Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

syphilis

Maladie vénérienne grave touchant principalement la peau, les artères et le système nerveux.



Historique

La syphilis, apparue en Europe à la Renaissance, semble avoir été rapportée des Antilles par les équipages de Christophe Colomb en 1493 (théorie américaine d’Édouard Jeanselme [1858-1935]). Sa dénomination (1530) est due à Fracastor (Girolamo Fracastoro [1483-1553]), de Vérone. Les caractères cliniques de cette maladie, très longtemps confondue avec diverses dermatoses ou autres affections, vénériennes ou non, n’ont été précisés qu’au xixe s. par l’école française : Philippe Ricord (1800-1889), Cazenave et surtout Alfred Fournier (1832-1914). C’est à ce dernier qu’on est redevable de l’étude la plus complète jamais effectuée. En 1905, Fritz Richard Schaudinn (1871-1906) et Erich Hoffmann (1868-1959) identifièrent le parasite causal : le Tréponème pâle. Noguchi Hideyo (1876-1928) et Hoffmann réussirent les premières cultures. En 1906, Wassermann utilisa la réaction de déviation du complément pour le diagnostic sérologique (réaction de Bordet-Wassermann) [v. sérologie]. Ultérieurement, diverses réactions de floculation plus sensibles furent mises au point (Kahn, Kline, V. D. R. L. [Venereal Disease Research Laboratory]), ainsi que le test d’immobilisation du Tréponème en 1949 (test de Nelson) et, en 1957, le test d’immunofluorescence de Deacon, dont les critères furent précisés par A. Fribourg-Blanc et J. Thivolet.

Jusqu’au milieu du xixe s., la thérapeutique antisyphilitique a été des plus empiriques, et ce n’est qu’avec les sels solubles de mercure qu’un traitement rationnel a été institué. Un progrès considérable a été obtenu grâce à l’utilisation des arsénobenzènes par Paul Erlich (1854-1915) en 1910 (« 606 », « 914 »), puis des sels de bismuth, moins grevés d’accidents, par R. Sazerac et Constantin Levaditi (1874-1953) en 1921, et surtout de la pénicilline par John Friend Mahoney en 1943.


Contagion, épidémiologie

La syphilis est, dans l’immense majorité des cas, contractée à l’occasion de rapports sexuels avec un ou une partenaire porteur de lésions virulentes (chancre, plaques muqueuses). Elle est moins souvent, mais non exceptionnellement, d’origine non vénérienne, soit par transmission directe (baiser) ou indirecte : chancre contracté par verre, rasoir, blaireau, brosse à dents ou autre objet de toilette venant d’être souillés par un sujet porteur de plaques muqueuses. La contamination est parfois professionnelle : chancre de la bouche des souffleurs de bouteille, chancre des doigts des médecins ou des sages-femmes, chancres dus à des piqûres chez les laborantins (prélèvement de sérosité pour l’examen ultramicroscopique, préparation des cultures de Tréponèmes pour le test de Nelson). Les cas d’infestations par transfusion sanguine sont exceptionnels depuis la rigueur des examens cliniques et sérologiques auxquels sont soumis les donneurs.

Des épidémies locales ou régionales s’observent à l’occasion de guerres et des grands rassemblements de foule. De 1945 à 1955, on a enregistré une extraordinaire régression de la syphilis primo-secondaire. En réalité, il ne s’agissait que d’un « barrage antisyphilitique » dû à l’utilisation systématique de la pénicilline pour toute affection infectieuse ou présumée telle. Mais, dès 1955, les cas de syphilis récente étaient presque aussi nombreux que dix ans auparavant. Cette recrudescence relève de causes diverses :
— moindre emploi de la pénicilline avec l’apparition de la cortisone, nouvelle idole de la thérapeutique ;
— prescription d’autres antibiotiques, telles les cyclines à doses insuffisantes pour enrayer la syphilis, laquelle, quelques mois plus tard, se démasquera par des lésions secondaires très contagieuses ;
— augmentation importante de l’homosexualité et surtout de la prostitution masculine, cause de chancres anaux le plus méconnus ;
— « vagabondage sexuel », favorisé par la moindre crainte des maladies vénériennes et l’emploi de la pilule contraceptive.

La prostitution ne semble pas être le fait essentiel de l’épidémie, comme en témoignent des statistiques récentes. Les « régulières » (mis à part les débutantes), très averties des maladies vénériennes, examinent généralement leur client, font d’elles-mêmes des cures d’antibiotiques et consultent fréquemment un spécialiste. Plus dangereuses sont les prostituées occasionnelles.


Manifestations cliniques


Syphilis primaire

Caractérisée par le chancre*, sa durée d’incubation est classiquement de 3 semaines. Les chancres retardés à 100-120 jours sont plus fréquents qu’autrefois, ce retard étant parfois dû à l’ingestion concomitente de cyclines. Plus rares sont les incubations de moins de 15 jours. Dans la plupart des cas, le chancre apparu au point d’inoculation, cutané ou muqueux, est érosif et garde ses caractères classiques. Toutefois, suivant le siège, de nombreux aspects sont observables : chancre fissuraire du sillon balano-préputial, du filet de la verge ou de la langue, de la commissure des lèvres ; chancre papulo-érosif de la face dorsale de la langue ; chancre herpétiforme, en « feuillet de livre », des petites lèvres ; chancre avec œdème de la grande lèvre. Les chancres ulcéreux, plus fréquents qu’autrefois, prennent souvent un aspect inflammatoire. Les chancres cutanés sont croûteux (impétigineux), observables au dos du nez, au pubis, au menton (chancre sycosiforme). Le chancre du doigt est douloureux (pseudo-panaris). Les chancres nains et les chancres profondément situés sont souvent méconnus : amygdale, col utérin, paroi vaginale, anus. Si l’unicité était le plus souvent la règle, la fréquence des chancres multiples a notablement augmenté dans les deux dernières décennies. Le chancre non traité guérit en 3 à 6 semaines mais l’adénopathie satellite (le ganglion) exige plusieurs mois pour s’effacer. La guérison est obtenue plus rapidement par le traitement à la pénicilline.

Le diagnostic est facile en cas de chancre érosif, mais la multiplicité des aspects cliniques rend parfois la différenciation délicate avec le chancre mou, le chancre mixte, l’herpès et, plus rarement, avec le chancre scabieux (la gale), le chancre tuberculeux, le chancre lymphogranulomateux (v. chancre et herpès). Le chancre fissuraire est à diagnostiquer d’une éraillure traumatique, celui de l’amygdale de l’angine ulcéreuse de Vincent, celui du doigt d’un panaris, celui du col utérin d’une érosion métritique.