Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

suicide (suite)

Psychopathologie du suicide


Suicides présumés normaux

L’existence éventuelle de suicides « normaux » a toujours soulevé des controverses qui sont loin d’être apaisées. Diverses théories philosophiques, des considérations morales, métaphysiques ou sociales, voire politiques, ont tenté de justifier l’acte suicidaire en tant que conduite lucide, réfléchie ou rationnelle. On ne manque pas d’apologies du suicide ayant valeur de sacrifice consenti ou d’une affirmation d’une certaine conception de la liberté individuelle. D’ailleurs, l’attitude de l’homme à l’égard du suicide varie en fonction du groupe socioculturel auquel il appartient. Dans nos sociétés occidentales, l’attitude pratique des médecins est devenue sociopsychiatrique, c’est-à-dire que toute tentative d’autodestruction est considérée a priori comme morbide ou antisociale. La distinction entre suicide normal et suicide pathologique tend à s’effacer. Telle est la position des pays scandinaves et anglo-saxons, des Pays-Bas, etc.

Le suicidant, quels que soient ses mobiles, essaie d’échapper aux impératifs et aux liens sociaux parce qu’il les refuse ou ne se croit plus capable de s’y adapter : c’est un déviant social qui se comporte anormalement. S’il est excessif d’affirmer que tout suicidant est un malade mental, l’expérience du médecin, notamment du psychiatre, indique que la majorité de ces sujets ont des difficultés psychologiques parfois très secrètes qu’ils ne parviennent pas à résoudre seuls, ou bien souffrent d’affections psychiatriques caractérisées.

La conduite suicidaire, si bénigne soit-elle en apparence, se révèle en pratique comme le cri d’alarme, l’appel à l’aide ou la réaction de révolte désespérée en face d’une situation intérieure ou extérieure vécue comme intolérable.


Conduite suicidaire pathologique

Elle peut répondre à deux ordres de faits selon qu’elle survient chez un malade mental ou qu’elle constitue un phénomène morbide isolé.

• Suicide chez les malades mentaux. Il est des cas où le suicide traduit une maladie mentale caractérisée (quatre cinquièmes des cas), une psychose, une névrose ou un déséquilibre du caractère.

Les états psychotiques sont responsables d’un cinquième environ des tentatives de suicide. Parmi eux, citons la dépression mélancolique, dans laquelle le désir et l’idée de la mort sont très fortement sous-tendus par la douleur morale, les idées de culpabilité et d’indignité qui enfoncent le malade au plus profond de la désespérance. Il peut s’agir aussi d’une schizophrénie, avec un suicide impulsif et immotivé, ou bien au contraire longuement médité et préparé pendant des mois. Les délirants chroniques peuvent tenter de se suicider pour fuir d’imaginaires persécuteurs, obéir à des hallucinations ou se venger de proches, qu’ils considèrent comme des ennemis ou des traîtres. Il est assez fréquent que les malades, plongés dans une confusion mentale profonde, assaillis par les visions terrifiantes de l’onirisme ou dans l’inconscience d’une ivresse pathologique, d’une crise d’épilepsie, tentent de se détruire : l’acte se déroule alors en l’absence de toute lucidité. Les déments, au contraire, se suicident rarement ou alors ils le font « maladroitement », sauf à la période de début de l’affaiblissement intellectuel, où quelques-uns d’entre eux prennent conscience de leur déchéance progressive.

Dans les états névrotiques, phobiques, hystériques, obsessionnels, anxieux et psychasthéniques, la tentative de suicide est rare, car « la hantise l’emporte sur l’envie de mourir ». Néanmoins, les états dépressifs non mélancoliques, qui surviennent chez des malades atteints de névrose ou ayant simplement une personnalité ou un caractère névrotiques, peuvent entraîner des tentatives d’autodestruction. Certains de ces troubles dépressifs frappent accidentellement des individus normaux soumis à des chocs affectifs graves, à une situation vitale objectivement pénible et prolongée, à un surmenage intense ou à un surcroît de responsabilités. Parfois, ces dépressions nerveuses, dites « réactionnelles », sont favorisées par un régime amaigrissant trop sévère, surtout s’il s’accompagne d’une prise de médicaments anorexigènes, de diurétiques ou d’extraits thyroïdiens. De même, les hypotenseurs réserpiniques chez les sujets âgés, les excitants cérébraux de type amphétamine et toutes les drogues majeures, les hormones corticoïdes ou certains antibiotiques antituberculeux provoquent des désordres de l’humeur et, secondairement, des tendances suicidaires.

Chez les hystériques, l’acte suicidaire prend un tour spécial, tenant à la fois du chantage et de la démonstration théâtrale : il traduit le désir morbide d’attirer l’attention sur soi et d’obtenir de l’entourage davantage d’affection, de sollicitude et de dévouement. L’erreur serait d’interpréter le geste de l’hystérique comme pure simulation. Il comporte toujours une part de sincérité et d’inconscience. Le sujet, comme l’acteur sur la scène, se prend à son propre jeu et peut parfois réussir son suicide, malgré l’apparente « comédie » qui en annonce l’exécution.

Le déséquilibre caractériel est sans doute responsable d’un grand nombre de conduites suicidaires à la fois impulsives et récidivantes : celles-ci surgissent à l’occasion des multiples scandales ou ratages que ne manquent pas d’engendrer les appétits sans frein des déséquilibrés ou des personnalités psychopathiques. L’instabilité de la vie professionnelle, familiale ou conjugale, celle des relations amicales ou amoureuses, l’agressivité ou la nonchalance de ces sujets, voire leur perversité entraînent une inadaptation sociale, aggravée par des actes délictueux. À des situations parfois inextricables ou explosives, les déséquilibrés espèrent échapper par le suicide : tantôt la mort est sincèrement ressentie comme la seule issue possible, tantôt la menace de se donner la mort avec un semblant d’exécution devient un moyen d’attendrir ou de manipuler les proches. Là encore, la part du chantage conscient est fort difficile à faire : il est certain que des accès de sombre abattement, précipités par des excès alcooliques et l’abus de drogues hautement toxiques, facilitent de dangereux passages à l’acte.