Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

surréalisme (suite)

La part de l’automatisme

Serait-ce à dire que le surréalisme ambitionne de produire un art de l’assouvissement ? Certainement pas, et c’est là ce qui déjà suffit à le distinguer, par exemple, d’une certaine imagerie érotique qui, aujourd’hui, se prévaut abusivement de Hans Bellmer ou de Dalí. Car ce n’est pas servir le désir dans son ambition métaphysique que le satisfaire superficiellement à l’aide d’images gracieuses ou vaguement salaces. La référence du surréalisme à Freud implique que le désir (ce que la psychanalyse nomme la « libido ») est saisi à la fois dans toute son impétuosité et dans toute sa complexité. Et l’on pourrait aller jusqu’à affirmer que les plus accomplies parmi les œuvres d’art surréalistes sont celles qui se présentent comme le champ où s’affrontent Éros et Thanatos, le principe de plaisir et le principe de réalité.

De ce point de vue, l’automatisme*, dont on sait qu’il constitue le principe moteur du surréalisme, représente la possibilité optimale d’accession de l’inconscient à l’expression picturale, en déliant le geste créateur de l’étroit contrôle de la raison et du savoir-faire. Qu’il soit producteur de formes, de textures ou de rythmes, selon les individus, selon les circonstances ou selon les procédés employés, il conduit obligatoirement l’artiste qui s’y rallie à une nouvelle conception de l’œuvre d’art, affranchie non seulement du « modèle extérieur », mais des lois de la composition ou du « rendu » traditionnel. Par lui, un nouvel espace tend aussi à s’imposer, qu’il s’agisse de l’espace purement bidimensionnel propre à Miró ou de l’espace cosmique dans lequel s’affirmeront Matta, Onslow-Ford et Paalen. Il suffit de songer à la considérable diversité de solutions que, grâce à lui, se découvrirent les peintres surréalistes, d’Arp à Tanguy et de Domínguez à Hantaï, pour s’assurer qu’ici nul danger d’académisme ne menace, pour peu que le recours à l’automatisme soit conçu non pas, comme ce fut trop souvent le cas dans l’abstraction lyrique, en tant qu’instrument d’une mégalomanie ou d’une confortable industrie, mais en tant que ressort d’une quête de la vérité profonde de l’artiste.


Aspects de l’automatisme surréaliste

Car, ainsi que l’écrivait Adrien Dax, « c’est dans le sens d’une rééducation libératrice de la vue, dont la portée dépasse sensiblement les seules satisfactions esthétiques, que la pratique de l’automatisme a pu laisser apparaître une étroite parenté avec les divers procédés divinatoires ». En effet, des procédés tels que le « frottage », le « grattage », le « fumage », la « décalcomanie », le « coulage », qui participent de cette catégorie de l’automatisme que l’on pourrait dire mécanique, ont pour résultat de produire des textures complexes, dans lesquelles, comme dans les murs où Léonard* de Vinci conseillait de « lire » des paysages ou des batailles, l’œil a tendance à déchiffrer des figures fantastiques, ainsi que le fait la tradition populaire de la divination en présence du marc de café, du plomb fondu, voire des accidents géologiques et des configurations nuageuses. Par opposition à la peinture traditionnelle, qui ne se préoccupe de peindre que ce qui est, l’automatisme permettrait ainsi de peindre ce qui sera. Aussi singulier qu’il y paraisse, cette conviction est inhérente à la peinture surréaliste, dans laquelle le hasard, provoqué ou non, d’où procède l’œuvre est volontiers accueilli comme oracle et, en tout cas, interprété jusqu’à ce qu’il livre son sens (cela encore à la différence des expressionnistes abstraits, qui s’en tiennent à la « beauté » du marc de café, du plomb fondu, du rocher ou du nuage, comme s’ils redoutaient d’y déchiffrer leur avenir). Une autre catégorie de l’automatisme surréaliste, c’est celle que l’on pourrait nommer l’automatisme sensoriel, selon la définition qu’en donnait le métapsychiste Frederic William Henry Myers (1843-1901) relativement aux « produits de la vision et de l’audition interne extériorisés de façon à revêtir le caractère de quasi-perceptions ». Cette catégorie conviendrait on ne peut mieux pour accueillir les œuvres de la période géniale de De Chirico, qui semble avoir peint comme « sous la dictée » d’un « guide » mystérieux, ainsi que prétendent faire les artistes médiumniques. À la différence de l’automatisme mécanique, producteur de « fonds » qu’il convient ensuite d’interpréter (dans lesquels, en somme, l’artiste reconnaît son présent et son futur), l’automatisme sensoriel présente une image définitive, que l’artiste doit se contenter de transcrire sans le moindre effort d’interprétation. À ce stade, rarement atteint en dehors de De Chirico, si ce n’est par Giacometti entre 1930 et 1935, et peut-être dans quelques toiles de Toyen, l’artiste se comporte parfaitement en automate. Reste une autre catégorie encore, celle de l’automatisme moteur, relevant toujours selon Myers, d’« impulsions motrices internes indépendantes de la volonté consciente ». C’est de cet automatisme-là que se réclameront aussi bien les « automatistes » canadiens groupés autour de Paul-Émile Borduas (1905-1960) que les expressionnistes abstraits américains. C’est lui aussi qui se fait jour dès 1924 dans les dessins automatiques d’André Masson, qui, périodiquement, assure la relance lyrique chez Miró, qui atteint enfin sa pleine dimension vers 1938-39 chez Domínguez, Paalen, Matta, Onslow-Ford, Francès.

Bien entendu, l’œuvre surréaliste peut se situer à des degrés intermédiaires entre ces diverses catégories automatiques. En outre, on constate fréquemment qu’à un « démarrage » automatique se substitue ensuite une interprétation relativement laborieuse (chez Tanguy notamment), compte tenu, également, d’une intolérance plus ou moins marquée à l’égard des aspects non figuratifs — taches, coulures ou traits incohérents — de la « donnée » automatique. C’est dire l’infinie complexité des relations de la peinture surréaliste avec l’automatisme, doctrine avouée et cependant secrète par sa nature même.