Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Suez (canal de) (suite)

La question du percement fut reprise par les saint-simoniens, par le père Enfantin (1796-1864), Paulin Talabot (1799-1885), les frères Alexis (1812-1867) et Émile (1799-1869) Barrault. En 1853, l’explorateur français M. A. Linant de Bellefonds (1800-1883) fut d’un avis différent de celui de Lepère et conclut à la possibilité d’un canal direct entre les deux mers ; le khédive d’Égypte le chargea d’entreprendre les premiers travaux d’exploration.

Il était réservé au diplomate français Ferdinand de Lesseps* (1805-1894) de mener le projet à bien. Jouissant de la confiance de Muḥammad Sa‘īd, pacha d’Égypte, et de l’appui du gouvernement français, il obtint en 1854 une concession de 99 ans et créa en décembre 1858 une société, la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, au capital de 200 millions de francs réparti en 400 000 actions. Les Français souscrivirent aussitôt plus de la moitié des actions. Les bénéfices devaient être répartis ainsi : 15 p. 100 pour l’Égypte, 75 p. 100 pour les actionnaires et 10 p. 100 pour les fondateurs.

Malgré la vive opposition de l’Angleterre et du sultan de Constantinople, suzerain de l’Égypte, les travaux commencèrent en avril 1859, après l’adoption du projet de tracé direct de l’ingénieur autrichien Alois Negrelli (1799-1858), sans écluses ni barrages (déc. 1856). Cependant, il fallut l’intervention de la diplomatie de Napoléon III pour que cette grande œuvre pût se poursuivre. En effet, l’Angleterre, qui craignait de voir la France étendre sa domination sur les pays du Levant et menacer la route des Indes, avait fait interrompre les travaux (1863-1866).

À partir de 1866, ceux-ci furent activement menés (mise en chantier de dragues modernes d’une grande puissance), et le canal fut solennellement ouvert à la navigation le 17 novembre 1869 par l’impératrice Eugénie. Cette nouvelle route allait permettre des gains de temps approchant des deux tiers pour la plupart des traversées. Le voyage de Londres au Japon était ramené d’une centaine de jours à quarante-huit. La Méditerranée reprit l’importance primordiale qu’elle avait perdue au xve s. et elle redevint la route de l’Orient aux dépens de celle du Cap. Les ports méditerranéens prospérèrent d’autant, et le tonnage des navires du port de Marseille passa de 2 700 000 en 1860 à 6 500 000 en 1878. Dix ans après son ouverture, le canal voyait passer annuellement 1 600 navires transportant 72 000 passagers.

Aussi l’Angleterre révisa-t-elle ses positions et en novembre 1875, par l’intermédiaire de la banque Rothschild de Londres, le cabinet Disraeli rachetait les actions du khédive Ismā‘īl, opération qui faisait de la Grande-Bretagne le premier actionnaire du canal, préparait sa mainmise sur l’Égypte (1882) et lui permettait de réaliser de fructueux bénéfices, les actions de Suez ayant dès 1886 vu leur valeur quadrupler.

Une convention, signée à Constantinople le 29 octobre 1888, donna son statut international au canal, qui devait en temps de paix ou de guerre être ouvert aux navires de commerce et de guerre de toutes les nations. L’Angleterre, maîtresse de l’Égypte depuis 1882 et dont les troupes gardaient le canal, n’appliqua pas cet accord durant les deux guerres mondiales. L’Allemagne essaya vainement de s’emparer de Suez en 1915 et en 1916, ainsi qu’en 1942 (offensive de Rommel).

Les Égyptiens, qui retiraient peu de profit du canal, interdirent en 1950 aux navires israéliens de l’emprunter et, le 26 juillet 1956, le gouvernement du colonel Nasser en décréta la nationalisation. Les Anglais décidèrent alors de s’opposer par la force à cette mesure et ils reçurent l’appui de la France, soucieuse de combattre Nasser, qui soutenait les rebelles algériens. Après l’attaque d’Israël par l’Égypte en octobre, les parachutistes franco-britanniques furent lancés sur la zone du canal et s’emparèrent sans difficulté de Port-Saïd et de Port-Fouad (5 nov. 1956). Mais la pression conjuguée des États-Unis et de l’U. R. S. S. obligea Français et Britanniques à interrompre l’opération le 7 novembre, et l’O.N. U. exigea le départ des troupes franco-britanniques. Le canal fut rouvert en avril 1957. En avril 1958, par l’accord de Rome, l’Égypte assura aux actionnaires le paiement d’une indemnité.

