Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

tauromachie

Art de combattre les taureaux de race sauvage dans un affrontement dont la forme la plus répandue est la corrida.


La tauromachie se pratique surtout en Espagne, au Portugal, dans plusieurs nations d’Amérique latine (Mexique, Pérou, Colombie, Equateur, Venezuela) et dans le midi de la France, où la corrida fut introduite au début du second Empire.


Historique

Les courses ou combats de taureaux remontent à l’Antiquité. On en trouve la trace dans l’île de Crète, en Thessalie, à Rome, plus tard en Espagne et en France même, où les archives locales enregistrent l’existence de jeux taurins au xve s. Cependant, la corrida en tant que spectacle organisé, codifié, est un art relativement récent. Elle est née au xviiie s. de la fusion entre deux sortes de divertissements qui coexistaient en Espagne depuis le Moyen Âge : l’un, équestre, pratiqué par la noblesse, pour laquelle il constituait un entraînement à la guerre ; l’autre, populaire, qui avait lieu à l’occasion des fêtes votives sur des places publiques aménagées en arène, où des hommes à pied faisaient valoir leur courage, chacun à sa façon, devant des taureaux.

La fusion s’accomplit peu à peu dans la première moitié du siècle. Elle ne devient totale que vers 1770, quand les toreros, cessant d’agir en ordre dispersé et pour leur propre compte, acceptent d’être incorporés dans des équipes sous l’autorité reconnue d’un chef, la primera espada (la première épée). Dès ce moment, la corrida trouve sa forme quasi définitive. Elle se déroule selon une disposition qui ne subira pas de modifications sensibles pendant deux siècles. Le combat de taureau est divisé en trois actes, ou tercios, logiquement enchaînés : les piques, les banderilles, la mise à mort.


Le taureau

Le taureau de combat naît et grandit à l’état sauvage dans des régions suffisamment incultes pour qu’il puisse se déplacer en toute liberté et conserver son instinct primitif, qui le pousse, quand il est isolé ou se sent menacé dans l’enceinte d’une arène, à attaquer vivement tout ce qui se présente à sa vue. On nomme « bravoure » cet instinct profond de combativité sauvage qui se manifeste dans la charge de l’animal. Et l’on dit que le taureau est « noble » quand il attaque toujours de front, sans discernement, sans donner le coup de corne au passage. Bravoure et noblesse sont les deux conditions sur lesquelles est fondé l’art des toreros, ou toreo.

Les principaux élevages, ou ganaderías, se trouvent : en Espagne, dans les Marismas andalouses, sur les bords du Guadalquivir, en Nouvelle-Castille et dans la région de Salamanque ; au Portugal, dans l’Alentejo ; en France, en Camargue ; au Mexique, en bordure du plateau de Mexico. Tous remontent aux troupeaux de taureaux sauvages qui existaient dans la péninsule Ibérique et dans lesquels, dès le xviie s., quelques éleveurs puisèrent pour créer des races sélectionnées. Aujourd’hui, la race dominante est celle que forma, à la fin du xviiie s., en Andalousie, le comte de Vistahermosa, créateur de l’une des premières castes pures.

Le taureau doit ses qualités combatives à l’espèce, à l’hérédité et à une sélection rigoureuse. Ces qualités sont entretenues et contrôlées par une épreuve, la tienta, à laquelle sont soumis avant toute reproduction les femelles et les étalons. Les taureaux devant entrer dans l’arène vierges de toute expérience antérieure, les jeunes mâles sont généralement exclus de cette épreuve, qui se pratique en champ clos, dans la petite arène attenant à chaque élevage. Cette épreuve consiste à mettre, dans un premier temps, les animaux en présence d’un cavalier armé d’une pique et, dans un second temps, à laisser travailler (toréer) les femelles par les toreros, auxquels les tientas servent d’entraînement pendant l’hiver. La première action met à l’épreuve la bravoure de l’animal, qui doit se jeter sur le cheval et son cavalier, renouveler ses assauts malgré la douleur qu’il endure sous l’aiguillon de la pique ; la seconde a pour objet de tâter sa noblesse, sa façon de réagir à l’incitation de l’étoffe, cape ou muleta, que les toreros lui présentent.

Ces épreuves systématiques réservées aux géniteurs permettent aux éleveurs de préjuger de la qualité de leurs produits, de conserver la valeur combative de la race en procédant à l’élimination des bêtes douteuses. Pour répondre aux exigences du règlement, le taureau de corrida doit être âgé de quatre ans au moins et présenter un poids vif minimal de 460 kg dans les arènes de première catégorie. Sa valeur commerciale dépend de la race et des soins dont il a été entouré.


Les toreros

Tous les hommes qui font profession de combattre les taureaux sont appelés toreros. Ils sont constitués en équipes (cuadrillas), dont chacune a pour chef le matador. Celui-ci engage ses hommes pour l’ensemble de la saison et, sur son cachet, les rétribue ; il prend aussi à sa charge leurs frais de déplacement. Une cuadrilla comprend généralement deux picadors, qui combattent à cheval, et trois banderilleros. On appelle novilleros ou matadors de novillos les jeunes toreros qui accomplissent leur apprentissage en affrontant, dans les mêmes conditions que leurs aînés, de jeunes taureaux (novillos) pris dans leur troisième année. Ces courses sont nommées novilladas et ne diffèrent en rien, si ce n’est par l’âge des bêtes, des corridas formelles, auxquelles le novillero ne sera admis qu’après avoir reçu l’alternative.

L’alternative est une consécration officielle dont la validité n’est reconnue que si elle a été donnée en Espagne ou, par exception, dans l’arène de Mexico ; elle détermine l’ancienneté du récipiendaire au regard de ses collègues, et la coutume est de la confirmer à Madrid.

Les rejoneadors constituent une catégorie spéciale de toreros à cheval, dont l’action s’exerce en marge de la corrida régulière, soit qu’ils passent en hors-d’œuvre de celle-ci, soit que plusieurs cavaliers assument entièrement la charge du spectacle en opérant tantôt seuls, tantôt en duo. Ce sport, appelé rejoneo, est hérité du divertissement aristocratique qui tomba en discrédit au début du xviiie s. ; il connaît un regain de faveur. Il exige des chevaux spécialement dressés, et l’on tolère, pour leur protection, que les cornes des taureaux soient convenablement épointées.