Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Syrie (suite)

Au nord du couloir syrien, l’Empire hittite est remplacé par des cités-États que les spécialistes ont appelées abusivement néo-hittites, parce que l’on y retrouve des traits de la civilisation hittite impériale (le style des sculptures et surtout l’écriture dite « hittite hiéroglyphique »). En fait, une partie de l’Anatolie centrale, l’ouest de la haute Mésopotamie et le nord de la Syrie ont dû subir, soit avant, soit après la chute de l’Empire hittite, la migration de groupes guerriers de parler louwite, qui forment des minorités dominantes dans les cités-États d’un domaine qui s’étend vers le sud jusqu’à Hamat (auj. Ḥamā) et à Restan (auj. Rastān), sur l’Oronte moyen.

Le monde cananéen ne survit finalement que sur le littoral ; protégée par les chaînes du Liban et du djebel Ansarich, une bande continue, de ‘Akko, au sud, à Gabala (auj. Djéblé), au nord, constitue la Phénicie proprement dite, Phéniciens* étant le nom donné par les Grecs à ces Cananéens indépendants du Ier millénaire av. J.-C. D’autre part, les Hellènes signalent à partir du ive s. av. J.-C. un certain nombre de cités phéniciennes au nord et au sud de la Phénicie, que nous venons de définir : s’agit-il de localités ayant gardé leur caractère cananéen sous la domination des Philistins, des Israélites ou des néo-Hittites, ou bien des comptoirs créés en dehors de leur pays par les Phéniciens lorsque la domination achéménide leur rendit les coudées franches ?


Cités et royaumes du Ier âge du fer (xie-vie s. av. J.-C.)

Divisé en quatre grandes zones culturelles (des Néo-Hittites au nord, des Phéniciens à l’ouest, des Araméens au centre et à l’est, des Israélites au sud), le couloir syrien est, de plus, morcelé en États généralement fort petits, mais qui bénéficient, avec l’indépendance recouvrée, d’un nouvel essor économique et culturel, seulement entravé par les conquérants étrangers à la région.

Les États néo-hittites, dont le plus important est celui de Kargamish (ou Karkemish, sur la rive occidentale de l’Euphrate), tirent de grandes ressources de l’artisanat et du commerce. Leurs rois se font construire, au cœur de villes fortifiées, des palais également ceints d’une forte muraille et comportant des bît-hilani, dont les colonnes de bois sont portées par des bases de pierre sculptées figurant des couples d’animaux ; les parois des monuments sont décorées d’orthostates à reliefs, dont l’art, plutôt grossier, s’affadit à partir du ixe s. du fait des progrès de l’influence assyrienne. Vers la même époque, dans les inscriptions royales, les hiéroglyphes hittites commencent à reculer devant l’alphabet, et la langue louwite devant le cananéen ou l’araméen : l’aristocratie héritière de l’Empire hittite est évincée par une minorité de guerriers araméens ; au xiiie s., seuls les États de Hattina (sur l’Oronte inférieur) et de Kargamish ont encore des rois à noms hittites ou louwites.

Les Phéniciens se répartissent entre une foule de villes minuscules et quatre plus grandes : Tyr*, Sidon, Byblos et Arwad. Le passage des Peuples de la mer n’a pas provoqué de rupture profonde dans la vie des cités, qui conservent intacte la civilisation cananéenne du IIe millénaire et maintiennent le niveau élevé de leurs activités économiques. À côté d’une pacotille qui imite les scarabées, faïences, récipients de verre et bronzes de l’Égypte, on y fabrique des étoffes, des parures et des vases d’argent dont le décor s’inspire des arts égyptien et assyrien, et qui sont recherchés dans tous les pays voisins. C’est aux Phéniciens, semble-t-il, qu’il faut attribuer les progrès de l’architecture (colonnes de pierre, chapiteaux proto-éoliques ou proto-ioniques), qui ont pu inspirer les temples grecs du viie s. D’ailleurs, les Phéniciens exercent une grande influence sur tous les peuples qui sont en rapport avec eux, que ce soient ceux de l’intérieur (Israélites, Assyriens, Arabes, etc.), dont les caravanes se dirigent vers les cités de Phénicie, ou bien ceux des côtes lointaines, que les navires phéniciens commencent à fréquenter. Si les voyages en mer Rouge vers l’Arabie méridionale semblent limités au xe s., du côté de la Méditerranée le dynamisme des héritiers du monde cananéen se traduit par la fondation de comptoirs et de colonies depuis Chypre (xie s.) jusqu’aux rivages atlantiques de l’Afrique du Nord et de la péninsule Ibérique (viiie ou viie s.).

L’alphabet phénicien, vraisemblablement inventé à Byblos vers les xiie et xie s., sert de modèle aux alphabets hébreu, araméen, grec, sud-arabe, qui vont, à leur tour, supplanter les vieux types d’écriture ou faire reculer l’analphabétisme. Les productions phéniciennes, qui vulgarisent les iconographies de l’Orient, vont influencer les arts naissants de la Grèce, de l’Étrurie et de l’Ibérie. Le prestige de leur habileté technique et leur politique généralement pacifique valent aux États phéniciens le respect de leurs voisins (lu couloir syrien, qui, dès qu’ils se fixent, cessent leurs attaques contre les cités du littoral.

C’est le cas, en particulier des Israélites, ces Araméens, qui, sortis de la barbarie pastorale, ont adopté la langue et les coutumes des cultivateurs cananéens qu’ils avaient soumis. Les États phéniciens, plus prestigieux que les derniers royaumes de Canaan, vont servir de modèle, sur le plan matériel au moins, au royaume qui apparaît en Israël avec le roi Saül (v. 1030).

Le conquérant israélite David (v. 1010-970) brise définitivement la puissance des Philistins et impose sa prédominance aux peuples des confins désertiques de la Palestine et aux petits États araméens de la Syrie centrale, mais il épargne les cités phéniciennes. Et son fils Salomon (v. 970-930), qui hérite du petit empire constitué par David (sauf Edom et la Damascène, qui reprennent alors leur indépendance), s’allie au roi de Tyr, seul capable de lui fournir les matières premières et les artisans pour la construction du Temple et du palais de Jérusalem. La grandeur d’Israël n’est pas dans la puissance matérielle, mais dans son attachement à Yahvé, dieu national exclusif, qui diffère des divinités du temps en ce qu’il n’a pas d’épouse divine et que la magie ne peut le contraindre à agir. Et c’est lorsque Israël est diminué par la division en deux États rivaux (Israël au nord, Juda au sud), à la mort de Salomon, que le peuple israélite commence à manifester son génie : rédaction des livres historiques de la Bible (à partir de la fin du xe s.), où les interventions de Yahvé dans l’Histoire fondent la théologie du dieu national ; mouvement prophétique (à partir du ixe s.), qui épure la religion d’Israël, arrache le peuple élu à l’influence des cultes cananéens avant de lui annoncer un messie à la fois national et universel.