Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Syrie (suite)

L’effort s’est alors porté plus spécialement sur l’étude du Néolithique, particulièrement riche d’enseignements avec les fouilles de Ras Shamra, de Ramad, de Jéricho, de Beidha, de Munhata et de Beer-Shev‘a (ou Beersheva). Pour les périodes historiques, il faut mentionner l’exploration de tell Khuera, de tell Atchana, de tell Mardikh, de Haçor, de tell Fara, de Ramat Raḥel. Cette liste, qui n’est nullement exhaustive, ne peut se terminer sans l’évocation des travaux qui se poursuivent dans le cadre d’une vaste étude archéologique de la vallée de l’Euphrate, dont les vestiges antiques vont disparaître dans les eaux du lac artificiel actuellement en formation (1974) ; retenons déjà, parce qu’ils ont donné des documents exceptionnels, Habuba, tell Mureybat et Maskana, dont l’exploration n’est pas encore achevée.


Aspects de l’art syrien

Saisir l’originalité syrienne à travers une documentation aussi diversifiée n’est pas toujours facile, car les caractères en paraissent souvent contradictoires. Dès le Néolithique, on peut reconnaître deux tendances opposées de l’art syrien. La première, la plus authentique apparemment, cherche à produire des œuvres originales, où les traits syriens l’emportent facilement sur les emprunts extérieurs. On retiendra par exemple les petites figurines humaines en os ou en ivoire de Beer-Shev‘a, dans le Néguev, qui sont datées de la seconde moitié du IVe millénaire et qui n’offrent guère de parallèles avec le monde oriental ; c’est aussi, au même moment, le cas des vestiges de peintures murales qui ont été retrouvés à Teleilat el-Ghassoul, dans la vallée du Jourdain.

Par la suite, c’est dans le domaine de la ronde-bosse et de la toreutique que la Syrie côtière et intérieure se démarque nettement de ses puissants voisins, même si, dans certaines productions, l’originalité frappe plus que la perfection. La statue assise d’Idrimi, roi d’Alalakh (British Museum) n’emporte guère l’adhésion, mais la tête du roi Yarim-lim (du même site et du même IIe millénaire), par sa sérénité, ou encore la tête en basalte provenant du site de Djabboul (musée du Louvre), par sa puissance et sa tension, sont de très belles réussites, qui montrent une maîtrise incontestable dans ce domaine. Les nombreuses figurines, de bronze généralement, plus rarement d’argent, parfois revêtues de feuilles d’or (Ougarit, Qatna, Byblos, Emar), aux attitudes si diversifiées (sauf dans certaines séries) et aux-attributs si variés, témoignent d’une étonnante aptitude à reproduire la silhouette humaine et son visage, chargé à l’occasion d’une expression de sérénité ou d’agressivité, de majesté ou d’amabilité.

Il est enfin un domaine où la Syrie a su trouver à certains moments une expression personnelle : l’architecture. Celle-ci est rarement aussi massive et monumentale que les architectures de la Mésopotamie*, de l’Égypte* ou de l’Anatolie*, tous pays limitrophes de la Syrie et qui auraient pu exercer une influence directe en ce domaine. Les temples (tell Taynat), de forme simple — une pièce allongée pourvue d’installations cultuelles diverses et précédée d’un porche à antes et parfois à colonnes —, les palais (Atchana, Ougarit...), à la richesse certaine, aux formes architecturales diverses et originales, sont, cependant, peut-être moins significatifs à cet égard qu’un monument appelé, selon sa dénomination assyrienne, bît hilani, appartenant en propre au monde syrien dès le IIe millénaire et que l’on retrouve avec des modifications au Ier (Taynat, Emar, Zincirli, Halaf). Composé principalement de deux salles allongées, avec un porche parfois à colonnes sur l’un des longs côtés, et pourvu d’un escalier menant à un étage, le bît hilani compensait en hauteur sa faible extension au sol ; il semble être l’expression d’une formule architecturale tout à fait typique de la Syrie.

Parallèlement à ces manifestations d’un courant autochtone, il en est d’autres où les emprunts aux civilisations voisines sont beaucoup plus évidents et qui ont fait parfois, mais à tort, douter de l’originalité syrienne. On peut prendre comme exemple de cette tendance la sculpture animalière, qui se fait hiératique et anguleuse, dépourvue de vie, mais non totalement de majesté, quand il s’agit, comme à Atchana, de dresser des lions gardiens de temples ; ces œuvres sont bien l’expression d’un mélange d’influence hittite* et mésopotamienne ; les formes sont plus souples sur des bas-reliefs de tell Halaf du Ier millénaire, mais la spécificité syrienne n’est pas évidente pour autant. À la fin du IIe millénaire et au début du Ier, certains sites syriens et palestiniens ont produit des ivoires sculptés, destinés souvent à décorer du mobilier, qui sont de très belle venue et qui comptent parmi les plus belles réussites de ces régions. Domine cependant l’impression d’une imitation servile, voire d’une simple copie de thèmes mycéniens (v. Crète [l’art créto-mycénien]) ou égyptiens. Toutefois, à y regarder de près, on s’aperçoit de modifications qui mettent en lumière certains traits spécifiques et qui permettent d’envisager l’existence d’une signification particulière des thèmes iconographiques, même si celle-ci nous échappe le plus souvent. On serait tenté de placer aussi dans cette tendance à l’imitation la production artistique de l’époque classique, mais, là encore, une étude approfondie laisse l’originalité syrienne reprendre ses droits.

Au cours d’une longue histoire marquée de contraintes parfois pesantes, la Syrie antique a pourtant connu des moments où elle a pu laisser paraître sa personnalité, comme, épisodiquement, au IIe ou au Ier millénaire. Ne pas avoir été complètement étouffé par de si puissants voisins est le signe évident d’une étonnante force intérieure.

J. C. M.

 H. Frankfort, The Art and Architecture of the Ancient Orient (Harmondsworth, 1954). / J. Thimme, P. Åstrom, G. Liliu et J. Wiesmer, Frühe Randkulturen des Mittelmeerraumes, Kykladen, Zypern, Malta, Altsyrien (Baden-Baden, 1968 ; trad. fr. Civilisations anciennes du Bassin méditerranéen, t. II : les Cyclades, Malte, la Syrie ancienne, A. Michel, 1971). / J. Deshayes, les Civilisations de l’Orient ancien (Arthaud, 1969).