Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Suisse (suite)

Littérature en langue italienne

Le Tessin et les vallées italiennes grisonnes n’ont pas produit de littérature aussi importante et originale que la Suisse allemande ou romande : leurs habitants ne représentent que les 7 p. 100 de la population suisse, et le Tessin fut pays sujet jusqu’à la fin du xviiie s. Les lettres italiennes en Suisse dépendent étroitement de la civilisation mère et font partie du domaine lombard, dont Manzoni demeure la voix privilégiée. C’est dans le domaine des arts plastiques, surtout de l’architecture et de la sculpture, que les fils des communes italiennes de Suisse ont donné leur pleine mesure. On rencontre des témoignages de leur labeur dans toute l’Europe. Ainsi, à Rome, l’œuvre des « trois grands » : Domenico Fontana, Carlo Maderno, Francesco Borromini. Comme eux, les écrivains tessinois du passé ont trouvé dans la péninsule italienne le lieu de leur épanouissement. Premier nom notable, celui de l’humaniste Francesco Cicereo, commentateur du théâtre antique et correspondant de l’éditeur bâlois Oporinus. Au xviiie s., Giampietro Riva (1696-1785), « le sublime cygne helvétique », traduit Racine et Molière. Pédagogue au grand cœur, pionnier de l’école pour tous en Italie, auteur de nouvelles traduites dans les principales langues européennes, le prêtre Francesco Soave (1743-1806) adapte à son tour poètes allemands, anglais, grecs et latins. Au xixe s., la politique, au Tessin, prend le pas sur les préoccupations esthétiques. On citera pourtant les Confessions d’un visionnaire (1892) d’Alfredo Pioda (1848-1909) et les âpres récits de Giuseppe Cavagnari, qui évoquent le labeur écrasant des habitants d’une terre de beauté. Un nom domine les autres, celui d’un érudit solitaire, le pasteur Giovanni Scartazzini (1837-1901), qui construisit autour de l’œuvre de Dante un monument de critique historique et théologique unique en son temps. Au seuil du xxe s. apparaît le poète tessinois qui opère la percée décisive : Francesco Chiesa (1871-1973), à qui cent ans de vie seront accordés pour réaliser son œuvre toute de mesure et de haute culture. Ayant évoqué, dans les 220 sonnets de Calliope (1907), les grandes étapes de la civilisation occidentale, le poète se penche sur son passé et sur la terre de son jardin pour en tirer ses livres les plus attachants (Racconti puerili [1921], Tempo di marzo [1925], Racconti del mio orto [1929]). Il se consacre aussi à la défense du patrimoine artistique et de l’italianità du Tessin, sans cesse menacée. À sa suite, Hugo Donati (1891-1967), Piero Bianconi (né en 1899, auteur de l’Arbre généalogique), Pio Ortelli (1910-1966) ont célébré l’œuvre des grands artistes tessinois. Giuseppe Zoppi (1896-1952) a exprimé l’émerveillement d’une enfance entourée par la beauté des monts, et Valerio Abbondio (1891-1958) le frémissement d’une âme infiniment sensible à l’appel de la nature. Parmi les voix plus modernes, on nommera le poète Giorgio Orelli, le prosateur Adolfo Jenni et Reto Roedel, auteur de l’étonnant tableau du devenir humain : l’Épinoche et les mythes de l’homme ; Piero Scanziani, que préoccupe aussi l’Aventure de l’homme sur les Cinq Continents et qui convie son lecteur au Jugement d’Adam ; Felice Filippini enfin, écrivain, peintre et graveur, auteur de Seigneur des pauvres morts.


Littérature rhéto-romane

En 1938, le peuple suisse reconnut officiellement le romanche comme quatrième langue nationale. Geste significatif à l’heure où les régimes totalitaires menaçant le pays n’avaient guère le souci des infimes minorités ; 1 p. 100 à peine de la population helvétique parle cette langue, ou plutôt ces langues, car on distingue plusieurs variantes de ladin dans la vallée de l’Inn et de romanche dans la vallée du Rhin de ce canton des Grisons, qui, germanophobe dans sa majorité et doté par surcroît de vallées italiennes, imprime ses manuels scolaires en sept idiomes différents. Pour être cantonné dans de hautes vallées et parlé par une population paysanne alpine, le romanche (qu’on a comparé à l’état de la langue romane au temps du serment de Strasbourg) n’en est pas moins défendu et illustré par une production littéraire impressionnante, dont la moins belle n’est pas la traduction par Alfons Tuor (1871-1904) du Code civil helvétique. Ses lettres de noblesse datent de la Réforme. C’est alors que Gian Travers (1483-1563), Jachiam Bifrun et Durich Chiampel créèrent une poésie épique vigoureuse, traduisirent psaumes, drames bibliques, catéchismes et surtout le Nouveau Testament (Nuof Sainc Testamaint da nos Signer Jesu Christ, 1560). La piété catholique, alimentée par l’abbaye de Disentis, répondit par d’innombrables publications, parmi lesquelles on retiendra la Consolazium dell’olma devoziusa (Consolation de l’âme dévote, 1690). À signaler encore la dynastie des Gabriel, à qui l’on doit une traduction complète de la Bible (1719). Inspiration religieuse et folklorique, veine satirique et burlesque, comme dans toute poésie populaire, mais aussi lyrisme de « déracinés », expression du mal du pays ressenti par les innombrables émigrants que leurs montagnes ne pouvaient nourrir. Le xixe s. voit paraître les Rimas lyriques de Conradin de Flugi d’Aspermunt (1787-1874), ancêtre de Guillaume Apollinaire et promoteur de l’hôtellerie engadinoise, les rares mais vigoureux poèmes de Gian Antoni Huonder (1824-1867), chantre du « paysan souverain », les œuvres rigoureusement élaborées de Zaccaria Pallioppi (1820-1873), les chants épiques de Giachen C. Muoth (1844-1906). Le xxe s. est dominé dans sa première moitié par le poète engadinois Peider Lansel (1863-1943), rassembleur des chansons et traditions populaires, traducteur en ladin des plus belles œuvres lyriques du patrimoine mondial. Plus près de nous se situent Gian Fontana (1897-1935), dont la brève carrière produisit des œuvres narratives d’une intense intériorité, le père capucin Alexander Lozza (1880-1953), le vigoureux conteur Cla Biert, le poète et essayiste Andri Peer, dont l’effort tend à élargir l’univers poétique ladin par l’assimilation des voix les plus modernes du lyrisme contemporain.

A. B.