Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Suisse (suite)

La Réforme est représentée par Zwingli*, Vadianus (v. 1483-1551) et Œcolampade (1482-1531). Peu d’hommes ont exercé sur les destins de la Suisse une influence comparable à celle de Zwingli, le réformateur de Zurich, d’un quart de siècle plus âgé que Calvin. Cette influence est sensible dans l’histoire des lettres helvétiques, où les préoccupations d’ordre religieux, moral et civique apparaissent dominantes. Le théâtre polémique réformé est illustré au xvie s. par le peintre, soldat et homme d’État Niklaus Manuel Deutsch (1484-1530), un des nombreux représentants suisses d’une double vocation littéraire et picturale. La crudité de ses images verbales devance celle de ses successeurs et compatriotes bernois Gotthelf et Dürrenmatt*. La Suisse catholique répond aux pamphlets réformés par la bouche de Hans Salat (1498-1561), chroniqueur et auteur dramatique lucernois.

Au xviiie s., le médecin, botaniste, physiologiste et homme d’État Albrecht von Haller (1708-1777) ouvre avec ses Alpes (1729) et ses grands poèmes philosophiques, un nouveau chapitre de la poésie helvétique et inaugure l’ère classique de la poésie allemande. Les Alpes (Die Alpen), traduites en français, contribuèrent, avec les Idylles (1756 et 1772) de Salomon Gessner (1730-1788), poète et graveur, et les écrits de Rousseau, à mettre à la mode une Helvétie bucolique dont le hameau de Marie-Antoinette semblait une image fidèle. Les voyages en Suisse se firent nombreux ; l’un des centres d’attraction fut Zurich, où l’on venait saluer le prédicateur Johann Kaspar Lavater (1741-1801), dont les Fragments physiognomoniques (1775-1778) allaient inspirer plus d’un romancier du xixe s. Le combat mené contre Gottsched par les Zurichois Johann Jakob Bodmer (1698-1783), et Johann Jakob Breitinger (1701-1776) représente un chapitre important dans l’histoire des lettres allemandes. La traduction de Milton, la découverte des Nibelungen et du Minnesang par Bodmer devaient avoir des suites heureuses. C’est à Bodmer (commentateur de Dante) qu’on doit aussi l’initiative de la traduction allemande de Shakespeare. Helvetia mediatrix. La voie est ouverte qui mène aux grandes heures de Coppet. Mais les pages les plus fraîches que nous a léguées le xviiie s. alémanique ont été rédigées dans la solitude rustique par un petit paysan besogneux du Toggenburg : Ulrich Bräker (1735-1798), auteur d’une savoureuse autobiographie et de commentaires originaux de Shakespeare.

Le passage du xviiie au xixe s. est dominé par le pédagogue Johann Heinrich Pestalozzi (1746-1827). Son Léonard et Gertrude (1781-1787) ouvre l’histoire du roman d’édification populaire, qu’illustre d’une manière géniale, au xixe s., son puissant disciple Jeremias Gotthelf (1797-1854), la plus forte personnalité créatrice qu’aient connue les lettres suisses. Malheureusement, l’auteur du Miroir des paysans (Bauernspiegel, 1837), d’Uli le valet (Uli der Knecht, 1841), de l’Argent et l’esprit (Geld und Geist, 1843) n’a pas trouvé encore de traducteur français à sa mesure. Peut-être l’imprégnation dialectale de son œuvre rend-elle celle-ci intraduisible.

Une génération plus tard, deux Zurichois : Gottfried Keller* et Conrad Ferdinand Meyer (1825-1898), comptent parmi les maîtres de la poésie, de la nouvelle et du roman allemands dans la seconde moitié du xixe s. Henri le Vert de Keller est un des sommets du Entwicklungs- und Bildungsroman germanique. Il illustre aussi ce mouvement de départ à l’étranger et de retour qui inspira tant d’œuvres helvétiques. Les récits historiques de Meyer et son culte de la Renaissance italienne sont contemporains des écrits de l’historien bâlois Jacob Burckhardt (1818-1897), l’auteur de la Civilisation de la Renaissance en Italie (Kultur der Renaissance in Italien, 1860), ce maître livre dans la descendance duquel se place le Quattrocento (1901) du Genevois Philippe Monnier (1864-1911). À partir de Burckhardt se développe l’œuvre de Heinrich Wölfflin (1864-1945), historien du baroque, et c’est dans Burckhardt que le psychologue Carl Gustav Jung* a trouvé la notion de Urbild (image mère), première version de l’archétype, qui occupe une place centrale dans la psychologie du disciple dissident de Freud. Quant aux types d’intraverti et d’extraverti, Jung les a reconnus dans le grand poème d’un ancien élève de Burckhardt, le Prométhée et Épiméthée (1880-81) de Carl Spitteler (1845-1924) [prix Nobel de littérature. 1919]. Bâle est aussi la ville de Johann Jakob Bachofen (1815-1887), le théoricien du matriarcat primitif, et de Karl Barth*, dont la théologie dialectique renouvela la pensée protestante au xxe s.

À la génération de Spitteler, et comme lui en réaction contre une littérature régionaliste accommodant les restes de Gotthelf et de Keller, succèdent les écrivains non conformistes Robert Walser (1878-1956), si prisé par Kafka, Albert Steffen (1884-1963), successeur de Rudolf Steiner (1861-1925) à la tête de l’anthroposophie, Jakob Schaffner (1875-1944), qui succombera à la tentation nazie, en attendant les œuvres tourmentées d’un Albin Zollinger (1895-1941) ou d’un Otto Wirz (1877-1946), d’un Adrien Turel (1890-1957). La voix de la terre, la constante épique retentit encore au xxe s. dans l’œuvre de Meinrad Inglin (1893-1971) ; il est, avec l’historien et essayiste bâlois Carl Jacob Burckhardt (1891-1974), un des écrivains de la plus haute tenue que connaisse la Suisse contemporaine.

Deux noms avant tout se sont affirmés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : ceux de Max Frisch* et de Friedrich Dürrenmatt*, dont l’œuvre corrosive et vigoureuse a conquis les scènes du monde entier. À leur suite, une génération en réaction contre les voix traditionnelles lance ses essais divers. Citons notamment Adolf Muschg, Kurt Marti, Walter Matthias Diggelmann, Peter Bichsel, Otto Walter, Jörg Steiner. À signaler le nombre d’écrivains allemands venus chercher en Suisse, aux années sombres du xxe s., la liberté créatrice. Parmi eux, deux grands « naturalisés » suisses : Hermann Hesse* et Max Picard (1888-1965).