Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tange Kenzō (suite)

En 1946, il est le lauréat du concours pour un Centre de la paix à Hiroshima, sur l’emplacement où est tombée la première bombe atomique : réalisé entre 1951 et 1956, le centre comprend une large esplanade avec le mémorial des victimes du bombardement, un musée du souvenir, un centre de réunions et une salle de congrès, ainsi qu’une bibliothèque enfantine. L’ensemble est traité dans un style directement relié à l’esthétique de Le Corbusier, mais on doit noter que le mémorial, de profil parabolique, s’inspire de souvenirs du Japon antique. Cette première œuvre, très appréciée, permettra à Tange Kenzō de fonder son propre bureau ; il obtiendra en même temps, à partir de 1949, un poste de professeur d’urbanisme à l’université de Tōkyō.

Toujours marqué par l’influence de Le Corbusier, Tange édifiera en 1952-1957 le bâtiment de l’Administration municipale de Tōkyō. Mais il ne tardera pas à s’en dégager, cherchant, dans l’art japonais traditionnel, de nouvelles sources d’inspiration : sa maison personnelle (1951-1953) est l’expression directe de cette recherche, qui tend à s’épurer dans l’hôtel de ville de Kurayoshi (1955-56), pour aboutir en 1958 à l’admirable préfecture de Kagawa, à Takamatsu (île de Shikoku) : la charpente de béton reproduit la stylistique des assemblages de la construction en bois, cette seule et discrète référence suffisant à exprimer le bâtiment avec une force inusitée.

Ce qu’il y avait de séduisant dans les tendances néo-japonaises de ces premières œuvres, Tange le récusera violemment par la suite : les hôtels de ville de Imabari (1957-1959) et de Kurashiki (1958-1960), le centre d’art Sōgetsu à Tōkyō (1958-1960) et le centre culturel de Nichinan (1963) ainsi que le club de golf de Totsuka (1963) appartiennent tous à cette esthétique « brutaliste » dont Marcel Breuer* est l’un des meilleurs représentants à l’époque (et qui doit beaucoup par ailleurs aux toutes dernières œuvres de Le Corbusier).

Poussant le système jusqu’à l’extrême, Tange donne avec la cathédrale Sainte-Marie de Tōkyō (1961-1965), le palais des sports de Takamatsu (1962-1964), la piscine et le stade olympique de Tōkyō (1960-1964) trois ensembles spectaculaires par l’exaspération technologique dont ils font preuve — œuvres qui ont leur contrecoup dans la grandiloquence de l’actuelle architecture américaine.

Il semble que, dans le même temps, Tange prenne conscience des limites de son système formel : une série de projets utopiques tendent à le démontrer — projet pour le siège de l’Organisation mondiale de la santé à Genève (1959), « Un plan pour Tōkyō » (1960), « Tōkaidō-Mégalopolis » (1962), plan d’aménagement du quartier Tsukiji à Tōkyō (1963), enfin plan pour la reconstruction de la ville de Skopje, en Yougoslavie (1965). Ces divers projets d’urbanisme, dont le dernier est opérationnel, posent — sur le thème de la mégastructure — les bases d’une conception nouvelle de l’architecture dans ses rapports avec l’organisme urbain. Dans les projets d’aménagement des régions de Maebashi et de Takasaki (1966), de Shizuoka et de Shimizu (1967), Tange en proposera l’application concrète.

L’étrange Centre de communications de Kōfu (1964-1967) et l’immeuble de la société radiophonique Shizuoka à Tōkyō (1966-67) sont l’expression architecturale de cette nouvelle démarche où l’édifice ne constitue plus un objet isolé, mais une structure expansible, « additive » selon le principe de Jørn Utzon (appliqué ici aux immeubles collectifs). Le petit jardin d’enfants de Yukari à Tōkyō (1966-67) prouve la participation de Tange aux idées formulées simultanément en Europe par Utzon, par le Néerlandais Aldo Van Eyck, etc.

Tange a ensuite réalisé le centre Olivetti de Tōkyō (1970), l’université de Taibei (T’ai-pei) à Taiwan (1966-1968), l’ambassade du Koweït au Japon (1969), ainsi que trois importantes constructions au Proche-Orient : l’aéroport et le centre sportif du Koweït, le centre sportif de Riyāḍ, en Arabie Saoudite.

F. L.

 R. Boyd, Kenzo Tange (New York, 1962). / A. Altherr, Drei japanische Architekten, Mayekawa, Tange, Sakakura (Stuttgart, 1967). / U. Kultermann (sous la dir. de), Kenzo Tange, 1946-1969 (Zurich, 1970).

Tanger

En ar. Ṭandja, port du Maroc septentrional, ch.-l. de province, sur le détroit de Gibraltar ; 188 000 hab.


L’antique Tingis est d’abord un comptoir carthaginois (Tingi) avant de devenir, sous l’empereur Claude, une cité romaine. En 69, sous le règne d’Othon, elle donne son nom à l’une des Mauritanies*, la Tingitane, dont elle est la capitale. Elle est occupée ensuite par les Vandales et les Byzantins, avant de tomber au pouvoir des musulmans à la fin du viie s. Tanger passe à cette époque pour être l’une des plus belles villes du Maghreb.

Au xve s., le Maroc en proie au chaos se désagrège en une poussière d’émirats en lutte les uns contre les autres et qui se livrent à la piraterie sur les côtes du Portugal. Par mesure de représailles et mettant à profit l’anarchie des royaumes maghrébins, les Portugais s’emparent de nombreuses villes du littoral ; en 1471, ils font reconnaître leur suzeraineté sur Tanger.

L’Espagne remplace le Portugal de 1580 à 1656, puis Tanger, redevenue portugaise, sert en 1662 à constituer une partie de la dot de Catherine de Bragance, épouse du roi d’Angleterre Charles II*.

Les Anglais défendent bien la ville en 1680 contre le sultan ‘alawīte Mūlāy Ismā‘īl (1672-1727), mais, trouvant trop coûteux l’entretien d’une garnison, ils restituent Tanger au Maroc en 1684.

Plus tard, les sultans ouvrent le port au commerce européen et en font la résidence des diplomates des pays occidentaux. Pendant la conquête de l’Algérie*, Tanger est bombardée par les Français (1844).

Durant les premières années du xxe s., la France, l’Angleterre et l’Espagne négocient un arrangement visant à instaurer à Tanger un régime particulier qui ménagera les intérêts de la Grande-Bretagne dans le détroit de Gibraltar. Le principe du caractère international de Tanger est reconnu à la conférence d’Algésiras (1906), destinée à régler un conflit issu d’une intervention de l’empereur d’Allemagne, Guillaume II, contre l’établissement de la France au Maroc. Un an auparavant, en effet, au cours d’une visite à Tanger, l’empereur s’est publiquement prononcé dans ce sens (31 mars 1905) : événement qui marque le début du conflit diplomatique franco-allemand. Le statut international de Tanger est définitivement instauré ; il fait l’objet de la convention de Paris de 1923.