eu le temps de lancer l’ordre de ne pas résister militairement, mais de rester fidèle à la direction légale. Dès le 21 août, Dubček, Josef Smrkovský, président de l’Assemblée nationale, Oldřich Černík, président du Conseil, sont emmenés en détention en Union soviétique. Mais la résistance passive de la population tchécoslovaque, soutenue par la radio légale, entrée dans la clandestinité, tient en échec les Soviétiques. Le succès de l’opération militaire débouche pour ceux-ci sur une impasse politique. L’intervention a eu pour but d’empêcher la réunion du XIVe Congrès, prévu pour le 9 septembre : celui-ci se tient clandestinement dans une usine de Vysočany, dans la banlieue de Prague, le 22 août, et élimine les dirigeants conservateurs.

Devant la résistance unanime de la population, les Soviétiques ouvrent à Moscou le 23 août des négociations avec Svoboda, le vice-président du Conseil, Husák, venus de Prague, et les dirigeants tchécoslovaques libérés. Le 26 août, les accords de Moscou contraignent la Tchécoslovaquie à rétablir la censure, à supprimer les clubs, annulent le XIVe Congrès clandestin ; mais les Soviétiques se résignent à laisser intacte la direction du parti tchécoslovaque. Le 18 octobre, le Parlement tchécoslovaque ratifie le traité sur le stationnement des troupes soviétiques.

Est-ce la fin du « printemps de Prague » ? Le mouvement de démocratisation n’est pas affaibli. Au contraire, jamais l’unité nationale autour de ses chefs n’a été aussi totale. Les rares collaborateurs (Bilák, Alois Indra) sont exclus de la vie politique. Une situation étrange se crée. Au sommet, l’équipe dirigeante — Dubček, Svoboda et Smrkovský, à laquelle s’est joint Husák, élu à la place de Bilák, premier secrétaire du parti slovaque — est paralysée par la pression des Soviétiques, puis par ses propres divisions. Mais, à la base, la liberté de parole reste totale jusqu’en septembre 1969. Ouvriers et étudiants s’entendent pour défendre le « cours d’après janvier ». Le mouvement des conseils ouvriers s’étend encore jusqu’en mai 1969.