Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

suicide (suite)

• Suicide isolé. Il est des cas où le comportement suicidaire ne se rattache à aucune affection psychiatrique classique et constitue en soi une sorte de phénomène morbide isolé qui se révèle extraordinairement tentant et facile pour certaines personnes (adolescents et adultes jeunes surtout [un cinquième des cas]). On parle alors de « suicide maladie » ; il s’agit d’une manière anormale d’exprimer un sentiment de malaise intérieur, un déplaisir profond. Ainsi le suicide est-il parfois une réaction immédiate et irraisonnée aux frustrations inhérentes à toute existence humaine. Les motifs invoqués par ces sujets après leur tentative paraissent souvent insuffisants.

Les vraies causes sont profondes et partiellement inconscientes : insatisfaction affective mal formulée, besoin d’amour et de sécurité que ne comble pas un entourage maladroit ou distant. Sans présenter d’anomalies mentales graves, ces candidats au suicide se caractérisent parfois par une immaturité psychologique, une intolérance extrême à des contrariétés minimes et, surtout, à l’attente sous toutes ses formes. Tout délai avant d’obtenir une satisfaction sentimentale ou matérielle est vécu comme insupportable. Souvent, le suicide semble provoqué par une personne dont dépend étroitement le sujet : époux, parents, etc. Lorsque l’on reconstitue les instants qui ont précédé l’essai d’autodestruction, on retrouve, plus qu’une volonté absolue de se détruire, un désir d’évasion définitive, un besoin d’oublier et d’échapper aux conflits, « je voulais dormir, dormir toujours », mais aussi des sentiments agressifs, une sorte de ressentiment ou de haine mal assumés.

La plupart des enquêtes établissent en effet la signification essentiellement agressive du suicide en général, quel que soit le motif invoqué. L’agressivité, après avoir initialement visé autrui de façon consciente ou inconsciente, se retourne contre soi. Ainsi le suicide doit-il s’interpréter comme un acte violemment autopunitif ou auto-agressif, du moins dans un bon nombre de cas.

Enfin, on a beaucoup débattu du rôle de l’hérédité dans le suicide. On ne peut démontrer actuellement la réalité d’une « hérédité suicidaire », mais on sait que certaines maladies mentales susceptibles de se compliquer de suicide sont transmissibles. Il est sûr, d’autre part, que le fait de connaître l’antécédent suicidaire d’un parent proche peut obséder l’individu et faciliter son passage à l’acte.


Traitement

Le traitement idéal du suicide devrait être sa prévention. Or, cela n’est possible que dans un certain nombre de cas : ainsi, lorsque les signes prémonitoires d’une affection psychiatrique se font jour chez l’un des membres d’une famille ou d’une collectivité quelconque, on doit rapidement inciter le sujet à consulter le médecin. Ce dernier, avec l’aide d’un spécialiste, peut évaluer le risque du suicide et surtout traiter l’état névrotique ou psychotique en cause. L’hospitalisation en milieu spécialisé s’impose parfois, ne serait-ce que pour passer un cap dangereux. De même, lorsqu’il y a eu tentative de suicide, il faut prévenir la récidive, qu’il s’agisse ou non d’une personne présentant des troubles psychiques (on observe parfois des récidives dans un tiers des cas, surtout chez les jeunes). Il faut donc veiller à ce que le traitement prescrit soit régulièrement suivi ou à ce que les aménagements de vie, les attitudes, les méthodes conseillés par le médecin soient correctement appliqués. Dès que les idées ou velléités réapparaissent, on ne doit pas attendre pour décider une nouvelle consultation, voire une hospitalisation. Rappelons que l’alcoolisme aigu favorise singulièrement les impulsions au suicide.

Il faut savoir qu’il est des suicides que rien, ni traitement, ni attitude psychologique, ni précautions, ne peut empêcher. Le sujet qui met assez d’acharnement, surtout dissimulé, parvient toujours à ses fins. À noter que, parmi les thérapeutiques chimiothérapeutiques ou biologiques qui peuvent prévenir le mieux un danger majeur de suicide, le lithium, chez les maniacodépressifs et les mélancoliques, les électronarcoses, en général, sont les plus efficaces.

Toute conduite suicidaire, qu’elle semble bénigne ou non, doit faire l’objet d’un examen médical psychiatrique. Ou bien l’on se trouve devant une affection neuropsychique indiscutable qui justifie le recours aux méthodes thérapeutiques appropriées, voire à l’internement en cas de récidives graves, ou bien alors l’examen ne montre pas d’anomalies psychopathologiques majeures et le problème est de rechercher les motivations psychologiques du suicide, c’est-à-dire les conflits, les échecs, les chocs affectifs, les situations de tension, etc., qui ont pu se produire en milieu familial, conjugal, professionnel ou scolaire. La coopération de l’entourage du patient est évidemment indispensable au médecin ou au spécialiste qui vont aider le patient à résoudre le conflit ou à surmonter ses difficultés. Ces méthodes psychothérapiques individuelles ou collectives sont ici d’un grand intérêt. Leur but n’est pas de dicter sa conduite au suicidant, mais de favoriser en lui une sorte de maturation psychologique avec renforcement des défenses, qui doit aboutir à une meilleure adaptation au milieu. Bien des entretiens sont nécessaires avec la famille, les amis, les employeurs, etc. Ce qui compte, c’est de bien pénétrer la signification de l’acte par rapport aux relations affectives du sujet avec les personnes de son entourage et la société en général. Rappelons que cet acte doit être compris comme un appel à l’aide, donc un besoin de communication avec autrui, même s’il ressemble au chantage le plus conscient. Cependant, l’attitude de compréhension face au « désespéré » ne saurait tomber dans l’excès d’une sensiblerie larmoyante, surtout si l’on s’adresse à un adulte. Trop de sollicitude aussi, inquiète et « couveuse », entraîne la régression affective ou le comportement infantile du suicidant. En revanche, la provocation ironique le met au pied du mur et le pousse à de dangereuses récidives.

G. R.

 E. Durkheim, le Suicide (Alcan, 1897 ; nouv. éd., P. U. F., 1966). / L. Meynard, le Suicide, étude morale et métaphysique (P. U. F., 1954). / A. Gorceix et N. Zimbacca, Études sur le suicide (Masson, 1968). / A. Haim, les Suicides d’adolescents (Payot, 1969). / P. Moron, le Suicide (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1975).