Le trafic du canal, qui, de 1955 à 1967, était passé de 107 à 242 Mt, fut de nouveau interrompu en juin 1967, à la suite de la nouvelle guerre israélo-arabe. La construction de pétroliers géants risque toutefois, après la réouverture — prévue à l’issue de la quatrième guerre israélo-arabe et effective en juin 1975 —, de transformer cette route en une voie maritime secondaire.

P. R.

➙ Égypte / Lesseps (Ferdinand de).

 J. Charles-Roux, l’Isthme et le canal de Suez (Hachette, 1901 ; 2 vol.). / C. W. Hallberg, The Suez Canal, its History and Diplomatic Importance (New York, 1931). / E. Morand, le Canal de Suez et l’histoire extérieure du second Empire (Figuière, 1936). / J. Dautry, le Percement de l’isthme de Suez, une porte ouverte entre deux mondes (Bourrelier, 1947). / H. Poydenot, le Canal de Suez (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1955). / H. Azeau, le Piège de Suez, 5 novembre 1956 (Laffont, 1964). / S. C. Burchell, Building The Suez Canal (New York, 1966 ; trad. fr. le Canal de Suez, R. S. T., 1967). / H. Labrousse, le Golfe et le canal. La réouverture du canal de Suez et la paix internationale (P. U. F., 1973).

Suffren de Saint-Tropez (Pierre André de)

Marin français (château de Saint-Cannat, près d’Aix-en-Provence, 1729 - Paris 1788).


De vieille souche provençale, troisième fils du marquis de Suffren, le futur bailli de Suffren entre à quatorze ans aux gardes marines de Toulon, où il se fait remarquer par son ardeur et son dynamisme ; enseigne de vaisseau en 1748, il a participé à deux combats navals avant d’avoir vingt ans. Après la paix d’Aix-la-Chapelle, il se rend à Malte et complète son apprentissage maritime à bord des galères de l’Ordre. Revenu en 1756 dans la marine royale, il est au combat de Port-Mahón, puis, au mépris de la neutralité portugaise, est fait prisonnier des Anglais à Lagos. Malgré sa valeur, son avancement sera lent et il attendra 1772 pour être capitaine de vaisseau. En 1779, il commande avec brio aux Antilles le Fantasque, vaisseau de 64 canons, dans l’escadre de d’Estaing envoyée au secours des Américains. Proposé comme chef d’escadre, il voit sa promotion ajournée par le roi. Freiné dans sa carrière, Suffren, dont la volonté est de fer et l’énergie sans limite, se forme seul par la réflexion et l’étude de l’histoire. Très dur pour ses capitaines, il est au contraire plein de sollicitude pour ses équipages. En 1781, on lui confie une division de cinq vaisseaux destinés à la mer des Indes. En route vers le cap de Bonne-Espérance, où il doit débarquer des troupes pour renforcer des Hollandais, alliés de la France, il reconnaît l’escadre anglaise de George Johnstone à l’ancre à Porto Praia, dans l’archipel portugais du Cap-Vert. Tout autre aurait évité le combat pour devancer les Anglais au Cap. Lui, négligeant à son tour la neutralité portugaise, attaque le 16 avril l’ennemi au mouillage, mais, n’étant pas suivi par ses capitaines, doit rompre le combat pour éviter de trop lourdes pertes. Un de ses vaisseaux, le Héros, est très avarié, un autre, l’Annibal, démâté, mais Suffren, tout en faisant réparer à la mer, poursuit sa route et parvient le 20 juin en vue du Cap, tandis que Johnstone, démoralisé, ne songeait plus qu’à éviter son terrible adversaire. Après l’escale du Cap, Suffren se range à l’île de France (Maurice) sous les ordres du comte d’Orves, qui ne tarde pas à mourir (févr. 1782). Désormais chef d’escadre et seul maître de douze vaisseaux, Suffren poursuit sa route vers l’Inde, où il doit secourir le sultan de Mysore, Ḥaydar ‘Alī, allié de la France. Le 17 février, Suffren livre le combat de Sadras à l’amiral Edward Hughes (v. 1720-1794), l’un des meilleurs hommes de mer anglais. Il essaye de prendre l’arrière-garde ennemie entre deux feux, mais l’incompréhension de l’un de ses capitaines permet à Hughes de se réfugier à Madras. Ayant débarqué ses troupes, Suffren garde l’amitié d’Ḥaydar ‘Alī et révèle des dons diplomatiques étonnants avec les Indiens, qui s’emparent de Cuddalore (Gondélour). Sur mer, Suffren livre trois combats acharnés à l’amiral Hughes : à Provedien, sur la côte de Ceylan (12 avr.), à Negapatam (6 juill.) et à Trincomalee (Trinquemalé), où il réussit le 2 septembre à s’emparer du meilleur mouillage de Ceylan.