Stravinski (Igor) (suite)
À vrai dire, ce ne fut pas à Schönberg que Stravinski se référa en adoptant la technique sérielle, mais à son disciple A. von Webern*, vraisemblablement parce que celui-ci bannissait toute trace de ce romantisme, de cet expressionnisme qui rendaient l’œuvre de Schönberg si antipathique au maître russe. Il n’empêche qu’il fallut à celui-ci un grand courage pour, à soixante-dix ans, rechercher les fondements d’une technique jusqu’alors repoussée. Nul doute que, ce faisant, il s’assura d’un nouveau souffle et se délivra de l’emploi du modèle musical, qui, depuis trente-cinq ans, avait marqué la quasi-totalité de son œuvre du sceau d’un académisme en contradiction avec l’esprit de ses premiers chefs-d’œuvre. Le Canticum sacrum est une magnifique partition, dans la tradition de ce hiératisme apparu maintes fois dans le style polymorphe de Stravinski. Il en est de même de Threni, id est Lamentationes Jeremiae prophetae (1958). Moins homogène techniquement, Agon (1957), ballet pour douze danseurs, est pourtant intéressant ; le Déluge (1962), lui, se tourne quelque peu vers une abstraction assez aride.
Ainsi donc, la technique sérielle fut, pour Stravinski, bénéfique. Précisons, cependant, que celui-ci n’en a jamais adopté la conséquence fondamentale, à savoir l’éviction de la tonalité, l’état tonal alternant généralement avec l’état atonal dans ses architectures. De plus n’a-t-il pas déclaré : « Les intervalles de mes séries sont attirés par la tonalité ; je compose verticalement, et cela signifie — en un sens tout au moins — composer tonalement. » De cette seconde proposition (on ne peut plus discutable !), il résulte que, sur le plan de l’histoire, Stravinski et Schönberg se situent aux deux pôles opposés de l’évolution technique qui s’est développée au cours de notre xxe s. Ajoutons qu’en dépit de sa retentissante conversion au sérialisme Stravinski conserve, dans l’ordre des structures, ses caractéristiques propres, tout comme il le fit en adoptant le modèle musical. Si bien que, face aux divers aspects de son style, où alternent hiératisme et baroquisme, primitivisme (les premiers chefs-d’œuvre) et classicisme (Symphonie en « ut », 1938-1940 ; Symphonie en trois mouvements, 1945), nous retrouvons toujours, plus ou moins rayonnant, le génie d’Igor Stravinski.
Stravinski a laissé, en outre, plusieurs écrits d’ordre autobiographique, esthétique ou théorique (Chroniques de ma vie, 1935 ; Poétique musicale, 1939-40 ; Memories and Commentaries, avec R. Craft ; 1960).
R. S.
B. de Schloezer, Igor Stravinski (Aveline, 1929). / P. Collaer, Stravinsky (Corti, 1931). / A. Schaeffner, Igor Stravinsky (Rieder, 1931). / L. Oleggini, Connaissance de Stravinsky (Foetisch, Lausanne, 1952). / C. F. Ramuz, Souvenirs sur Igor Stravinsky (Mermod, Lausanne, 1952). / R. Craft, P. Boulez et K. Stockhausen, Avec Stravinsky (Éd. du Rocher, Monaco, 1958). / R. Siohan, Stravinski (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme » 1959). / M. Philippot, Igor Stravinsky (Seghers, 1965).