Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

surréalisme (suite)

Les grands modèles

Si les grands initiateurs du surréalisme dans les arts plastiques sont trois parmi les plus fortes personnalités artistiques du xxe s., par contraste on serait tenté d’affirmer que les grands modèles en sont, eux, anonymes ou presque. Ce sont en effet le sauvage, le schizophrène et le médium. L’artiste « sauvage », et plus particulièrement le sculpteur océanien de Nouvelle-Guinée ou de Nouvelle-Irlande, bénéficie d’une considération toute particulière de la part des surréalistes en raison de sa relation avec une mythologie authentique et de la fantastique invention métaphorique qui en résulte. En outre, il se fait l’interprète d’une pensée collective sans renoncer aux accents les plus aigus du génie individuel. Au contraire, l’artiste schizophrène semble tout tirer de lui-même, étant donné les conditions de relégation qui sont d’ordinaire les siennes. Mais, en fait, alors qu’il œuvre à refaire de toutes pièces un monde enfin habitable, sa démarche recoupe étrangement celle du sauvage. L’artiste médiumnique, enfin, s’il s’abandonne à l’automatisme pour entrer en communication avec les « désincarnés », reçoit en échange de cet abandon une merveilleuse sûreté créatrice, que celle-ci se déploie dans une profusion délirante de courbes ou, au contraire, selon une rigoureuse ordonnance de droites (v. brut [art]). De la peinture surréaliste, on serait en droit de dire qu’elle n’a pas de plus profonde ambition que celle de reconquérir l’« état de grâce » qui est celui du sauvage, du schizophrène ou du médium. La technique de cette reconquête est évidemment l’automatisme, qui apparaît ainsi non seulement comme une pratique relevant de l’esthétique et de la mancie, mais aussi comme une ascèse.


Les principales étapes


Les débuts de la peinture surréaliste (1919-1928)

Si l’année 1919 est celle où De Chirico sombre dans l’académisme, c’est aussi celle des premiers collages* obtenus par Max Ernst* d’une perversion systématique des images. Ernst fait donc figure de premier peintre surréaliste stricto sensu, et c’est pourquoi, sitôt arrivé à Paris en 1922, il « tire le portrait » du groupe en formation (Au rendez-vous des amis). Man Ray (États-Unis, 1890-1976) est là lui aussi, mais alors surtout préoccupé de photographie* (les « rayogrammes » ou « rayographes »). Fin 1923 - début 1924, André Masson* et Joan Miró* font leur apparition et proposent, le premier dans le dessin, le second en peinture, les premières applications plastiques de l’automatisme. L’année 1925 sera décisive : en réponse à Pierre Naville, qui mettait en doute la possibilité d’une peinture surréaliste, Breton commence la publication, dans la Révolution surréaliste, du Surréalisme et la peinture, où il avance la notion de « modèle intérieur » ; Arp* se rallie au mouvement ; Ernst exécute ses premiers « frottages » ; enfin a lieu la première exposition surréaliste, qui groupe Arp, De Chirico, Ernst, Klee*, Masson, Miró, Picasso, Man Ray, Pierre Roy (France, né en 1880). En 1925, Picasso peint la Danse, toile par laquelle il se détache du cubisme pour se rapprocher du surréalisme. La même année, Tanguy* et Magritte* peignent leurs premiers tableaux surréalistes. En 1927, Magritte s’installe à Paris et participe aux activités collectives. Au cours de cette période apparaissent les plus célèbres parmi les peintres surréalistes. Il est bon, aujourd’hui, de se souvenir qu’ils rencontrent cependant l’hostilité la plus vive de la part des marchands, des collectionneurs et de la presse.


L’époque de la diffusion internationale (1929-1939)

La deuxième période de la peinture surréaliste est marquée d’abord par l’arrivée de deux recrues de choix : Dalí* et Giacometti*. En 1929, Dalí fait sa première exposition, préfacée par Breton, laquelle, bien entendu, fait scandale ; déjà il fourbit sa « méthode paranoïaque-critique », qu’il entend opposer à l’automatisme. À partir de 1929, Giacometti construit sous la pression de son inconscient des œuvres singulières, véritables sculptures de rêve. C’est ce que fait aussi Arp, de son côté, mais en choyant des formes élémentaires, embryonnaires et pourtant voluptueuses. À partir de 1931, l’objet surréaliste va séduire la plupart des peintres surréalistes, aussi bien les aînés que les nouveaux venus. Entre 1932 et 1935, Hans Bellmer (Allemagne, 1902-1975), Victor Brauner*, Oscar Domínguez (Espagne [Canaries], 1906-1957), Richard Oelze (Allemagne, né en 1900), Meret Oppenheim (Suisse, née en 1913), Wolfgang Paalen (Autriche, 1907-1959), Kurt Seligmann (Suisse, 1901-1962) font leur apparition à Paris. À dater de 1935, la diffusion internationale du surréalisme se marque par des expositions au Danemark, aux Canaries, en Tchécoslovaquie, à Londres, à New York, au Japon, enfin à Paris (1938), où sont représentés soixante-dix artistes de quatorze pays différents. Un style particulier de présentation s’impose dans ces Expositions internationales du surréalisme par la création d’un climat étrange et parfois menaçant. En 1938-39 se dessine, encouragée par les « décalcomanies » (1936) de Domínguez et les « fumages » (1937) de Paalen, une tendance vers l’« automatisme absolu » avec Matta*, Gordon Onslow-Ford (Grande-Bretagne, né en 1912) et Esteban Francès (Espagne, né en 1914). Masson, qui s’était éloigné en 1929, réintègre le groupe, tandis que Dalí, qui professe de plus en plus des opinions réactionnaires, cesse toutes relations avec les surréalistes.


La peinture surréaliste pendant la guerre (1940-1946)

La guerre disperse les surréalistes. Ne restent en France, Picasso excepté, que Brauner, Domínguez et Jacques Herold (Roumanie, né en 1910). Ernst, Francès, Masson, Matta, Onslow-Ford, Man Ray, Seligmann, Tanguy se réfugient aux États-Unis, Leonora Carrington (Angleterre, née en 1917), Paalen, Remedios (Remedios Lissagara Varo, Espagne, 1913-1963) au Mexique. Miró retourne en Catalogne. Exilée aux Amériques, la peinture surréaliste va atteindre l’un de ses plus hauts sommets. C’est le cas notamment chez Masson, que l’influence des mythes amérindiens conduit à ses œuvres les plus lyriques ; chez Max Ernst, qui adopte la technique de la « décalcomanie » et en tire de fabuleux paysages de rêve ; chez Matta, dont les somptueuses visions cosmiques nées de l’automatisme cèdent le pas, en 1944, à l’image déchirée de l’homme de notre temps ; chez Tanguy enfin, qui, seul de tous les surréalistes, s’installera à demeure aux États-Unis. Le Cubain Wifredo Lam*, qui fit la rencontre des surréalistes en 1940 à Marseille, inaugure une œuvre flamboyante inspirée par le Vaudou. Aux États-Unis, la présence des surréalistes agit comme un coup de fouet sur les artistes américains, pour lesquels l’automatisme sera la voie de l’émancipation. Parmi eux, Arshile Gorky* atteint dès 1944 à un incomparable niveau d’émotion dans l’expression picturale. Mais il se suicidera en 1948.